Aujourd’hui, une centaine d’agriculteurs déguisés en vache de la tête aux pieds se sont réunis devant le ministère de l’Agriculture pour meugler leur mécontentement. Rassemblés à l’appel de la Confédération paysanne, ils souhaitent lutter contre l’équivalent bovin des poulets en batterie : une ferme-usine dans la Somme qui concentrera 1000 vaches laitières et 750 génisses pour produire 8 millions de litres par an !
Sur le plan social, cette gigantesque étable-usine n’aura besoin que de 25% de la main d’œuvre nécessaire pour assurer le fonctionnement des fermes artisanales. Quant aux happy few qui garderont leur emploi, ils verront leur salaire diminuer de 30-40%. À ces chiffres, il faudrait ajouter une notion moins quantifiable mais non moins importante : la dévalorisation d’un métier. L’éleveur se retrouvera ravalé au rang peu glorieux d’« assistant machine »…
Les conséquences pour l’environnement seront, elles aussi, importantes. Que faire du fumier de 1800 bovins concentrés dans un espace restreint ? Le lisier est traditionnellement connu pour être un apport riche en matière organique et en nutriments pour la terre. Mais la production de ces bovins contient des contaminants, notamment des hormones, antibiotiques et pesticides résiduels, des organismes pathogènes, nuisibles à la terre comme à ses habitants….
Alors, pour pousser un peu plus loin la logique industrialo-agricole, on construit des méthaniseurs. Une immense machine industrielle d’une puissance de 1,5 MW, qui servira à digérer les résidus et qui créera de l’énergie en même temps. Cette solution partielle ne fait que déplacer le gros du problème : les liquides de ce gros estomac mécanique sont diplomatiquement déclarés « acceptables en termes toxiques et cancérigènes ». Ils seront répandus sur les terres voisines. Dans une région pluvieuse comme celle de la ferme-usine en cause, cela revient à épandre directement dans les nappes phréatiques, à les charger en nitrates et à recréer le phénomène des algues vertes.
Le domaine alimentaire est aussi touché. Le projet vise la rationalisation économique de la production bovine, pas sa qualité. Les conditions de vie des vaches ne permettent pas de produire du bon lait ou une viande supérieure. Elles seront parquées, pressurisées, exploitées industriellement et saturées de produits chimiques.
Bref, elles ne verront jamais la couleur d’un pâturage, seront concentrées dans un espace restreint, seront bourrées de traitements antibiotiques préventifs pour éviter les épizooties, et n’auront aucun répit puisqu’elles seront soumises à trois traites par jour (contre une ou deux habituellement).
Les gens du coin se plaignent aussi de ce qu’une telle industrie détruit les campagnes qui se vident de leur vie et de leur âme.
Alors que le système agricole breton est à bout de souffle, que toutes les productions volières et porcines ferment, prouvant l’impéritie du modèle industriel agro-alimentaire, ce dernier se voit poussé à son paroxysme dans la Somme. En même temps, il serait erroné de nier complètement la dimension industrielle de l’agriculture moderne. En clair, on ne peut pas tout miser sur les produits labellisés de très haute qualité. L’enjeu est donc d’éviter les excès d’un côté comme de l’autre. Dans cette réflexion, l’exemple de l’industrie automobile pourrait s’avérer utile. Le problème en France dans ce secteur n’est pas tant le fait que Renault et PSA ne fabriquent que des voitures d’entrée et de milieu de gamme mais qu’il n’existe pas d’acteur majeur dans le domaine des véhicules de luxe. C’est très bien de fabriquer des Logan et des Clio mais il faut également pouvoir proposer des BMW, des Porsche voire des Maserati.
*Photo : Mathieu Eisinger.
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