Ancien journaliste, notamment à France Culture, devenu bouquiniste sur le quai de la Tournelle où il a animé, pendant des années un blog succulent sur lequel il consignait anecdotes, propos et impressions personnelles, amour des livres et de la littérature, Jean-Louis Crimon est un personnage singulier. Il nous avait donné à lire, en 2001, un roman émouvant et magnifique, Verlaine avant-centre, texte subtil et délicat publié au Castor Astral, son éditeur fétiche. Puis, il égrena deux autres romans ainsi que deux livres sur le chanteur Renaud, l’une de ses idoles.
Il donna aussi des cours à l’Université Jules-Verne, à Amiens, où il fit la connaissance d’étudiantes chinoises. Ils sympathisent. Un beau jour, l’une d’elles lui écrit pour lui faire savoir que son université, en Chine, est à la recherche d’un professeur de français qui aiderait les jeunes gens à découvrir notre langue mais aussi notre pays. Crimon hésite. Jusqu’à présent, comme il l’explique, sourire aux lèvres, cet ancien correspondant de France Culture en Scandinavie était plus sensible aux charmes des longues et blondes Nordiques qu’à ceux des petites Asiatiques. Mais ses interlocutrices se montrent persuasives et adorables. Il accepte finalement. Entre septembre 2011 et janvier 2012, il enseignera dans un campus de 20 000 étudiants de l’Université du Sichuan, à Chengdu.
Il en reviendra à la fois fasciné, étonné, parfois agacé. Indéniablement, pour lui, c’est une expérience marquante. Il transformera donc celle-ci en ce qu’il sait mieux faire : un livre. Il eût pu rédiger un essai, un récit, un document car, s’il partait en Chine avec l’idée d’y retrouver la Chine de Confucius et celle, pétrie des préceptes de Mao, il y découvrira des jeunes gens qui ne rêvent que des sacs Vuitton, de libéralisme économique, de prétendue modernité; des jeunes gens qui se souviennent à peine du communisme ou feignent de ne plus s’en souvenir et, souvent, refusent d’admettre que Mao, malgré tous ses crimes, a tout de même sauvé un peuple affamé, réduit à l’état de servage, pour lui redonner sa dignité.
Un roman, donc. Et un roman de qualité qui mêle une histoire d’amour entre Shuang, jolie étudiante, et un professeur français sexagénaire. Autobiographie? On est en droit de le penser. Pourtant, Jean-Louis Crimon réfute cette thèse, non sans une certaine fermeté: « Au risque de décevoir, ce n’est pas ma vie en Chine que je raconte« , explique-t-il. « Du côté de chez Shuang n’est pas un récit, un reportage, une autobiographie. C’est un roman, une fiction. Tout est faux. Inventé. Fantasmé. Imaginé. Construit. Fabriqué. Comme dans un roman. Il s’agit d’un vrai travail romanesque. Mais bien sûr, les impressions, les sensations, les sentiments, tout ça est très proche d’une réalité très probable, très possible et très crédible. Preuve : un Chinois, prof de français, que je devais rencontrer en octobre dernier, à Pékin, mais qui n’était pas très disponible à ce moment-là, et à qui j’ai fait remettre mon roman, vient de m’écrire, par mail, les plus belles lignes jamais reçues : « Votre roman est un vrai trésor pour nous les Chinois! C’est ma vie que vous racontez. J’ai été, moi-même renvoyé de l’Université pour avoir aimé, aimé d’amour, une étudiante. Mais contrairement au narrateur de votre roman, moi, mon étudiante, je l’ai épousée! »… »
En octobre dernier, Crimon a tenu à refaire le chemin de son périple chinois : Kunming, Chengdu, Pékin.
« À Chengdu, j’ai tenu à aller lire à Confucius les extraits de Du côté de chez Shuang où je parle de lui« , poursuit l’écrivain. « Au-delà de mon roman qui stigmatise les travers de la Chine matérialiste d’aujourd’hui, ce qui m’intéresse surtout, c’est la Chine de Confucius, de Lao Tseu et de Li Bai. Tout comme je préfère aussi la France de Voltaire et de Rousseau. Pas celle de Marc Lévy et de Guillaume Musso! »
Voilà qui est dit.
Du côté de chez Shuang, Jean-Louis Crimon. Le Castor Astral, 2014.
*Photo : MICHAEL ROBERT/MOMENT PHOTO/SIPA. 00569654_000023.
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