Jusqu’à dimanche, le festival de danse de Biarritz, « Le Temps d’aimer », offre une programmation qui fait la part belle aux compagnies osant le répertoire néoclassique. Il n’y a pas que des réussites, mais l’ensemble vaut le détour !
Y a-t-il des festivals pour ville de droite ? Une esthétique, des tendances artistiques plus appréciées par un public votant à droite ? La question peut paraître saugrenue, sinon totalement incongrue. Et pourtant ! Même aujourd’hui, où les lignes de partage entre la droite et la gauche paraissent un peu confuses, un public qui vote à droite pourrait être effectivement bien plus conservateur, moins aventureux qu’un autre qui voterait à gauche. À Biarritz, et dans une contrée où bien des mairies sont tenues par des partis de droite depuis des décennies, le propos paraîtrait cohérent. « Mais cette année les circonscriptions basques ont envoyé trois députés du Nouveau Front populaire à la Chambre et ce qui était peut-être valable il y a dix ans encore ne l’est plus guère avec l’évolution de la population et le rajeunissement du public », observe Thierry Malandain, le directeur de Ballet de Biarritz et du festival de danse baptisé Le Temps d’aimer.
Ballets de Monte-Carlo, Ballet de Schwerin, Ballet de Berne, Ballet de l’Opéra de Metz, Ballet de l’Opéra d’Avignon et même le rejeton abâtardi du Ballet national de Marseille : sans tourner le dos aux petites compagnies de danse dite contemporaine, pour la 34e édition du festival, le chorégraphe Thierry Malandain n’y est pas allé par quatre chemins et a beaucoup donné du côté d’institutions longtemps néo-académiques.
Une programmation réactionnaire ?
Une programmation réactionnaire ? Sans doute, mais pas au sens détestable ou passéiste du terme. Réactionnaire, au sens de réactif. En réaction à ce qui se fait partout ailleurs en France, à Paris surtout où l’on a depuis bien longtemps pris ostensiblement parti pour la danse contemporaine au détriment de la danse dite néo-classique qui fait pratiquement figure, dans les milieux autorisés, de reliquat déshonorant d’un ancien monde dont on a d’ailleurs perdu la mémoire.
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Or, si la danse contemporaine a effectivement tenu le haut du pavé tant que les chorégraphes de génie ou de talent foisonnaient, c’est-à-dire dans les dernières décennies du XXe siècle, elle s’est douloureusement tarie pour devenir à son tour tristement académique en obéissant à de nouveaux poncifs, à des procédés obligés qui sont la planche de salut d’innombrables artistes sans talent. De leur côté, les compagnies de ballet se sont fréquemment métamorphosées. Réformé dès les années 1970, mais surtout sous la direction de Yorgos Loukos, le Ballet de Lyon en a été le plus brillant exemple en devenant le héraut de l’élite des chorégraphes modernes toutes tendances confondues. Dans la foulée, après un temps de réflexion assez conséquent tout de même, les compagnies de ballet françaises, souvent liées à des maisons d’opéra, comme à Bordeaux, à Toulouse, à Strasbourg, à Nancy, à Nice… ont abandonné leurs poussiéreux oripeaux pour évoluer et s’ouvrir à des esthétiques plus en accord avec le temps, tout en prêtant d’excellents interprètes à un répertoire contemporain ainsi transfiguré. Sans malheureusement éviter les faux pas : soit en invitant sans discernement des artistes médiocres pour se donner à bon compte une touche de modernité, soit en jetant par-dessus bord, et sans plus de discernement non plus, tout un répertoire néo-classique où il y a des merveilles à sauver ou à ressusciter. Car comme toujours en France, un héritage sans doute de 1793, on croit devoir honnir en bloc ce qu’on adorait hier, comme pour s’acheter une bonne conduite de révolutionnaire.
Bien seul dans le paysage
C’est un peu contre cet abandon d’une danse pensée, écrite, mais encore exécutée par des danseurs de qualité comme le sont ceux de sa propre compagnie, que s’érige Thierry Malandain, désormais bien seul dans le paysage. Contre cette inculture généralisée qui touche en premier chef ceux qui se sont intronisés chorégraphes, mais qui n’ont ni vocabulaire, ni savoir faire, ni même la moindre idée de la construction d’un ouvrage, et que bénit un ministère de la Culture destructeur, sans vision, sans projet, aux mains de médiocres dont on ne mesurera jamais assez la sottise et les effets de nuisance.
Le malheur a toutefois voulu que les premiers spectacles du festival qui fait accourir un public de quelque 33 000 spectateurs, fidèle, mais aussi renouvelé, patiemment construit au fil des années à coup de répétitions publiques, de travail dans les écoles, de manifestations ouvertes à tous, un public venu d’un vaste territoire qui court de l’Espagne aux Landes, le malheur a voulu que les spectacles qu’on a pu voir aient été franchement médiocres et qu’ils donnent cruellement raison aux détracteurs des troupes néo-académiques. Entre la production du Ballet de Berne censée évoquer l’univers mental de Don Quichotte, l’une des choses les plus creuses, les plus insignifiantes qu’on ait pu voir dans une vie de spectateur déjà fort longue, confiée à un « chorégraphe » et à un « compositeur » taïwanais, et celui exhibé par une troupe espagnole, Kor Sia, prétendant évoquer Pétrarque par une gymnastique d’une affolante indigence, le bilan n’est guère heureux. Et ce n’est pas le Ballet de Schwerin qui le fait franchement basculer.
La duchesse d’Orléans
Schwerin ! En France, on n’en avait plus entendu parler depuis 1837, date du mariage du duc d’Orléans, le fils ainé du roi des Français, avec la princesse Hélène de Mecklembourg-Schwerin, aïeule de presque tous les princes d’Orléans d’aujourd’hui.
La petite capitale du Land de Mecklembourg-Poméranie, Schwerin, a évidemment son Théâtre d’État et son ballet comme toutes les villes allemandes de quelque dignité. C’est ici une compagnie néo-classique sans grande envergure, mais tout à fait honorable, porteuse d’un spectacle construit sur des pages de Jean-Sébastien Bach et parfaitement représentatif de ce que peut produire une telle formation : quelque chose qui n’est pas insupportable, mais tellement fade, tellement incolore, en un mot parfaitement inutile, qu’on se demande à quoi peut bien servir cette troupe de danseurs, sinon à faire ainsi évoluer sans fâcheuse surprise la digestion vespérale des bourgeois du Mecklembourg qui d’ailleurs ne doivent même plus savoir que leur Hélène devait devenir reine des Français. Près de San Sebastian, où l’on a présenté la production mecklembourgeoise avant qu’elle ne soit affichée à Biarritz, en plein cœur du Pays-Basque espagnol où le festival a l’intelligence de rayonner en brisant les antiques frontières, le public a accueilli cette soupe tiède avec le même généreux enthousiasme que s’il avait découvert un chef d’œuvre.
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De ces premières journées de festival réchappe un seul ouvrage : un duo amoureux, « Crocodile », créé au Théâtre de Bayonne et signé par un artiste basque, Martin Harriague. Une introspection sensible, tout en gestes furtifs, tendres et délicats. Comme Harriague est un enfant du pays, la tendance est de faire de ce duo un miracle. C’est excessif. Il lui manque une force dramatique, une tension qui le porterait à une autre dimension. Mais il n’en n’est pas moins vrai que cette broderie fébrile est honnête, raffinée, qu’elle procède d’une vraie sincérité, même si cette sincérité peut avoir quelque chose de troublant en faisant entrer à l’excès le spectateur dans l’intimité du chorégraphe.
Un public qui explose
Outre le fait que la création chorégraphique s’effondre avec de pseudos artistes qui se multiplient à l’envi et qui sont coupablement encouragés par des aides multiples venues des pouvoirs publics, trop minces pour leur permettre de subsister, mais trop nombreuses pour ne pas encourager une inflation de prétentions à être un créateur, la cherté galopante des productions, des voyages, des séjours rendent aujourd’hui bien difficile la réalisation du festival. Selon Thierry Malandain : « Avec beaucoup d’argent que nous n’avons pas, nous pourrions faire venir de grandes compagnies et des programmes irréprochables. Bien souvent, de surcroît, le mois de septembre est pour elles l’époque où la saison débute dans leurs villes d’attache, ce qui les empêche de voyager. Alors que nous sommes exposés de toutes parts à des pressions régionales considérables, notre rôle est de faire découvrir au public les multiples tendances du monde chorégraphique. Mais aussi de soutenir des auteurs nouveaux ou des compagnies comme celle de l’Opéra de Metz à qui des tournées hors les murs confèrent une visibilité qui en impose aux pouvoirs publics qui les subventionnent. »
En attendant, la 34e édition du festival se répand cette année dans une douzaine de villes du Pays-Basque. Et se propage jusqu’à Pau. Dans la région, grâce à un travail de longue haleine, le public de la danse s’accroît, explose même. À telle enseigne que les salles des villes voisines, à commencer par le majestueux Théâtre de Bayonne, se sont toutes mises à programmer des spectacles chorégraphiques pour répondre à la demande du public. Et ce sont les directeurs du Ballet de Biarritz, Thierry Malandain et Yves Kordian, qui sont à l’origine de ce phénomène avec les danseurs de la troupe, en forgeant cette réussite avec autant de passion que de diplomatie.
Le festival est assez éclectique pour reconnaître aussi le talent d’un Thomas Lebrun. Car c’est avec un ouvrage de ce dernier, L’Envahissement de l’être et l’intrépide réalisation de La Mégère apprivoisée que Jean-Christophe Maillot avait magnifiquement chorégraphiée pour le Ballet du Bolchoï, à Moscou et que les Ballets de Monte Carlo ont aussi à leur répertoire, que va s’achever le festival de danse de Biarritz sur des notes brillantes. On découvrira encore le travail du Ballet de Metz, qui désormais s’émancipe de la tutelle du théâtre lyrique auquel il est attaché.
Festival de Danse de Biarritz – Le Temps d’aimer.
Jusqu’au 16 septembre www.letempsdaimer.com / 05 59 22 44 66