«Dalton Trumbo», une fable hollywoodienne


«Dalton Trumbo», une fable hollywoodienne
(Photo : Hilary Bronwyn Gayle)
(Photo : Hilary Bronwyn Gayle)

Quand on ne supporte plus la production cinématographique française courante oscillant entre le narcissisme intimiste et le lourd prêchi-prêcha écolo-gauchiste, un biopic américain de bonne facture peut vous réconcilier avec le bonheur de se faire une toile, vite fait, bien fait, quand la vraie vie est un peu languissante, voire carrément chiante.

Dalton Trumbo de Jay Roach raconte l’histoire du bonhomme donnant son titre au film, un scénariste vedette d’Hollywood, dont la carrière fut brisée (enfin, pas tout à fait) par la furie épuratrice de la Commission des activités anti-américaines du Congrès des Etats-Unis, dirigée par le sulfureux Joseph McCarthy. Dalton Trumbo est le porte-drapeau de ces « dix d’Hollywood », réalisateurs, scénaristes, acteurs et techniciens qui refusèrent de répondre à cette commission qui exigeaient qu’ils déclarent leur appartenance, même passée, au Parti communiste des Etats-Unis, où à une association liée à ce dernier.

Cette chasse aux sorcières rouges, lancée dans les années 50 du siècle dernier, était un sous-produit de l’affrontement entre Washington et Moscou, au début de cette guerre froide, alors que l’on craignait qu’il n’aboutisse très vite au déclenchement d’une troisième guerre mondiale, alors que l’on était à peine sorti de la seconde…

Le fantasme d’une cinquième colonne, de l’ennemi intérieur minant les forces de résistance militaires et morales de la nation américaine se nourrissait de la peur engendrée par le développement d’armes terrifiantes, dont l’URSS de Staline était en voie de se doter, alors que les Etats-Unis en étaient, jusque-là les seuls possesseurs.

Le maccarthysme est aussi un gramscisme

Cette paranoïa avait quelque justification – même les paranos ont de vrais ennemis ! – si l’on veut bien, après coup, admettre que la bombe atomique soviétique doit beaucoup à l’activité d’espions américains au service de l’URSS, dont les plus emblématiques furent les époux Rosenberg, condamnés à mort et exécutés en 1953. Leur cas avait fait l’objet d’une propagande intense, orchestrée par Moscou, et relayée en Occident par les partis communistes locaux et leurs compagnons de route. Aujourd’hui, il est établi que Julius et Ethel Rosenberg étaient bel et bien des espions de haute volée…

Les anticommunistes américains n’étaient pas seulement des chasseurs d’espions, ils avaient aussi une conception « gramsciste » du combat politique, estimant que la lutte pour l’hégémonie culturelle était aussi importante, sinon plus, que la recherche de la suprématie militaire. Eliminer les « agents d’influence » de Moscou du « saint des saints » de la production culturelle des Etats-Unis, les studios d’Hollywood était, de leur point de vue, un objectif essentiel pour la défense du « monde libre » menacé par Staline.

Se soumettre ou être inscrit sur la  liste noire des interdits professionnels étaient le choix laissé aux sympathisants communistes de l’industrie filmique, qui tenaient, au lendemain de la guerre le haut du pavé  à la MGM, chez Warner Bros ou Paramount. La chasse aux « cocos » était conduite par un certain Ronald Reagan, acteur mineur, mais syndicaliste influent, et soutenue par des vedettes, comme l’acteur John Wayne ou le réalisateur à succès Cecil B. De Mille… Dalton Trumbo et ses dix camarades constituaient le noyau dur de la résistance, alors que d’autres figures d’Hollywood considérée comme « libéraux » c’est-à-dire de gauche, dénigraient leurs amis pour sauver leur job, comme Elia Kazan.

Cette histoire est racontée dans le film de Jay Roach avec maestria : un scénario sans temps morts, une reconstitution minutieuse de l’Amérique des années 50, des acteurs exceptionnels, dont le rôle-titre confié à Bryan Cranston et celui de la venimeuse chroniqueuse (pléonasme !) Hedda Hopper, magistralement interprétée par Helen Mirren… De la belle ouvrage, assurément…

Une histoire plus complexe qu’on nous le montre

Oui, mais… Une fois le charme du spectacle rompu, et un retour studieux vers la réalité des faits tels qu’ils apparaissent aujourd’hui grâce au travail des historiens, on s’aperçoit que l’édifiante histoire des « dix d’Hollywood » est plus complexe et plus contrastée que celle présentée dans le film. Celui-ci fonctionne sur le binôme bons/méchants, le camp du Bien étant incarné par Dalton Trumbo et ses camarades, celui du mal par leurs persécuteurs (McCarthy, Reagan, Wayne), et les lâches comme le grand acteur Edward G. Robinson, qui aurait « balancé » devant la Commission des activités anti-américaines pour sauver sa carrière. Dalton Trumbo ne peut donc qu’être un héros, bon camarade montant un système de prête-noms pour lui-même et ses amis blacklistés, afin de pouvoir continuer à travailler,  bon époux et bon père de famille. Qu’il ait, comme stalinien convaincu, profité, avant sa disgrâce, de son pouvoir à Hollywood pour empêcher l’adaptation à l’écran d’ouvrages dénonciateurs du communisme, comme Le zéro et l’infini et Le yogi et le commissaire, d’Arthur Koestler, ne cadrait pas dans le tableau, pas plus que son combat douteux pour empêcher les Etats-Unis d’entrer en guerre contre les nazis, avant qu’Hitler n’envahisse l’URSS…le film n’en parle donc pas.

A l’inverse, le cliché d’un John Wayne manipulé et complètement stupide, propagé par les « progressistes » est présent, alors que le temps a fait litière de cette simplification outrancière : John Wayne était un patriote américain sincère, dont l’intellect n’était pas le moins développé dans le monde des stars d’Hollywood. Le film est également très injuste envers Edward G. Robinson, qui s’était engagé, malgré son âge avancé, dans l’armée du débarquement en Normandie, à qui il n’est prêté que des motivations matérialistes à son « lâchage » de la bande des Dix, alors qu’une vraie divergence politique avait séparé cet homme de gauche de la fraction ultra-stalinienne du show-biz hollywoodien. Le réel, comme toujours n’est pas noir et blanc, mais se révèle sous plusieurs nuances de gris.

En creux, pourtant, Dalton Trumbo, le film, peut être perçu comme une ode au capitalisme, celui des studios hollywoodiens qui se fichent des opinions de ses serviteurs, pourvu qu’ils lui fournissent un bon travail, sous leur nom de préférence, derrière un homme de paille si nécessaire. Dans l’autre camp, celui de Moscou et de Staline, le sort des artistes de talent déplaisant au pouvoir était scellé d’une manière autrement plus radicale.

Comme a dit John Wayne, alias Tom Doniphon, dans L’homme qui tua Liberty Valance : « This ist the West, Sir, when the legend become fact, print the legend ! » (« Ici c’est l’Ouest, Monsieur, quand la légende devient réalité, imprimez la légende !). Ou faites-en un film…

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