Internet a effacé la frontière entre producteurs et consommateurs d’information. Si bien que chaque tribu virtuelle crée et répand de fausses nouvelles. Loin de rétablir la vérité, le contrôle croissant de la toile par les Etats et la montée de l’intelligence artificielle annoncent de nouvelles formes de censure. L’enquête de Causeur.
Déjà, à l’époque romaine, le poète Virgile avait tout prévu. Son épopée, l’Énéide, évoque la figure de « Fama », qu’on peut considérer comme la déesse des rumeurs ou tout simplement des nouvelles. Ce « monstre effroyable, gigantesque [est] doté d’autant de plumes sur le corps que d’yeux perçants cachés en dessous et – ô prodige ! – d’autant de langues, de bouches qui parlent que d’oreilles qui se dressent ». Cette déesse « terrorise les grandes villes, messagère accrochée à l’erreur et au mensonge, tout autant qu’à la vérité » et chante « également faits et affabulations ». On croirait lire la description de nos réseaux d’information contemporains, en proie à la circulation de ces « fake news » qui, devenues elles-mêmes une nouvelle, font les gros titres depuis 2016.
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De quoi s’agit-il, au juste ? Considérons les propositions suivantes : il n’y a pas eu de crise des réfugiés à la frontière du Venezuela en 2018 ; la Terre est actuellement menacée de « refroidissement » climatique ; Emmanuel Macron et Édouard Philippe se sont montrés hilares face au spectacle de l’incendie de Notre-Dame le 15 avril, tout comme deux musulmans rue Dante ; ledit incendie a été déclenché par un mystérieux homme en djellaba que plusieurs images nous montrent perché en haut de la cathédrale ; en 2016, l’équipe de campagne de Donald Trump a reçu une clé de cryptage lui donnant accès aux e-mails piratés de ses adversaires démocrates avant que ces documents soient divulgués au public ; lors des élections présidentielles aux États-Unis, il est possible de voter en ligne. Ou encore : Megan, duchesse de Cambridge, est une sale garce ; en mars cette année, en Seine-Saint-Denis, des Roms ont enlevé des enfants en utilisant une fourgonnette blanche ; Winston Churchill s’intéressait aux ovnis; l’attentat de Strasbourg du 11 décembre 2018 était une supercherie montée par le gouvernement français ; Kim Jong-un était l’homme le plus sexy de la planète en 2012. Ces affirmations donnent un aperçu de la variété des histoires qui peuvent être – ou qui ont été – identifiées comme étant des informations truquées.
Faux-fuyants et faux-semblants
Pourtant, la catégorisation des « fake news » est délicate : elles ne sont pas toutes fausses de la même manière. La crise des réfugiés a été niée par le gouvernement vénézuélien de Maduro, dans un geste relevant de la bonne vieille propagande étatique. L’accusation concernant l’accès anticipé de l’équipe de Trump aux révélations de Wikileaks vient tout simplement d’une erreur de date commise par CNN. La possibilité de voter en ligne aux présidentielles, qui n’existe pas aux États-Unis, a été alléguée dans un tweet destiné aux électeurs potentiels d’Hilary Clinton pour les dissuader d’aller voter. Il aurait été posté par des « web-brigades » russes afin d’influencer le processus démocratique dans un pays étranger. Le prétendu rire de Macron et Philippe devant les flammes provient d’images truquées à dessein qui ont été très vite relayées sur des pages Facebook par des gilets jaunes qui croient sincèrement au cynisme profond de leurs gouvernants actuels. Loin de la politique, la rumeur au sujet des enlèvements d’enfants constitue une sorte de légende urbaine, récurrente dans l’histoire française (des exemples existaient déjà au xviiie siècle[tooltips content= »Arlette Farge, Jacques Revel, Logique de la foule : l’affaire des enlèvements d’enfants, Paris 1750, Hachette, 1988. »]1[/tooltips]), mais vite disséminée par les médias sociaux modernes avec des conséquences néfastes, plusieurs Roms ayant été victimes de représailles. Cette rumeur ne semble pas avoir été amplifiée par des manipulateurs cachés, mais par la vox populi, si souvent encline à la paranoïa, surtout xénophobe. Le refroidissement de la planète est un canular, publié le 1er avril par Weekly World News, un site américain (autrefois un journal papier) spécialisé dans le genre ; on suppose que ses lecteurs en sont conscients.
Tous les jours, des petits génies du digital, dont beaucoup habitent le Kosovo, inventent des absurdités pareilles comme « pièges à clics » (click bait), ces histoires faites pour attirer l’attention de l’internaute lambda sur certaines pages web dans le but commercial de vendre de la publicité. Le prix décerné au dictateur coréen est une blague du site satirique The Onion, mais qui a été prise au sérieux momentanément par certains médias. La remarque au sujet de l’épouse du prince Harry est une de ces méchancetés postées
