Si pour vous un bon clown est un clown mort, alors vous apprécierez grandement Stand up, la dernière pièce de Gérald Sibleyras, jouée au Théâtre Tristan Bernard. Celle-ci repose sur trois très beaux personnages, magistralement incarnés par les comédiens. Le premier (Philippe Uchan) est un psychopathe désinhibé fan de stand up, un ancien tueur à gages, d’une enfantine bestialité. Il possède les deux qualités indispensables pour devenir ce que nos contemporains nomment « un comique » : une méchanceté viscérale et primitive et une absence radicale de tout sens de l’humour.
Le deuxième personnage (Gilles Gaston-Dreyfus) est un marchand de rire fatigué, organisateur et animateur du Festival du Rire de Morlaix. La tirade par laquelle il ouvre le Festival du Rire est un grand morceau de bravoure. Il s’agit d’un interminable éloge du rire, déclamé avec une énergie et une bonne humeur aussi stupéfiantes que factices. L’animateur nous annonce que nous allons rire sans relâche et accumule jusqu’à l’épuisement tous les clichés actuels sur le rire. Sa bonne volonté, son désir et son angoisse de bien faire sont en même temps d’une très touchante humanité. Mais il dévoile malgré lui ce qui se cache dans les coulisses du rire contemporain. Le rire devenu une injonction permanente, exténuante, du surmoi postmoderne (si l’on me pardonne l’oxymore).
La revanche de l’humour sur le rire
Pourtant, ce qui rend cette tirade encore plus hilarante, c’est la présence, aux côtés de l’animateur, du troisième personnage (Grégoire Bonnet). Celui-ci est un célèbre comique devenu radicalement dépressif. À mesure que progresse le discours de l’animateur, son corps et son visage expriment un désespoir, une prostration, un accablement qui ne cessent de s’aggraver. Par malheur, ce comique est l’invité d’honneur du festival. Le discours qu’il prononce lorsque vient son tour constitue le second sommet hilarant de la pièce. Suscitant l’horreur stupéfaite de l’animateur, il se lance dans des considérations désespérées et sans fin sur la mort et la maladie. Pourtant, il ne s’agit là que de l’un des tout premiers désastres qui s’abattront sur le Festival du Rire de Morlaix.
Par temps de terreur hyperfestive, rien n’est plus beau et drôle que des clowns en déroute et des boute-en-train qui déraillent. Grâce à Stand up de Gérald Sibleyras, l’humour prend enfin une éclatante revanche sur le rire.
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