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Danemark, l’autre pays du leave?


Danemark, l’autre pays du leave?
David Cameron rencontre son homologue danois, février 2016. Photo: Mathias Loevgreen Bojesen.
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David Cameron rencontre son homologue danois, février 2016. Photo: Mathias Loevgreen Bojesen.

« Organiser en Grande-Bretagne un référendum sur l’Union européenne a été une erreur. » En France, un tel propos ne ferait sursauter personne. Ce fut même notre ordinaire médiatique durant les jours qui ont suivi la victoire du leave outre-Manche : des élites scandalisées, outragées, mais en aucun cas découragées (c’est à cela qu’on reconnaît l’objet passionnel) se sont relayées à la télévision et à la radio pour nous dire tout le mal qu’elles pensaient du référendum en général, et du Brexit en particulier.

« Dérapage » européiste

Au Danemark, ce propos sur « l’erreur » de David Cameron (en danois, « fejl » a aussi le sens de faute, voire de péché) scandalisa de la pire façon : on y a perçu de l’arrogance, c’est-à-dire un péché contre la démocratie. Les réseaux sociaux et une partie de la presse (parfois enthousiaste vis-à-vis du Brexit) se sont enflammés contre son auteur, Mogens Lykketoft, un hiérarque social-démocrate, ancien ministre, ancien président du Parlement, devenu, après la défaite de son parti, président de la 70e conférence des Nations unies. Pour l’opinion danoise, les honneurs obligent. Ils ne dispensent pas. On ne dénie pas impunément au peuple le droit de choisir, même en prétendant « défendre la démocratie représentative ».
Pourtant, il y a bien aussi au Danemark des gens « raisonnables » qui regrettent sobrement le résultat du référendum : la Grande-Bretagne est le cinquième partenaire économique du Danemark ; elle absorbe 7 % de ses exportations ; on évoque 13 000 emplois menacés par une sortie « sèche » du Royaume-Uni. Dans l’expression de ces inquiétudes, il n’est nulle question de grand dessein européen, de vision indépassable ou de rêve brisé, mais de business, tout simplement.[access capability= »lire_inedits »]

Ces gens raisonnables dominent encore le Parlement, et il n’est pour l’instant pas question d’organiser un référendum similaire au Danemark. Même si la majorité de droite est légèrement dominée par le parti du peuple danois (DF, europhobe), la seule possibilité d’une alliance de revers entre les libéraux au pouvoir et les sociaux-démocrates, actuellement dans l’opposition, muselle le parti populiste. Face à ce bloc europhile, le parti du peuple danois ne peut compter que sur le soutien de l’Alliance libérale et, de l’autre côté de l’échiquier politique, de la liste unitaire (rouges-verts). Cet ensemble disparate ne peut ni former une majorité de gouvernement ni même arracher la tenue d’un référendum sur l’appartenance du Danemark à l’Union européenne. Sur les 179 députés du Parlement, il manque encore une petite dizaine de voix pour parvenir à la majorité requise.

Dans le pays en revanche, le vent gronde contre cette Europe que le Danemark n’a rejoint que sur le tard (1972), sans enthousiasme et dans le sillage du Royaume-Uni. Aux griefs traditionnels que les Scandinaves opposent à l’UE (absence de démocratie, négation des particularismes nationaux, inefficacité économique, mise en cause des protections sociales), est venu s’ajouter le souvenir du chaos migratoire de l’été et de l’automne 2015. En France, on ne l’a éprouvé que d’assez loin, mais ici le souvenir en est vivace, douloureux, concret. Dans son bureau du centre d’Århus (Jutland), Juan, bien que Danois d’origine chilienne, s’emporte à la seule évocation de ce moment de l’histoire européenne. « Ils n’ont que le mot “frontières communes” à la bouche, et se sont empressés de les ouvrir à tous les vents. Et tout ça, parce que l’extrême-gauche suédoise a réussi à forcer la main au continent tout entier. » Le propos revient souvent quand on interroge les gens et, à l’instar de Juan, vieil électeur social-démocrate, il ne concerne pas que les électeur du DF : l’accueil des réfugiés « avec des fleurs », le chantage moral et médiatique des Suédois, le suivisme d’Angela Merkel transformant le flux de réfugiés en torrent, enfin la tentative européenne d’imposer aux récalcitrants des quotas de réfugiés, ont radicalisé le scepticisme et la prudence traditionnels des Danois vis-à-vis de la construction européenne : il s’agit désormais d’une hostilité franche, attisée par les sentiments peu amènes que les Danois et les Suédois se portent souvent. Il n’est guère douteux qu’une campagne référendaire axée sur le thème des frontières nationales et de la maîtrise de l’immigration serait sinon victorieuse à coup sûr, du moins très efficace.

L’Europe à la carte a échoué

Dans l’immédiat, on ne leur demandera donc rien. Kristian Jensen, le ministre libéral des Affaires étrangères, le répète sur tous les tons : il n’y aura pas de référendum. Mais jusqu’à quand ? Privés du partenaire britannique dont ils partageaient les exemptions, notamment vis-à-vis de l’euro (rappelons que les États qui ne l’ont pas adopté – Tchéquie, Pologne, etc. – sont censés le faire progressivement), les Danois risquent, dans les mois et les années qui viennent d’avoir affaire à des partenaires moins conciliants et mus par une volonté intégratrice plus soutenue. Du point de vue européen, la sortie du Royaume-Uni marque l’échec d’une construction à la carte et de l’option « un pied dedans, un pied dehors ». Non seulement la politique des petits pas et des exceptions ne désarme pas les adversaires de l’Union, mais de plus elle décourage les derniers fidèles du projet européen. Même si l’euroscepticisme pousse les gouvernants à la prudence et à la ruse, la logique du saut fédéral, qualifié ainsi ou non, s’impose dans certains cercles. On va vers un nouveau traité. Reste à en connaître le contenu exact, la date de mise en œuvre… et surtout les modalités d’une éventuelle ratification.

Or l’un des enjeux du référendum de décembre dernier au Danemark portait justement sur cette question : la possibilité d’adopter à la majorité parlementaire simple des amendements à la politique européenne. Les électeurs ont refusé cette possibilité. Toute nouvelle avancée dans la construction européenne devra donc être soumise à référendum… avec le résultat que l’on devine.

C’est à ce blocage que vont se confronter non seulement les partis de gouvernement danois mais aussi l’Union européenne, partagée entre sa volonté d’avancer et le risque de laisser d’autres membres de l’Union sur le bas-côté. Le Danemark, malgré toutes les protestations de bonne foi européenne de sa classe dirigeante actuelle, risque, à la première clarification venue, de se retrouver hors jeu… et finalement, pour sortir de l’impasse et de la double hostilité de son opinion publique et de ses partenaires européens, de choisir la voie britannique. A fortiori si, d’ici là, non seulement l’accord de sortie du Royaume-Uni est favorable à ce dernier, mais que la société britannique prouve sa vitalité, dans le libre destin qu’elle s’est choisi.[/access]

Été 2016 - #37

Article extrait du Magazine Causeur



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