En ce long week-end de Pentecôte, ordinairement désertique en matière d’actualité, hormis les marronniers de la Croisette et de Roland Garros, l’annonce de l’obtention de la nationalité française par Dany Cohn-Bendit a reçu un écho remarquable. Ce n’était pourtant pas une surprise, car l’intéressé avait déjà fait savoir urbi et orbi, notamment dans un long entretien accordé au Point en mars, qu’il avait sollicité sa naturalisation auprès des autorités compétentes. Le scoop eût été qu’on la lui refusât, ce qui n’aurait pas été élégant, mais juridiquement justifiable : la résidence principale du demandeur est située à Francfort-sur-le-Main, en Allemagne, son épouse est allemande, et il a refusé, à sa majorité de devenir français au bénéfice du « droit du sol » (il est né en 1945 à Montauban, de parents apatrides), pour ne pas avoir à effectuer son service militaire. L’Allemagne repentante ayant rendu sa nationalité à son juif de père, le fils s’en accommoda fort bien, même si sa mère, restée en France, choisit, elle, de devenir française.
Bienvenue, donc, parmi nous, cher Dany, et félicitations pour avoir eu droit à un appel téléphonique personnel du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve pour annoncer la bonne nouvelle, alors que le naturalisé de base doit se contenter d’un avis de passage du facteur l’invitant à retirer un pli recommandé au bureau de poste. Les préposés à la distribution du courrier n’ont plus le temps de remettre ce genre de documents en mains propres, ni de trinquer avec le récipiendaire à la santé de notre si bonne République.
On nous permettra, cependant, de nous étonner de cette tardive adhésion à la nation française, alors que l’intéressé a passé l’essentiel de sa brillante carrière politique à défendre des positions postnationales, d’abord internationalistes (version anarchiste, sans patrie ni frontières), puis fermement européistes, prônant l’instauration d’une citoyenneté européenne dépassant les vieilles assignations à résidence symbolique dans un Etat-Nation. On pourrait croire que Cohn-Bendit, pas son geste, tire le bilan de l’échec de l’utopie qu’il a tenté, avec constance et panache, d’inscrire dans le réel au cours de sa vie publique, et qu’il procède ainsi à une forme d’autocritique admettant, au soir de sa vie, que l’identité nationale a encore de longs et beau jours devant elle… Or, il n’en est rien : il explique son choix, en affirmant qu’il se « sent » tout autant français qu’allemand, et qu’il n’y a pas de raison pour que ce sentiment ne figure pas sur son état-civil, puisque l’état du droit le permet. Pour un homme politique de son calibre, on conviendra que c’est un peu court.
Quand il est en veine de confidences, il ajoute que c’est pour son fils unique, Bela, âgé de 24 ans et étudiant en économie à Berlin (il veut devenir trader !) qu’il a engagé sa démarche de naturalisation. « Bela est très francophile » explique-t-il « D’ailleurs, pendant la Coupe du monde de foot, il soutient les Bleus plutôt que la Mannschaft. Si je suis naturalisé, il pourra alors obtenir la double nationalité franco-allemande, alors qu’actuellement cela n’est pas possible… » C’est également par des pressions familiales, celles de son épouse Ingrid, qu’il explique son regain d’intérêt pour son rapport au judaïsme, un sujet sur lequel il travaille en vue de la publication d’un livre. « C’est elle qui m’a persuadé de creuser le sujet, car elle pense que c’est une question sérieuse et qu’il n’est pas suffisant de la traiter par des pirouettes rhétoriques, comme je l’ai fait jusqu’à présent… » La famille a bon dos, si l’on ose dire, et notre cher Dany en fait usage comme l’inspecteur Columbo se sert de sa femme – qu’on ne voit jamais – pour paraître naïf, et emberlificoter les criminels dans ses rets policiers.
On peut néanmoins le croire quand il rejette sans appel les interprétations des observateurs patentés qui le soupçonnent d’être devenu français pour jouer sa partition dans le débat politique français, dans la perspective de l’élection présidentielle de 2017. Certes, il ne pourra pas se retenir de mettre son grain de sel dans la tambouille politicienne à venir – on ne se refait pas -, mais un retour en fanfare de Dany le rouge dans l’arène électorale, du genre du hold up réussi, au profit des Verts, aux européennes de 2009 et aux régionales de 2010 est exclu. Son aversion pour les actuels dirigeants d’EELV est incommensurable, et surtout, il a une chose bien plus importante à faire avant de quitter ce bas monde : assurer sa vie posthume, peaufiner son image historique pour lui donner la place qui lui est due, très importante à son avis. Ce souci est devenu pour lui une sorte d’obsession. Elle pointe son nez lorsqu’il avoue au Point qu’il songe à enregistrer son propre éloge funèbre destiné à être diffusé lors de ses obsèques ! L’idée lui en est venue lorsqu’il participa, comme acteur, au charmant et narcissique petit film de son ami Romain Goupil, Les jours venus, dans une séquence où le héros-réalisateur met en scène ses propres funérailles en présence de ses vieux amis soixante-huitards, Henri Weber, Alain Krivine, Arnaud Desplechin, et où Dany Cohn-Bendit s’exclame, hilare :« Trotskiste un jour, tyran toujours ! ». Et c’est là que la nationalité française prend toute son importance.
La France traite mieux ses grands hommes que l’Allemagne. Elle les chouchoute, elle les bichonne, elle leur pardonne leurs péchés, les rassemble par-delà leurs oppositions politiques. Elle a même désaffecté une église parisienne afin d’en faire un mausolée pour ceux qu’elle entend honorer ad vitam aeternam. À supposer, ce qu’à Dieu ne plaise, que dans un demi-siècle, un écolo accède à l’Elysée, le choix d’une personnalité de cette mouvance apte à entrer au Panthéon sera forcément réduit : René Dumont, peut-être, et… Dany Cohn-Bendit. Une fois son auto-éloge funèbre mis en boite, il pourra donc se mettre à la rédaction d’un texte dont la première phrase lui trotte déjà dans la tête : « Entre ici, Daniel Cohn-Bendit, avec ton long cortège d’anarchistes, d’écolos, de LGBT, de footballeurs et belles actrices… »
*Photo : BALTEL/SIPA. 00700535_000023.
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