Avant, lorsqu’il était confiné aux chaînes de montage de Sochaux et de Billancourt, le robot n’avait ni le droit de vote, ni droit aux congés payés. Il appartenait à cette communauté marginale qui participait à l’effort national dans l’ombre, inspirant un mélange de fascination et de crainte, et dont on se méfiait non sans raison : il représentait notamment une menace pour l’emploi. Grâce à l’industrie du disque, facteur d’intégration et d’émancipation comme l’est le foot pour d’autres, le robot et ses cousins mutants ont accédé au statut privilégié d’artistes reconnus, jusqu’à susciter l’idolâtrie des foules à l’échelle planétaire. Parmi eux : Kraftwerk, Michael Jackson, Björk et Daft Punk aujourd’hui. Les créatures science-fictionnesques conquièrent sans peine, sans résistance, les territoires culturels et nourrissent tous les fantasmes, jusqu’à tenter de nous faire croire qu’elles sont vraiment différentes de nous (alors que seul Bambi l’était, et pas seulement parce qu’il portait des pantalons trop courts). Les robots ont maintenant colonisé les espaces, les esprits, les corps, les politiques, les médias…
Alain Pacadis – dead punk – avait senti la menace venir dès 1978, quand il affirmait devant les caméras d’Apostrophes : « Nous sommes des gens modernes, nous sommes des robots, c’est-à-dire que nous n’avons plus de sentiments. » L’avenir de l’humanité se cache dans les archives de l’INA. Et comme on n’arrête pas le progrès -, les robots (tous !) pourront bientôt se marier (y compris avec des gays, naturellement).
Mais revenons à nos moutons électriques. Daft Punk creuse en 2013 son concept rétro-futuriste initié avec succès dans les années 90 aux côtés de Air. Au début, on appelait cette nouvelle invasion la « French touch« . Maintenant, avec le raz-de-marée « Get Lucky« , n°1 dans une quinzaine de pays cet été, il est raisonnablement permis de parler de « French trust ».
Seulement, à l’image des progrès de la médecine, les progrès de la technologie musicale ne se font pas sans dommages collatéraux pour le corps : ils provoquent ainsi l’apparition de nouvelles formes d’allergies aigues chez les mélomanes, dont celle au vocodeur, l’effet « voix de robot », allergène le plus redoutable de cet album.
Au-delà de ce détail susceptible de causer quelques désagréments passagers, l’écoute de Random Access Memories peut se révéler source de plaisir, avec un petit arrière-goût de retour vers le futur. À part l’incontournable « Get Lucky« , trois titres méritent vraiment une attention soutenue, tant les anti-Daf les plus obtus pourraient y trouver leur compte :
« Within » vous transporte à bord d’un flotteur des sens vers les îles vierges de la mer de la tranquillité, prêt à chavirer dans le refrain, « Instant Crush » donne à entendre le sémillant équilibriste Julian Casablancas à l’œuvre sur une mélodie en cascade telle qu’il les affectionne, avec la guitare jumelle de Brian May venant taper une incruste queenesque du meilleur effet, et « Touch » régalera les adeptes de la B.O. du film de De Palma Phantom of the Paradise.
En définitive, Random Access Memories effectue un survol baroque de l’histoire de la pop, du psychédélisme sixties (clin d’œil final à la vertigineuse montée de l’orchestre symphonique du « A Day in the life » des Beatles) aux new-yorkeries hallucinogènes des Strokes, en passant par des harmonies Beach Boys et le funk-disco premium de Nile Rodgers.
Pas de quoi danser le moonwalk ni la polka, mais idéal pour les salons climatisés des SPA de Provence, entre l’heure bleue et l’apéro du dernier séminaire adultérin de la saison.
Daft Punk, Random Access Memories, Columbia
*Photo : 4ELEVEN Images.
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