Dix ans après Racaille football club, Daniel Riolo publie Chaos football club, avec Abdelkrim Branine, journaliste et par ailleurs auteur d’un roman, Le Petit Sultan. Derrière les grands succès internationaux du football français de ces dernières années, les deux auteurs décrivent un milieu qui ressemble de plus en plus à celui du banditisme. Avec une grande gueule toujours jubilatoire, Riolo anime l’After Foot, sur RMC Sport. Il a répondu à nos questions.
Causeur. Vous décrivez un paysage du football français apocalyptique ! Il y a dix ans, nous nous remettions tout juste de Knysna (la fameuse affaire des joueurs restés dans le bus lors de la Coupe du monde 2010, NDLR) et Deschamps prenait ses fonctions. Depuis, l’équipe de France est redevenue une sélection majeure. Vous dénoncez les derniers scandales qui émaillent notre football national, mais n’est-ce pas faire peu de cas du fantastique chemin parcouru en dix ans ?
Daniel Riolo. L’Équipe de France a totalement chamboulé son image. Il y a dix ans, les Bleus étaient mal aimés et la cicatrice Knysna a mis longtemps à se refermer. Deschamps est incontestablement le grand artisan de ce redressement. À partir du moment où la catastrophe du barrage face à l’Ukraine en 2013 a été évitée, tout est allé dans le bon sens. Mais même si le volet sportif est excellent, nous n’avons pas été épargnés par les affaires pour autant. Le cas Benzema, et l’affaire de la sex tape de Valbuena, ont failli provoquer une crise profonde juste avant l’Euro 2016. Une crise qui s’est transformée en problème sociétal. Benzema et les Bleus, c’est devenu un problème de société qui s’est accentué lors du dernier Mondial après son éviction[1].
Après le succès au Mondial 2018, la FFF a sombré dans un marasme sans fin. Pendant que les joueurs brillaient, en coulisse c’était la débandade. Les gens à la FFF ont visiblement plus fêté la victoire que les Bleus. On s’est cru tout permis. L’audit lancé en octobre dernier est la fin du processus de délitement de la FFF. Deschamps est un excellent meneur d’hommes, mais a-t-on le droit de douter de sa moralité ? Il a couvert et soutenu Le Graët, un président poussé dehors. L’autoritarisme, le système mafieux mis en place, on devrait quand même avoir le droit d’en parler. Gagner la Coupe du Monde ne donne pas tous les droits. D’autant que ce sont les joueurs qui ont gagné. Le Graët n’a rien gagné. Et il ne voulait même pas de Deschamps en 2012.
A l’époque, les M’Vila, Nasri ou Menez scandalisaient par leur attitude, notamment lors de l’Euro 2012. N’a-t-on pas fait de beaux progrès avec la génération Mbappé, beaucoup plus lisse, beaucoup plus présentable ?
Absolument. Pour autant, cette équipe de France n’est pas forcément lisse. Et ne pas être lisse n’est pas un compliment à mes yeux, si c’est pour être un sale gamin irrespectueux de tout. La génération Mbappé est en « mode US ». Professionnelle, carrée, droite, elle est composée de jeunes qui sont vite partis à l’étranger. Des joueurs qui ont vite quitté la France. En partant, ils ont été confrontés à une exigence et à un professionnalisme qu’on a toujours beaucoup de mal à mettre en place dans nos clubs.
Vous montrez un Deschamps machiavélique, mouillé dans quelques affaires durant sa carrière de joueur. Il vous attaque par ailleurs en justice pour diffamation. On pourrait vous rétorquer que c’est peut-être le prix à payer pour se constituer un tel palmarès…
Ah bon ? Alors quels sont les entraîneurs qui ont poussé à ce point le concept de « la fin justifie les moyens » ? Ancelotti ? Zidane ? Klopp ? Low ? Del Bosque ? Flick ? Luis Enrique ? Lippi ? Heynckes ? Guardiola ? Je n’ai pas oublié grand monde dans les vainqueurs de Coupe d’Europe ou du Monde des vingt dernières années, non ? Deschamps ne supporte pas quand on rappelle qu’il était sur le Phocea et qu’il a couvert tous les agissements de Tapie à l’OM[2]. C’est vieux tout ça. Bernes, son grand ami et agent non officiel, a tout reconnu et a longtemps fait dans la rédemption. Deschamps, non. J’ai beaucoup de respect pour Bernes d’ailleurs. Les deux étaient au courant de ce qu’il se passait à Knysna. Ont-ils œuvré pour aider ? Non, ils ont regardé, pour mieux prendre la place derrière. Aujourd’hui, la grande majorité de « ses amis » de France 98 se sont éloignés de lui. Nous, on sait comment il fonctionne, sa volonté de museler les médias, d’entretenir les courtisans. Il dit ne jamais écouter ce qu’il se dit. C’est faux. Il sait tout, entend tout et n’oublie rien. Deschamps est un excellent meneur d’hommes, un grand manager. Il sait comment gagner. Qu’on nous laisse juste le droit de ne pas aimer l’homme et ses valeurs. C’est fou d’être attaqué pour ça. On a le droit d’aimer ou de ne pas aimer Napoléon, De Gaulle, Mitterrand, de commenter leur action, mais pas Deschamps ? Il s’estime au-dessus des grandes figures historiques ? Il pense qu’on s’acharne sur lui, alors que mine de rien on vient de lui faire un sacré compliment là !
Durant l’été 2022, le milieu du foot a été secoué par l’affaire Pogba, sordide histoire de chantage opposant une fratrie, avec en arrière-fond des accusations folkloriques de maraboutage… On s’aperçoit que des joueurs majeurs peuvent se faire racketter par un entourage de frères et d’amis peu scrupuleux. Les armes à feu circulent allègrement dans l’entourage des joueurs, des agents également. Evidemment, on aura du mal à faire pleurer dans les chaumières avec ces problèmes de millionnaires. Est-on à l’abri qu’un joueur de l’équipe de France finisse par prendre une balle perdue, un de ces jours ?
Un joueur, je ne sais pas. Mais une personne « liée » au foot, ça peut arriver. Récemment une personne enquêtant sur un dossier chaud du milieu nous confiait être convaincu que ça allait mal tourner et que ça arriverait ! Nous, dans notre livre, le millionnaire qui doit faire pleurer ou pas, on s’en fout, effectivement : on raconte juste l’affaire Pogba. On évoque aussi le drame que vit Kanté, millionnaire sous pression d’un entourage néfaste. De plus en plus de joueurs vivent sous pression. Ils sont obligés de payer une protection qui s’avère être souvent plus dangereuse que la menace.
Vous présentez également une présidence de la FFF complètement opaque, avec des réseaux autour de Noël Le Graët, notamment bretons et socialistes. Vous montrez aussi comment Mbappé s’est retrouvé embrigadé, via sa mère, dans le soutien à la candidate socialiste de la mairie de Bondy. Il n’y a plus que les stars du football qui s’intéressent au vieux Parti Socialiste, ma parole !
(rires) Oui, on n’y avait pas pensé, tiens ! Pour Le Graët, ça a été sa protection pendant des années. Le PS et les francs-maçons. Pour la mère de Kylian Mnappé, ce sont les vieux amis de Bondy. Mais Mbappé a évolué, et comme les jeunes socialistes, il est devenu macroniste !
Il n’était pourtant pas très réceptif aux mamours du président Macron, après la finale de décembre au Qatar… On vous a collé l’étiquette du journaliste sportif plutôt de droite. Cela vous convient-il ?
Je réponds pour moi, car je ne connais pas les opinions de mon co-auteur Abdelkrim. C’est drôle le « plutôt » de droite. Cette tradition française à flipper de dire ça ! Mon Dieu, ça fout encore les jetons de le dire, surtout quand on est journaliste… Alors oui, je suis de droite. Normal, je viens d’un milieu ouvrier. Et je n’ai jamais cru aux balivernes de la gauche française. J’ai grandi sous Mitterrand, l’homme d’extrême-droite qui a fait croire qu’il était de gauche. Généralement quand on tape sur De Gaulle, à mes yeux, on est suspect. Gaulliste donc. J’ai toujours été fasciné par la Résistance, les compagnons de la Libération. Kessel, Druon, Malraux… Et même si en Sicile, dans mon village, tout le monde était communiste (fort heureusement le PCI n’avait rien à voir avec le PCF), moi, j’étais différent. Une sorte d’OVNI. Je suis d’une droite imaginaire car je ne l’ai jamais vraiment vue. Déçu par Chirac, j’ai cru en Sarko en 2007 grâce à Henri Guaino, mais deux jours plus tard, j’ai vomi sur le yacht de Bolloré : ça bougeait trop. Et puis, les marqueurs changent vite. Face aux dangereux coupeurs de tête LFistes, je trouve sympa la future gauche de Cazeneuve, c’est vous dire… Finalement, je suis persuadé qu’une grande majorité de Français voient les choses de la même façon que moi. Mais les « boutiques politiques » empêchent ce grand courant de s’exprimer.
Vous décrivez dans le bouquin un milieu de jeunes joueurs pas du tout insensibles aux thèmes antisémites et homophobes… Pouvez-vous revenir sur l’histoire de ce formateur reçu à Troyes pour faire de la prévention contre l’homophobie ?
Oh c’est très simple. Il s’est fait virer[3] par les jeunes du centre de formation et a terminé dans sa voiture en larmes. La mentalité « quartier » se nourrit culturellement aux excès du rap, et se retrouve chez les jeunes des centres de formation. En grande majorité, ils viennent de là. Les formateurs font plus de social que de foot quasiment ! Après, il y a comme un paradoxe ; en groupe, c’est un cauchemar ; individuellement, quand ils doivent répondre à des questions, ces jeunes sont plus ouverts et ne sont pas insensibles au dialogue. Ils sont demandeurs pour beaucoup d’un échange. Mais le chemin est compliqué car le culture ghetto fait des ravages.
Le modèle économique des clubs français dépend largement de la vente des joueurs dans les autres championnats, lesquels dépendent des droits TV. Vous montrez aussi que malgré la passion qu’il suscite dans presque tous les pays du monde, le football n’a pas une solidité économique aussi forte que le football américain. Je me demande pour ma part s’il n’y a pas un risque de non-renouvellement du public. Le football est devenu rare sur les télés « gratuites ». Quand j’avais 10 ans, je négociais le mercredi soir pour pouvoir regarder la Champions League et le dimanche pour regarder Téléfoot plutôt que d’aller à la messe. N’y a-t-il pas un risque que les jeunes générations, happées par d’autres supports (Netflix) se détournent du football et échappent au « virus » que l’on contracte souvent autour de 10/12 ans ? A terme, le football ne pourrait-il pas devenir un sport « ringard », comme l’est devenu le vélo ?
Je partage votre constat. Et d’ailleurs, beaucoup de dirigeants le partagent. À tel point que certains d’entre eux veulent inventer un nouveau football à travers de nouvelles compétitions comme la Super Ligue[4]. La réponse de l’UEFA et de la FIFA est aussi de créer de nouvelles compétitions. C’est la preuve que tout le monde flippe d’un recul du foot, et estime nécessaire de le relancer. Le débat porte aujourd’hui sur le comment et avec qui, mais oui le foot est à un tournant.
Entre la joueuse Diallo, qui entretient une relation à distance avec une jeune femme en se faisant passer pour un homme et en trafiquant sa voix sur une application, des jeunes joueurs recrutés par des agents dans des soirées où circulent des gaz hilarants, un Le Graet torché des 9 h du matin faisant régner la terreur dans les bureaux de la FFF, on a parfois l’impression d’avoir à faire à un asile de fous ! Pourtant, tous les soirs, vous êtes au micro dans l’After, pour commenter l’actualité du ballon rond. La lassitude ne vous menace-t-elle pas ?
La lassitude, tous les ans j’en parle. Je l’envisage, j’en ai peur, je m’inquiète. C’est mon sujet de juin généralement… Et puis je pars en vacances. Et quand je reviens à la radio, je suis content. Ma peur disparaît et je repars. Le foot régénère. L’été dernier, c’était l’affaire Pogba, le livre qui se préparait. Il se passe toujours un truc. Et puis, imaginez les journalistes politiques ou autres. Eux aussi, ce n’est pas toujours très beau ou propre ; et ils ne dépriment pas, ils avancent. L’After est une bénédiction depuis 17 ans. Je bosse avec des gens super, une bande incroyable. On a des boss qui nous soutiennent et ce n’est pas toujours simple. Alors être lassé ? Se plaindre ? Non franchement, ça serait indécent.
[1] Il suffit de faire un tour sur les pages Facebook de L’Equipe ou de RMC Sport pour observer un clivage très largement ethnique entre les pro-Benzema et les pro-Giroud, ndlr.
[2] Alors que Marseille s’apprête à disputer la finale de la Ligue des Champions 1993 mais aussi un anonyme match de championnat contre Valenciennes, Bernard Tapie a l’idée, sur son bateau, d’organiser une tentative de corruption sur plusieurs joueurs valenciennois. Didier Deschamps est ce jour-là sur le bateau, sur lequel venait d’être tourné un numéro de Téléfoot, grand-messe du football français à l’époque, ndlr.
[3] Aux cris de « Qu’est-ce que tu fous ici toi, casse-toi, sale pédé », ndlr.
[4] Une sorte de championnat « fermé », réservé aux très gros clubs, sans relégation possible, sur le modèle de la NBA, qu’une quinzaine de clubs européens ont tenté de lancer au printemps 2021, provoquant la colère de presque tous les amateurs de football, ndlr.
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