Dans Le Point, le recteur de la Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, « s’insurge contre les intellectuels, les médias et les politiques qui nourrissent la peur et l’islamophobie ».
La tribune de M. Boubakeur dans Le Point du 22 mars est désespérante. Voilà encore reprise, avec tous ses poncifs et toutes ses malhonnêtetés, la bouillie manichéenne, communautariste et contre-productive qui semble être devenue la norme de pensée des musulmans invités à s’exprimer dans les médias. Le « nous » et le « eux » ; la population majoritaire coupable, irrémédiablement, et les musulmans victimes, éternellement.
Rien n’y manque, pas même les mots pourtant si galvaudés d’ « amalgame » et de « stigmatisation ». Ni bien sûr la référence à l’ « islamophobie » qui « gangrène » la France, révélée tant par l’ « affaire du foulard » de Creil en 1989 que par les débats provoqués par les « prières de rue » ou même la « burqa », étendard s’il en est de l’idéologie la plus obscurantiste.
L’islam n’a rien à voir avec l’islamisme
En revanche, aucune réponse à ces faits eux-mêmes, pourtant constitutifs du problème de la pratique religieuse de certains musulmans aujourd’hui. Rien sur l’Etat islamique, sur le wahhabisme, sur les Frères musulmans, et sur les milliards investis par les théocraties propageant l’islam fondamentaliste, intolérant et conquérant partout dans le monde.
Rien non plus sur la haine montante de nos fameux « territoires perdus », où, pour un certain nombre d’habitants, Mohamed Merah n’est pas un monstre mais un héros et les assassins terroristes, des « résistants ».
M. Boubakeur oppose une fin de non-recevoir aux liens entre islam et islamisme, là où de nombreux spécialistes du monde musulman démontrent ou témoignent du fait que les préceptes invoqués par les fondamentalistes pour massacrer les « infidèles» procèdent d’une lecture littérale du Coran lui-même : les poètes syriens Adonis[tooltips content= »Violence et islam, Seuil, 2015. »]1[/tooltips] et Omar Youssef Souleimane[tooltips content= »Le Petit Terroriste, Flammarion, 2018. »]2[/tooltips], ancien salafiste éduqué dans une école wahhabite en Arabie Saoudite, le lanceur d’alerte et ex-Frère musulman français Mohamed Louizi,[tooltips content= »Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans, Michalon, 2016. »]3[/tooltips] le grand écrivain algérien Boualem Sansal.[tooltips content= »Grand prix du roman de l’Académie française en 2015 pour 2084 (Gallimard). »]4[/tooltips] Le très respecté Ibn Warraq[tooltips content= »Chercheur et co-fondateur de l’institut Inârah pour la recherche sur l’histoire de l’islam naissant et le Coran (Université de la Sarre), auteur notamment de « Pourquoi je ne suis pas musulman » (1995). »]5[/tooltips] vient tout récemment de décrypter ces liens dans L’Islam dans le terrorisme islamique.[tooltips content= »Traduction française à paraître en avril 2018 aux éditions Tatamis. »]6[/tooltips]
Tout cela constitue des faits, et non des opinions ; des constats, et non des insultes ou des slogans politiques. M. Boubakeur le sait, mais choisit de dérouler un discours de culpabilisation et de victimisation, dans la droite ligne de celui des Frères musulmans.
L’escroquerie « islamophobie »
Il est inenvisageable qu’un homme comme M. Boubakeur ignore la perversité de cette propagande. Forgé par l’islam politique, ce concept d’ « islamophobie » vise à créer une confusion entre, d’une part, la critique de l’islam, autorisée voire encouragée dans une culture comme la nôtre fondée sur la raison, et d’autre part la haine des musulmans, pénalisée et réprouvée par cette même culture. En anathémisant toute critique de l’islam, les Frères musulmans, cette association secrète et très puissante principale promotrice du concept, cherche à faire progressivement accepter les dogmes et préceptes les plus contraires à nos valeurs humanistes et libérales ; ils ne font guère mystère de leur objectif ultime, la « mise en orbite d’une société islamique »[tooltips content= »Cf. Ahmed Djaballah, animateur de l’UOIF, en 1991 : « L’UOIF ? Le faux-nez français des Frères musulmans », « une fusée à deux étages : le premier étage de lancement est démocratique, le second sera de mettre la société islamique sur orbite », in Une France sous influence: quand le Qatar fait de notre pays son terrain de jeu, de Pierre Péan et Vanessa Ratignier (Fayard, 2014). »]7[/tooltips]. Et de fait, partout où il s’est déployé avec succès, l’islamisme interdit la liberté de conscience, d’expression, et en définitive toute liberté. C’est sous l’influence d’un groupe de pays islamiques que l’ONU adopta en 2009 une résolution en faveur de la poursuite de la « diffamation des religions », comprenez, la répression pénale du blasphème ; mais c’est aussi dans ces pays-là que cette pénalisation est un outil d’oppression des minorités.
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Ce réquisitoire, dans la bouche d’un petit soldat de l’islam fondamentaliste, ne surprendrait guère. Mais il est particulièrement préoccupant dans celle de M. Boubakeur, éduqué dans les meilleures écoles de la République, blanchi sous le harnais de la raison critique, et connaisseur de l’Histoire des idées politiques en Occident ; un homme qui est passé au fil des années pour un défenseur du dialogue inter-confessionnel, au point de devenir un interlocuteur des pouvoirs publics.
Dalil Boubakeur témoigne de la progression de l’islamisme
La reprise de cette rhétorique-ci par cet homme-là donne la mesure de la progression de l’islamisme. Certes, ce discours tout en passions et en promesses, alternant les vertus enivrantes de l’amour (de soi et de ses pairs) et de la haine (des autres), où l’on choisit sa vérité en s’affranchissant de la réalité, possède un potentiel de galvanisation autrement plus puissant que notre rigoureuse rationalité.
Mais nous, Français, avons goûté aux deux formules ; nous savons que la première mène à l’obscurantisme et au malheur, et la seconde à la liberté, seule voie vers le bonheur et l’accomplissement de soi. C’est l’esprit critique, c’est-à-dire le recul pris sur nos propres idées et les modes de pensée qui façonnèrent notre société pendant des siècles, qui nous ouvrirent le chemin de la connaissance, de la liberté et de la tolérance ; qui fit de nous une nation civilisée. Notre identité culturelle est sans doute perfectible, les valeurs qu’elle prétend incarner ne sont pas toujours respectées en pratique ; mais comme le dit la sociologue Nathalie Heinich, « une valeur est une visée, pas un fait » ; et cette « visée » bénéficie aussi à nos compatriotes musulmans.
La France raciste de Dalil Boubakeur…
Il existe encore en France des obstacles puissants à la progression du poison séparatiste islamiste. Les Français connaissent bien les musulmans, pour vivre avec eux depuis longtemps, et appréhendent le fait religieux avec recul et finesse, sachant bien que les fidèles de toute religion n’en ont souvent qu’une connaissance superficielle. Et quand les musulmans qu’ils côtoient leur assurent que l’islam n’a rien à voir « avec tout cela », ils ne leur donnent pas forcément raison mais ne les soupçonnent pas nécessairement de mentir. Ils savent que, quand les musulmans sont interrogés sur les commandements les plus cruels du Coran (la main du voleur coupée, la femme adultère lapidée, l’apostat condamné à mort, le djihad y compris offensif devoir sacré, le leitmotiv de l’antisémitisme), la déférence de certains musulmans pour la parole de leur Dieu et du prophète de celui-ci les empêche d’émettre la moindre critique sans ressentir la terrible culpabilité du blasphémateur ; mais pour autant, la plupart d’entre eux ne songerait pas à appliquer réellement les commandements susmentionnés, ne serait-ce que parce qu’ils ont développé des liens d’amitié profonds et généreux, quasi-familiaux, dans la plus pure tradition proche-orientale, avec nombre de non-musulmans qu’ils ont côtoyés en Afrique ou en Europe. Contrairement aux islamistes, à ces musulmans qui haïssent tous les autres, y compris ceux qu’ils jugent moins bons croyants qu’eux, et qui, eux, prétendent appliquer le Coran à la lettre, avec tout l’enthousiasme de la haine.
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Le refus du dialogue, la critique du principe même du dialogue s’agissant de l’islam, recèle bien plus de dangers pour les musulmans que toutes les tribunes et déclarations des « journalises, intellectuels et hommes politiques » fustigés par M. Boubakeur.
Face à cela, le discours victimaire, déresponsabilisant que reprend à son compte M. Boubakeur est aussi un discours d’enfermement des musulmans dans une impuissance à agir sur leur propre sort, particulièrement efficace dans les quartiers où les immigrés ne côtoient plus la population majoritaire (en ce compris les musulmans intégrés) : si rien n’est de leur faute, que peuvent-ils donc changer ? A quoi bon les efforts, réussir dans ses études, aller à la rencontre de la société majoritaire et chercher à s’y intégrer, si ces initiatives sont vouées à l’échec, si les Français sont tous racistes et ne les accepteront jamais ?
…et la France telle qu’elle est
Mais ce que dit M. Boubakeur n’est pas la vérité. La société majoritaire n’est pas raciste. Elle est ouverte, tolérante, et les études, y compris celles qui émanent des organisations les plus hostiles au modèle français d’intégration, le confirment : comme l’indique M. d’Iribarne dans son analyse du rapport de l’Agence des Droits fondamentaux de l’UE sur les discriminations, « ceux [des musulmans] qui affirment que les musulmans en général sont discriminés sont beaucoup plus nombreux que ceux qui se déclarent discriminés personnellement. (…) en France, 75 % des musulmans déclarent qu’il existe une discrimination sur la base de la religion alors que seulement 20 % déclarent s’être sentis personnellement discriminés sur cette base au cours des cinq dernières années ». En d’autres termes, quatre musulmans sur cinq ont pu faire leur chemin dans la société française sans subir de discrimination. Non pas qu’il n’y ait aucun raciste en France ; mais la société française dans son ensemble a intégré pleinement le caractère dangereux et moralement inacceptable du racisme, de sorte que tout acte raciste provoque une condamnation collective immédiate. Même le Front national craint tellement l’effet électoral défavorable que pourrait avoir un tel anathème qu’il se sent obligé de dénoncer avec force fracas médiatique les propos racistes de l’un de ses cadres.
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C’est d’ailleurs en misant sur cette réaction épidermique au racisme, et en maquillant en racisme la critique d’une religion – qui rappelons-le, n’est jamais qu’une opinion – que l’islam politique a promu le concept d’ « islamophobie » dans les pays occidentaux.
Sauver les musulmans de Dalil Boubakeur
Mais toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, notamment celles qui contredisent l’utopie néo-antiraciste post-moderniste et la haine de soi qui la sous-tend (analysée par Paul Yonnet dès 1993[tooltips content= »Voyage au centre du malaise français, l’antiracisme et le roman national, coll. le Débat, Gallimard, 1993. »]8[/tooltips]). Servant à la fois l’idéologie révolutionnaire de l’extrême gauche, les objectifs capitalistes de l’élite mondialisée (qui y voient le meilleur moyen de faire accepter une immigration massive permettant de maintenir les salaires au plus bas), et les desseins séparatistes des islamistes, cette intoxication idéologique qu’est la croyance en une France ontologiquement raciste est abondamment entretenue, infusant la suspicion entre Français d’origine et ceux issus de l’immigration, dévastant le modèle intégratoire dont l’Histoire a démontré qu’il est, seul, pacificateur et viable.
S’il faut sauver les musulmans de France, c’est des discours comme celui de M. Boubakeur. C’est de la croyance en une « islamophobie » généralisée, de l’impossibilité de la critique de l’islam, critique qui n’est pas une façon d’exclure les musulmans mais de les inclure dans une société qui n’est ce qu’elle est, et qui ne leur donne ce qu’elle leur donne, que parce qu’elle a su elle-même s’émanciper du carcan religieux et de tout ce que celui-ci comportait de méfiance et de repli sur soi.
On respecte mieux les musulmans par la critique de l’islam et de ses pratiquants fondamentalistes, y compris lorsqu’on rappelle que l’islam porte hélas en lui le germe de l’extrémisme, que ne le fait M. Boubakeur avec ses mièvreries infantilisantes. Beaucoup de musulmans, insuffisamment médiatisés mais nombreux en France et dans le monde, se sont lancés dans ce combat et ne se sentent nullement représentés par M. Boubakeur. Eux savent que cette critique porte un espoir, celui que l’islam se débarrasse de l’islamisme, et une conviction, celle que les musulmans sont capables de comprendre la nécessité de cette évolution, qu’ils sont bien assez clairvoyants pour cela. Nous aimerions que M. Boubakeur lui aussi en soit convaincu.
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