À force de fréquenter les bouquinistes, on a empilé les livres depuis des années. Le confinement est l’occasion de les lire ou les relire. Aujourd’hui, Dan Kavanagh.
Loin de tous les clichés pur tweed véhiculés sur l’Angleterre et ses enquêteurs en chambre dans les bibliothèques de vieux manoirs, les romans noirs de Dan Kavanagh préfèrent autopsier la violence sociale d’un pays en crise, dont la bonne santé apparente des années Thatcher masquait de plus en plus mal les failles béantes de la paupérisation des plus faibles. Pour cela, à travers une demi-douzaine de romans, Dan Kavanagh a choisi le personnage de Duffy. Cet ancien flic dirige une société de gardiennage à Londres et loue à l’occasion ses services comme détective privé. Dans Vol à tous les étages, c’est dans les entrepôts tentaculaires de l’aéroport d’Heathrow que Duffy va exercer ses talents.
Docteur Barnes et Mister Kavanagh
Après la mort d’un employé lors d’un accident de la route pour le moins suspect, et la disparition de produits divers, le responsable des entrepôts demande à Duffy de s’infiltrer parmi les manutentionnaires. Entre deux planques, Duffy va poursuivre, dans un Londres décati, pluvieux, parfois sordide et qui ressemble à une ville de pays totalitaire, son existence floue de marginal bisexuel amateur de boites gay et amant épisodique de Patricia, une ex-collègue de la police.
Dan Kavanagh, on le connaît davantage sous son vrai nom : Julian Barnes, un écrivain plein d’humour et de mélancolie quand il nous raconte avec une pudeur nostalgique des histoires d’amour qui tournent mal comme dans Une fille, qui danse ou La seule histoire parus récemment au Mercure de France. Barnes avait même commis un best-seller érudit et malin, au milieu des années 80 avec Le Perroquet de Flaubert.
Le port de la magouille!
Sous le nom de Kavanagh, il refuse les effets faciles inhérents à la (mauvaise) littérature de genre. Dans Vol à tous les étages, réédition en 1993 par Actes Sud d’une Série Noire de 1982 parue sous le titre assez honteux de Le Port de la magouille, il s’offre même le luxe de désamorcer sa propre intrigue, la réduisant à un simple malentendu. Cela ne l’empêche pas pourtant, et c’est sans doute le vrai but de tous les bons romans noirs, de peindre la brutalité d’une époque, ses désirs en désordre et sa solitude, avec une distance et une ironie des plus convaincantes. Il réussit ainsi à transformer le Londres policé et aimable de l’image d’Épinal en une Babylone dont les bordels minables, les combines foireuses, la course au fric et le déclin inéluctable donnent un avant-goût amer d’un effondrement définitif, comme si le monde avait fini par être fatigué de lui-même.
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