Dix mille morts: dans les Ehpads, le Covid-19 a emporté les plus faibles de nos aînés. Quels ont été les effets du confinement ? A-t-on trop ou pas assez protégé les résidents de ces maisons de retraite médicalisées ? Faut-il en repenser la structure ? L’été prochain, peut-être caniculaire, sera-t-il aussi meurtrier que le cru 2003 ? Autant de questions auxquelles répond Laurent Levasseur, dirigeant de l’entreprise Bluelinea dont les équipements accompagnent Ehpads et séniors à domicile. Entretien.
Daoud Boughezala. Vu de l’extérieur, on a l’impression d’une hécatombe dans les Ehpads. Comment expliquer les dix mille morts du Covid dans ces maisons de retraite médicalisées ?
Laurent Levasseur. Pour éviter l’hécatombe, il aurait fallu empêcher les familles de rencontrer leurs proches sans gestes-barrières dès la fin de l’année dernière. Pour la plupart des personnes décédées du Coronavirus dans les Ehpads, la contamination s’est faite par la famille. On a en effet continué à recevoir jusqu’à mi-mars dans les Ehpads sans geste barrière particulier. Au vu de la population très à risque, on n’a pu que constater que la contamination avait été très mortifère. Pendant la crise, des personnels des Ehpads ont donc décidé de s’isoler de leur propre famille pour éviter de contaminer les résidents dont ils avaient la responsabilité.
Comment le confinement s’est-il déroulé en Ehpad ?
Il y a d’abord eu le confinement des établissements puis le confinement dans les chambres, cette seconde étape n’ayant été instaurée par Olivier Véran que deux ou trois semaines plus tard, quand on a commencé à prendre en compte la situation dans les Ehpads. Ce second temps du confinement a créé une deuxième rupture car pour bien vieillir il ne suffit pas d’être en bonne santé mais il faut aussi maintenir un lien social. Or, cela a été assez dramatique pour les personnes âgées d’être seules dans leur chambre comme si on les avait enfermées en cellule. Heureusement, dans la plupart des établissements, les portes étaient ouvertes, avec des tables devant les chambres, ce qui a permis de pouvoir échanger un minimum.
Les résidents en Ehpad ne se sont pas du tout retrouvées comme la plupart des Français. On sait que 29% des Français ont été confinés seuls chez eux, mais avec tous les moyens de communication digitaux et les réseaux sociaux. Or, ces personnes âgées se sont retrouvées seules dans leurs chambres, et souvent sans moyen de communication. C’est la raison pour laquelle on a essayé de s’équiper de tablettes qui ne servent à rien pour des personnes souffrant de déficiences auditives, visuelles ou autres.
Plutôt que de leur fournir des tablettes numériques, pourquoi ne leur a-t-on pas prodigué plus d’attention humaine ?
Dès lors que le 17 mars, on a décrété le confinement, le personnel de mon entreprise ne pouvait plus intervenir sur place mais seulement à distance. J’ai demandé à mon équipe de créer une plateforme pour aider les Ehpads à gérer la crise au mieux sur des aspects logistiques. En appelant les directeurs des Ehpads, on se rendait compte à quel point le ciel leur tombait sur la tête – entre les décès, la relation avec les familles, les ressources humaines, des soignants qui tombaient malades… On a compris qu’il fallait les aider sur des aspects que personne n’avait imaginés : des frigos qui tombent en panne sans réparateur, des surblouses, masques, charlottes et gants introuvables, … Quand Olivier Véran a décidé le confinement dans les chambres, la vraie question a été de savoir comment distribuer les repas dans les chambres. Il a donc fallu trouver des échelles de plateau…
De manière générale, les équipes ont dû affronter une crise qu’elles n’avaient pas imaginée. Elles n’ont pu bénéficier d’aucune aide extérieure car la loi leur interdisait de faire intervenir d’autres personnes en dehors du personnel de l’Ehpad et ont donc dû s’organiser seules.
Comment expliquez-vous le recul de l’épidémie dans les Ehpads ?
Malheureusement, la plupart des personnes contaminées dans les Ehpads l’ont été par leurs familles. Puis dans un second temps, il y a eu des chaînes de contamination interne (clusters). Quand une famille venait au chevet d’une personne pour la rencontrer, elle pouvait la contaminer, ce qui n’est pas psychologiquement facile à accepter. De nombreux facteurs de communication l’expliquent : les postillons, la chaleur, des gestes de tendresse… Jusqu’au 15 mars au matin, n’importe quelle famille pouvait aller voir un proche résidant dans un Ehpad, le serrer dans ses bras.
Aujourd’hui, les personnes qui devaient disparaître ont hélas disparu et dame nature a fait son œuvre. Le confinement a aussi tué d’ennui certaines personnes. C’est pourquoi le personnel des Ehpads a demandé d’arrêter de confiner dans les chambres car il était temps de rétablir le lien social. C’est un effet secondaire qu’il fallait surtout anticiper. A 95 ans, on vous demande de ne plus quitter votre chambre, vous ne pouvez plus rencontrer les autres résidents, votre famille, vous avez une déficience auditive donc vous ne pouvez pas avoir de contact avec vos proches… Il était temps de tester en urgence les personnes porteuses du virus en Ehpad, résidents comme soignants, pour très vite rétablir la vie sociale au sein de l’établissement. Et il était temps de rétablir les visites, avec les gestes barrière.
L’été s’annonce caniculaire. De ce point de vue, on peut tirer les leçons des fortes chaleurs de l’été 2003 qui avaient causé 21 000 morts. Le système des Ehpads est-il aujourd’hui armé pour y faire face ?
Les Ehpads sont beaucoup mieux préparés à la canicule qu’au Covid. Il y a eu plusieurs épisodes caniculaires depuis 2003 et les Ehpads savent y faire face. Toutefois, en raison de la fatigue des équipes et de la fragilité des personnes, il faudra avoir une attention particulière. En raison de la fragilité causée par le Covid, on peut s’attendre à ce que la canicule puisse avoir des effets plus néfastes. Au vu des températures de mars, avril et mai, une canicule s’annonce. Et je suis plus inquiet pour les personnes âgées qui vivent seules à leur domicile que pour celles qui sont dans les Ehpads.
En bon virus darwinien, le Covid a-t-il déjà décimé les plus faibles ?
Comme vous, je me dis à prime abord que les plus fragiles sont déjà partis. Néanmoins, ceux qui restent ont été usés psychologiquement par trois mois de confinement dans une cellule. Si la canicule les affecte de manière trop forte, il peut y avoir cet effet de glissement où ils vont se laisser partir. Dans des Ehpads où 50% des participants ont disparu, le personnel est tombé malade, parfois mort, il reste un sentiment tel que si l’on n’arrive pas à remettre de la vie d’un point de vue psychologique et social, plusieurs personnes vont être tentées de se laisser glisser.
Pour conclure, qu’attendez-vous du Ségur de la santé qu’organise le Ministère ?
Concrètement, pas grand-chose. Les groupes d Ehpads sont déjà en train de travailler sur des formes d’accompagnement. Avant la crise du Covid, peu de monde avait envie de vieillir dans un Ehpad. Avec le Covid, certains se sont rendus compte qu’il peut être très dangereux d’y vivre.
Il est temps que le système des Ehpads se réinvente. L’Ehpad de demain nécessitera des conditions d’hébergement complètement différentes. Aujourd’hui, nous développons des colocations entre seniors, ou bien des lieux de vie intergénérationnels. Ainsi, les seniors seront dans des unités plus petites et auront des conditions de vie beaucoup plus conviviales.
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