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Damien Serieyx, un éditeur à l’offensive

De grands éditeurs résistent, bravent les interdits édictés par la pensée convenable et convenue.


Damien Serieyx, un éditeur à l’offensive
Damien Serieyx / ©Hannah Assouline

L’Artilleur s’est imposé comme l’éditeur des esprits résistants et à contre-courant. À sa tête, Damien Serieyx, un homme rigoureux et courageux qui met un point d’honneur à témoigner du monde réel quand tant d’autres l’occultent.


Le livre était épuisé. Nous attendions depuis des années sa réédition. Marcel Gauchet, Alain Finkielkraut, Jean-Pierre Le Goff s’y référaient volontiers et faisaient naître en nous le désir ardent de le découvrir. Et L’Artilleur vint. En septembre dernier, Voyage au centre du malaise français : l’antiracisme et le roman national de Paul Yonnet, publié en 1993 aux éditions Gallimard, reparaissait.

À n’en pas douter Damien Serieyx ne goûterait guère cette grandiloquence. L’emphase n’est pas son genre. Elle n’est pas, cependant, totalement injustifiée : Christopher Caldwell, Roger Scruton, Douglas Murray, Paul Collier, Georges Bensoussan, Michèle Tribalat, Ingrid Riocreux ou encore Pierre Manent, Jacques Julliard, Marcel Gauchet sont quelques-uns de ses auteurs et/ou préfaciers. Des pensées rigoureuses, ciselées, éminemment précieuses. Et pourtant, leurs livres sont rarement chroniqués dans la presse ou désespérément absents des tables et rayons des librairies les plus en vue – « Je me souviens, raconte ainsi Michèle Tribalat, avoir demandé à La Hune, boulevard Saint-Germain, le livre de Christopher Caldwell qui venait de paraître en français, il m’a été répondu que la librairie ne le vendait pas et s’en faisait une fierté ». Cette maison est jugée infréquentable par ces chers « petits » libraires que nous sommes sommés de « défendre » contre le géant du Net, mais qui se croient fâcheusement investis du magistère moral de l’opinion publique. Grâce soit ici rendue à Amazone qui, business is business, ignore la censure ! [1] 

L’ostracisme aiguisant la curiosité, j’ai voulu savoir qui se cachait derrière les éditions du Toucan/L’Artilleur. Un agitateur ? Un Cassandre ? Un « populiste » ?

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Rien de tout cela. Damien Serieyz est un esprit libre, un franc-tireur ayant la passion de comprendre, la passion du réel, l’exact contraire d’un idéologue. « Gaudium veritatis », « la joie de la vérité », la magnifique épitaphe que Paul Yonnet a demandé de faire graver sur sa tombe, ainsi que nous le rappelle Éric Conan dans sa postface au Voyage… pourrait être sa devise et celle de sa maison. Tout comme le mot de Rousseau à d’Alembert : « Que de questions je trouve dans celles que vous semblez résoudre. » Fidèle au grand esprit européen, il n’est pas pour lui de fruits défendus. Partout l’esprit doit pouvoir se risquer : immigration, islamisation de la France, antiracisme, climat, écologie, médias…

Après avoir occupé différents postes dans de grandes maisons d’édition (Calmann-Lévy, Stock, Le Seuil) et fort du constat que certains livres, et surtout certains sujets, ne passaient jamais la barre des comités de lecture, Damien Serieyz fonde en 2006 les Éditions du Toucan, lesquelles deviennent totalement indépendantes en 2010, s’adjoignant alors le titre de L’Artilleur. Pourquoi ce double nom ? « Le Toucan afin d’introduire un peu de légèreté, de contrebalancer la gravité du second », répond-il tout en mettant en garde contre la tentation de lester de signification ce qui ne fut qu’un choix parmi d’autres possibles.

Parfaitement étranger à la vogue du « storytelling », de ces biopics dont notre époque raffole, Damien Serieyx ne vous racontera pas l’histoire du cadre confortablement établi plaquant tout du jour au lendemain pour répondre à l’appel de l’« aventure », impatient de « donner du sens à sa vie ». Si toutefois il devait retenir une date, ce serait 2005 et le contournement parlementaire de la volonté majoritairement exprimée lors du référendum européen, le mépris du peuple qu’il signifiait et l’abîme qu’il ouvrait entre l’élite et les Français de chair. L’« élite » voulait évacuer le débat ? Il contribuerait, à sa modeste échelle, à le faire revenir.

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Ses auteurs et ses compagnons de route rendent unanimement hommage à ce que l’on pourrait appeler le don d’hospitalité de Damien Serieyx. Sa maison offre en effet un refuge aux auteurs dont les ouvrages sont refusés par les grandes maisons. Ne nous y trompons pas toutefois : être refusé par une maison d’édition ne vaut pas en soi brevet de qualité et d’intérêt. L’Artilleur n’est pas le salon des refusés ou alors au sens de celui de 1863. Serieyx n’est pas sans boussole ni sans exigence : à bien considérer son catalogue, on peut observer que ce sont moins des essais, avec ce que le genre peut avoir d’humoral, moins encore des philippiques, qu’il choisit de publier, que des livres d’enquête, des ouvrages visant d’abord à établir des données factuelles. Ce qui ne signifie pas pour autant des livres à la froideur mécanique de spécialistes : ses auteurs sont concernés par ce qu’ils écrivent, inquiets pour la France, pour l’Occident ; ils n’affectent pas cette distance convenue, gage de respectabilité médiatique.

Damien Serieyx ne se contente pas d’accueillir les âmes en peine, sans domicile éditorial. Il furète et sait l’art de repérer des pensées puissamment nourricières pour qui veut connaître et comprendre le monde dans lequel nous sommes venus à vivre et continuerons de vivre sans un sursaut collectif. Ainsi prit-il l’initiative de solliciter Michèle Tribalat : « J’ai connu Damien lors de la parution du livre de Christopher Caldwell, Reflections on the Revolution in Europe: Immigration, Islam and the West (Doubleday) en 2009, se souvient la démographe. Ce livre m’avait bluffée. J’en avais fait une recension en 2010 et en parlais lors d’interventions dans les médias. C’est comme cela que Damien a entendu parler de ce livre. Il a pris alors contact avec moi car il avait décidé d’en offrir la traduction au public français et m’a demandé d’en écrire la préface. Il est curieux, gentil (pour moi, c’est un compliment !) et présent sans être arrogant. Lorsque j’ai écrit mon livre sur la fin du modèle français d’assimilation, publier chez lui a été pour moi une évidence. Même chose pour mon livre sur les statistiques ethniques (qui ne lui a sans doute rien rapporté). Quant à mon dernier livre, c’est Damien qui m’a tannée pour que je l’écrive. Lorsque je lui ai dit qu’il allait perdre de l’argent, il m’a répondu : “C’est mon problème, pas le vôtre !” »

Ingrid Riocreux salue également le travail de Damien Serieyx : « Je lui suis très reconnaissante pour la chance qu’il m’a donnée. J’avais écrit La Langue des médias juste après ma thèse de littérature française ; le style autant que le plan général étaient très imprégnés de cet esprit académique, que je pensais nécessaire à la crédibilité des idées que je développais. En l’état, le livre avait peu de chances de plaire, et Damien me l’a dit. Mais il n’a pas jeté mon manuscrit à la poubelle ! Il m’a incitée à retravailler mon texte pour trouver l’équilibre entre rigueur de la démonstration et verve polémique ; il m’a aidée à repenser la structure globale de l’essai. Et il a été très lucide en préparant la promotion du livre : “C’est un pari risqué ; concrètement, il s’agit de demander aux médias de promouvoir un livre qui les discrédite”. Il a ce mélange d’humanité et de professionnalisme qui inspire une grande confiance. »

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L’autre caractéristique de L’Artilleur, sur laquelle insiste à juste titre l’ancien journaliste Éric Conan : l’attention extrême que Damien Serieyx prête à ce qui se publie à l’étranger, partant, l’extraordinaire travail de traduction auquel il se voue – le mot n’est pas excessif car la traduction, essentielle à la vitalité de la vie intellectuelle, engage des sommes colossales. De là l’étincelant florilège d’auteurs étrangers que Serieyx peut se flatter d’avoir fait connaître en France, ainsi de Roger Scruton – dont on aimerait tant qu’il publie l’insigne contribution à la réflexion sur l’écologie, Green Philosophy : How to Think Seriously About the Planet –, de Douglas Murray ou encore de Paul Collier – Exodus : immigration et multiculturalisme au xxie siècle, un de ses rares ouvrages chroniqués par Le Monde.

L’existence de cette maison et la suspicion qui l’enveloppe s’éclairent du tableau que peint Marcel Gauchet dans sa préface au Voyage au centre du malaise français, nous inspirant, à nous qui n’étions pas en âge de la vivre, une profonde nostalgie pour cette parenthèse heureuse que fut la décennie 1980, entre la sortie de la folie gauchiste et l’entrée dans le maccarthysme politiquement correct.

De grands éditeurs – à commencer par mon éditrice Muriel Beyer à la tête de L’Observatoire – résistent, bravent les interdits édictés par la pensée convenable et convenue – mais la caporalisation, la « normalisation », selon le mot d’Éric Conan, va bon train. Les citadelles tombent les unes après les autres.


[1]. À quand d’ailleurs une grande enquête sur ce pouvoir de vie et de mort que s’arrogent les libraires ? En vue de cet article, à ma modeste échelle, vivant dans le 13e arrondissement, j’ai testé pour vous la célèbre librairie Jonas, et j’ai envoyé des émissaires à la librairie L’Atelier dans le 19e, ou encore à Tout lire dans le 20e. Douglas Muray ? Paul Yonnet ? Effacés.




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est docteur en philosophie. Derniers essais: Libérons-nous du féminisme! (2018), Le Crépuscule des idoles progressistes (2017)

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