André Versaille publie en ce moment un feuilleton sur le site du Monde, intitulé: « Les musulmans ne sont pas des bébés phoques »
Beaucoup s’étonnent de ce que la violence et la cruauté des djihadistes n’empêchent pas de jeunes Occidentaux d’adhérer à Daech. En réalité, c’est précisément ce fanatisme qui déclenche et excite la fascination. C’est par sa barbarie assimilée à la terreur révolutionnaire, à un feu purificateur que le djihadisme séduit. L’islam est devenu la dernière promesse du Grand Soir. Il a supplanté et pris la place de toutes les précédentes révoltes. Il a de plus qu’elles une dimension transcendante, divine, qui l’autorise à exiger de ses adeptes le sacrifice suprême.
Daech, la subversion radicale
Par ailleurs, pour barbare qu’elle soit, l’organisation État islamique n’en est pas moins un mouvement qui suit une logique politique et agit selon son propre agenda en fonction d’un programme cohérent et d’une communication redoutablement efficace. De multiples enquêtes ont montré que la séduction islamiste n’agit plus uniquement sur des jeunes musulmans de banlieue à la dérive, socialement et familialement fragilisés, ceux que l’on appelait naguère les « sans père ni repère », et à qui tout avenir semblait bloqué. Ayant su adapter sa propagande à de nouvelles cibles, l’État islamique recrute aujourd’hui des jeunes de conditions et de situations très diverses. De surcroît, il est le seul mouvement idéologique capable de séduire et d’attirer de plus en plus d’hommes, mais aussi de nombreuses femmes, grisés par son discours, et ce jusqu’au sein même des populations qu’il entend soumettre. Quant à ses affidés, nous ne pouvons plus l’ignorer : ce ne sont pas nécessairement des dingues ou des marginaux.
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Fort du caractère sacré de sa mission, Daech a réussi à imposer à ses recrues un engagement auquel il faut subordonner jusqu’aux liens de la famille nucléaire : on te critiquera, on t’insultera, on te dira que tu te laisses influencer, que tu es manipulé, que tu as subi un lavage de cerveau ; ce sont des épreuves que tu devras supporter, pour entrer dans l’armée d’Allah et participer à la destruction d’un monde dégénéré pour en bâtir un neuf débarrassé de toute pourriture. Cette exigence ne dissuade guère l’apprenti djihadiste, elle l’enflamme et le pousse à vouloir se montrer à la hauteur de la mission subversive divine. L’argument est d’autant plus convaincant pour les bourgeois occidentaux candidats à la conversion qui veulent rejoindre Daech (un quart à un tiers des djihadistes sont des convertis, selon Olivier Estèves[tooltips content=’Professeur d’histoire britannique à l’université de Lille, auteur avec Romain Garbaye de Le Multiculturalisme britannique au xixe siècle : enjeux, débats, politiques, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2017.’]1[/tooltips]) que notre culture « progressiste » ne cesse de chanter la subversion. Inutile même de préciser ce qu’il s’agit de subvertir : il faut « être subversif », manière de montrer que l’on ne fait pas partie de la masse des embourgeoisés. « Mutins de Panurge », disait Philippe Muray…
La conquête de la « vertu »
Contrairement à ce que beaucoup imaginent, cette furieuse contestation du modèle démocratique occidental ne s’inscrit pas dans un cadre archaïque, mais dans une certaine modernité. En témoigne la motivation d’une part apparemment non négligeable des jeunes candidats au départ pour la Syrie qui présentent leur engagement comme un acte « humanitaire ». Que celui-ci soit ou non pervers ne change rien à l’affaire. S’agit-il d’acquérir la « vertu » ? Nous savons, au moins depuis Robespierre, que l’aspiration à la vertu assume la terreur. Quoi qu’il en soit, ces « candidats au martyre » se mobilisent pour une cause qui leur parle comme aucune autre, jusqu’à non pas risquer leur vie, mais à délibérément se suicider pour elle.
Le rapport Obin[tooltips content=’Rapport Obin, Les Signes et Manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires. Rapport à Monsieur le ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Le rapport a été publié, accompagné de commentaires de vingt auteurs, journalistes, directeurs d’école, enseignants, sous le titre : L’École face à l’obscurantisme religieux, Max Milo, 2014.’]2[/tooltips] témoigne de ce que, comme dans la plupart des pays musulmans, Oussama Ben Laden est devenu, chez les jeunes des « quartiers d’exil », la figure emblématique d’un islam conquérant. Le djihadisme assurerait la revanche symbolique des laissés-pour-compte du développement en rejetant en bloc les valeurs de la civilisation occidentale.
Cela étant, la question sur laquelle nous continuons de débattre est celle de savoir pourquoi cette révolte de jeunes, en France et dans l’Europe de l’Ouest, s’est traduite par une radicalisation religieuse musulmane fanatique, et non, par l’adoption, par exemple, d’une idéologie ultragauchiste ou fasciste ?
Retrouvez André Versaille sur son blog, Les musulmans ne sont pas des bébés phoques
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