À quoi reconnaît-on un bon écrivain ? Par exemple à sa manière de jouer avec les codes, les règles, les genres, de les subvertir mais, évidemment, pas de les supprimer, ce que font les avant-gardes paresseuses qui donnent ainsi une factice impression de nouveauté au lecteur éberlué. A ce titre, Dan Fante est incontestablement un bon écrivain et son roman noir Point Dume (Seuil/Policier) est un exemple de ce qu’affirme c la sagesse populaire : c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes.
On retrouve chez Dan Fante, d’emblée, quelques archétypes du roman noir qu’on pourrait croire usés jusqu’à la corde, l’ex-détective privé qui passe sa vie aux Alcooliques Anonymes, la femme fatale, le tueur sadique, le flic ripoux vendeur d’armes. On a presque l’impression de reconnaître de vieux amis dans de vieux décors, ici Los Angeles et Malibu. Mais voilà, Dan Fante est le fils du grand John Fante, celui du Rêve de Bunker Hill, et il a hérité de son père non seulement une forte propension à l’ivrognerie mais aussi une manière de style à la fois brutal, évident, efficace qui refuse le chantournement mais qui n’empêche pas une sourde mélancolie et une attention aux mouvements les plus imperceptibles des âmes en détresse.
Le narrateur de Point Dume, JD Fiorella est de fait un véritable double de Dan Fante. Comme son créateur, Fiorella est un ivrogne repenti, il a un père écrasant qui fut un grand écrivain méconnu et un scénariste alimentaire pour Hollywood et il a même publié un recueil de poèmes comme l’a fait Dan Fante dont nous recommandons au passage les excellents Bon baisers de la grosse Barmaid et De l’alcool dur et du génie où la poésie ressemble elle aussi à un roman noir, partagé entre violence, désespoir et instants de lyrisme lumineux :
Je suis redevenu ce gamin ivre de printemps
qui fonçait à vélo dans les petites rues de New York
devant les bornes d’incendie ouvertes
-trempé jusqu’aux os
lançant ma vie vers un ciel
où Dieu sautait à la corde. »
Fiorella, lui, est poursuivi par des cauchemars qui lui viennent de son époque new-yorkaise quand il fut impliqué dans une tuerie du temps où il était privé. Sur la côte Ouest, il vit comme un vieux garçon avec sa mère, la veuve du grand écrivain, dans une grande maison qui tombe en ruine progressivement près de la plage de Point Dume. Il essaie de bosser dans les voitures d’occasion entre deux réunions aux AA où il croise pas mal d’ex–vedettes de la télé ou du cinéma et il ne faut pas rater ces scènes qui nous donnent une certaine idée du monde du travail aux USA qui ferait saliver d’envie notre Gattaz national.
Et puis tout déraille, évidemment, assez vite. Fiorella va d’abord s’embrouiller avec la conductrice d’une Porsche jaune qu’il avait d’abord prise pour un homme et son seul pote des AA est retrouvé mort, le pénis tranché. Fiorella, sans qu’il sache pourquoi s’empare de l’appendice avant l’arrivée de la police et va l’inhumer dans son jardin. Il fait aussi ajouter l’incendie de la voiture maternelle, une vieille Honda rouge, qui était son seul moyen de transport dans une ville où les piétons ont une espérance de vie très limitée, et son licenciement de la concession d’occasions suite à une vente où les clients ont donné un chèque en bois.
Dans ce chaos, Fiorella retrouve de vieux réflexes et essaie de comprendre ce qui se passe et si par hasard ce ne serait pas cette engueulade à propos d’une queue de poisson avec la fille en Porsche qui serait à l’origine de tout ça. Evidemment, tout sera beaucoup plus compliqué car si Dan Fante est non seulement un écrivain qui sait jouer sur tout le clavier, c’est aussi un vrai raconteur d’histoires avec une intrigue aux détours formidablement vicieux.
Point Dume de Dan Fante (Seuil/Policier).
*Photo : Cory Doctorow.
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