Lors des cérémonies du 75e anniversaire du Débarquement des Alliés en Normandie, le président Macron a jugé bon de supprimer des passages très symboliques de la lettre d’adieu du jeune résistant Henri Fertet. Il n’a pas non plus invité Vladimir Poutine, président de la Russie, pays sans lequel rien n’aurait été possible.
« Notre histoire nous dépasse… nos vétérans nous obligent », a déclaré le chef de l’Etat Emmanuel Macron, ce jeudi 6 juin, lors de l’inauguration du mémorial britannique de Ver-sur-Mer.
On ne peut que saluer cette sage parole incluse, parmi d’autres, dans la geste commémorative permettant avec un certain bonheur de calendrier au jeune président d’endosser de nouveau le costume présidentiel en posture verticalisée après des mois de contestation jaune et post-benallienne.
L’occasion d’être à nouveau debout
De fait, et cela n’aura échappé à personne, celui qui avait perdu, depuis bientôt un an, la maîtrise des horloges semble être retombé (au moins provisoirement) sur ses pieds à la faveur d’un agenda favorable.
Les élections européennes, tout d’abord, qui bien que perdues par la majorité présidentielle en dépit de tout le poids qu’a apporté l’Etat pour faire pencher la balance, se sont transformées en semi-victoire en raison principalement de l’absorption au sein de l’hypercentre d’une partie de l’ancienne droite classique qui, apeurée, a préféré se ranger du côté du manche élitaire. Les soubresauts quotidiens d’agonie de la droite la plus bête du monde ne peuvent que, pour le moment, favoriser le chef de l’Etat qui, de ce point de vue, retrouve une certaine gagne.
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En témoignent la préparation et le lancement, plus anecdotiques mais symboliques, de la Coupe du Monde féminine de football et cette visite du chef de l’Etat aux joueuses à Clairefontaine, avec quasiment les mêmes mots que ceux qu’il avait prononcés l’an dernier pour leurs homologues masculins : « Une compétition est réussie quand on gagne. » On le sait, la victoire des Bleus en 2018, sur laquelle Emmanuel Macron avait tenté de surfer, lui avait finalement été subtilisée par la révélation de l’affaire Benalla, laquelle marquera un tournant décisif dans le quinquennat. Il y a donc évidemment un enjeu à rejouer cette séquence en espérant cette fois-ci une issue plus favorable et une exploitation politique de l’événement sportif pour ce que le chef de l’Etat, par ailleurs passionné de football, perçoit probablement comme la possibilité d’une revanche sur le destin.
Le sacrifice de ceux qui étaient tout
Les cérémonies du 75ème anniversaire du Débarquement, surtout, qui arrivent sur ces entrefaites, sont une occasion en or pour asseoir de nouveau une posture présidentielle, associée qui plus est à un certain nombre de marqueurs symboliques dont Emmanuel Macron avait besoin et qui font partie de sa matrice communicationnelle et idéologique : dynamique victorieuse, louanges du multilatéralisme atlantiste et européen, et surtout, être tout sourire sous le feu de tous les projecteurs du monde entier.
Si chacun ne peut qu’adhérer avec émotion et recueillement aux célébrations et au souvenir du sacrifice de tant de vies pour libérer la France et l’Europe du joug allemand, il est toutefois regrettable que, là encore – et fidèle en cela à ses habitudes -, Emmanuel Macron n’ait pas pu s’empêcher, une nouvelle fois, d’instrumentaliser l’Histoire selon sa propre grille de lecture.
Macron caviarde la Résistance
La lecture, en l’occurrence, par le chef de l’Etat à Portsmouth de la lettre d’Henri Fertet, ce jeune lycéen résistant de 16 ans fusillé par les Allemands en 1943, a été malencontreusement tronquée de certains passages dont certains n’étaient pas anodins pour comprendre la démarche spirituelle et engagée, sacrificielle, du jeune bisontin. Ainsi, les références à la « France éternelle » ainsi que les aspects chrétiens de foi ardente d’Henri Fertet ont disparu de la lettre lue par Emmanuel Macron. « Dites-leur ma confiance en la France éternelle », phrase qui ne semble pas franchement anodine, a tout simplement été supprimée. Disparition. De même, les adieux poignants au curé, à l’évêque et « nous nous retrouverons tous les quatre, bientôt au Ciel », et, encore plus troublant, les derniers mots de la lettre, ceux qui la signent, et qui sont donc, à ce titre, les derniers que le jeune homme a voulu laisser de son passage sur terre : « Henri Fertet. Au Ciel. Près de Dieu. » Disparus.
75ème anniversaire du débarquement : aux cérémonies de Portsmouth, le Président Macron lit la bouleversante lettre d’adieu d’Henri Fertet, résistant fusillé à 16 ans. pic.twitter.com/RagfTfOklw
— Jean Louis (@JL7508) 5 juin 2019
On peut comprendre que certains passages de ce texte pourtant court aient fait l’objet de suppressions à la lecture pour des raisons pratiques, mais on comprend mal, enfin plutôt on comprend hélas trop bien, que certains éléments qui éclairent de façon essentielle la signification du lourd sacrifice consenti, aient fait l’objet d’une réécriture par omission.
Le retour du méchant nationalisme
Omettre, en l’occurrence, un référent sémantique explicitement corrélé à quelque chose que le macronisme abhorre par-dessus tout et dont il est l’antithèse : un nationalisme conservateur, patriote, ancré dans la perception d’une identité ancestrale et plongée dans les siècles, dont nous ne sommes que les récipiendaires. Difficile en effet, pour celui qui n’a fait qu’ahaner en toutes circonstances pendant la campagne des européennes que le nationalisme c’était la méchante guerre, de comprendre que ceux qui précisément ont résisté aux nazis l’ont fait par amour de cette identité nationale vouée aux gémonies, dont on ne veut plus entendre parler et que l’on tente d’escamoter en toutes circonstances.
C’est pourtant cette dimension, verticale, du rapport des individus à l’histoire de leur pays, qui a permis certains sacrifices héroïques. Sans ce sentiment sacré, le sacrifice qui en tire son nom, n’est tout simplement pas possible car dépourvu de sens.
On ne meurt pas pour l’Union européenne
De même, les références à la foi chrétienne ont été balayées de la lecture présidentielle. Il ne faudrait pas, en effet, qu’on se prenne à croire que le sacrifice héroïque qui a permis la Libération a puisé sa force aux racines chrétiennes que l’on refuse d’accorder à la France et à l’Europe. C’est pourtant un élément là aussi fondamental (et lié au précédent) rendant possible le sacrifice et moins lourd le poids de la mort, celui-là même qu’a invoqué le colonel Beltrame pour guider son action d’engagement au service du pays. Pas assez multiculturel probablement.
Le colonel Beltrame et Henri Fertet ne se sont pas sacrifiés pour l’Union européenne ou pour la paix entre les peuples ou pour l’abolition des méchantes nations, non, ils l’ont fait par foi en la France éternelle, très précisément ancrée dans leur propre foi catholique, celle qui fait actuellement l’objet de si nombreuses attaques polymorphes.
Macron humilie la Russie
De la même façon, 27 millions de morts russes de la « Grande Guerre Patriotique » se sont sacrifiés après 1941 pour lutter contre l’Allemagne nazie. 27 millions de morts qui n’ont été représentés par personne dans ces cérémonies du Débarquement, Emmanuel Macron ayant jugé bon de ne pas inviter Vladimir Poutine. Sans le sacrifice soviétique qui a permis de fixer les troupes sur le front de l’Est, pourtant, le Débarquement allié n’aurait pas pu aboutir. Ne pas honorer cette mémoire relève à la fois de la contre-vérité historique, de l’insulte, d’une manipulation opportuniste de cour d’école qui n’est pas à la hauteur de la dignité requise pour célébrer un tel événement, et, surtout, de la manipulation.
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Ceci peut paraître piquant si l’on considère que le principal reproche qui est fait à l’encontre de Poutine concerne précisément la propagation supposée de « fake news » et un rapport contrarié avec la vérité. Il est curieux de devoir soi-même tordre l’Histoire de manière propagandiste pour asseoir cette dénonciation… Maria Zakharova, la porte-parole de la diplomatie russe, n’a pas manqué d’ailleurs de dénoncer à cette occasion une « réécriture catastrophique de l’Histoire ».
Paul Ricoeur, dont le fameux « président-philosophe » serait un fin connaisseur, énonçait pourtant lui-même : « Je reste troublé par l’inquiétant spectacle que donnent le trop de mémoire ici, le trop d’oubli ailleurs, pour ne rien dire des commémorations et des abus de mémoire – et d’oubli. L’idée d’un temps politique de la juste mémoire est à cet égard un de mes thèmes civiques avoués. »
Il semblerait que l’élève n’ait pas encore tout à fait intégré la pensée du maître.
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