Et si nous feignions oublier, l’espace d’un instant, que le peintre et écrivain Pierre Lamalattie était, des années durant, un ami fidèle de Michel Houellebecq ? Ne serait-ce pas la moindre des politesses à l’égard de cet homme dont la presse mondaine souligne la ressemblance physique avec Benjamin Biolay et dont elle se contente trop souvent de dire qu’il aurait inspiré au Goncourt 2010 le personnage de Jed Martin de La Carte et le territoire ? Reconnaissons seulement à la décharge des quelques critiques littéraires futés qu’ils ont eu assez d’intelligence pour s’apercevoir que Pierre Lamalattie, lui, écrit des bons romans. Ce dont devraient d’ailleurs se douter les lecteurs de Causeur qui ne le connaissent qu’à partir de ses articles.[access capability= »lire_inedits »]
Car il n’y a chez Lamalattie-écrivain, pas plus que chez Lamalattie-peintre, nulle misanthropie, nul cynisme forcé- en rien comparable avec la sublime méchanceté d’un Céline- nul blasement, mais le désistement d’un contemplatif, traité avec un sens de l’ironie et de l’autodérision assez décapant. Il suffit pour s’en convaincre, de regarder sa série de portraits « Curriculum vitae », exposée avec d’autres peintures à la Galerie Alain Blondel jusqu’au 31 octobre. Voilà « Lucien », physionomie atone, sans joie ni tristesse, mi- dissimulée derrière une monture des lunettes que d’aucuns qualifieraient de « vintage », si elle ornait le visage d’un éphèbe branché du 10ème arrondissement. Seulement, « Lucien » n’en est pas un. Une légende en bas du portrait résume son parcours : « Pour son départ à la retraite, ses collègues lui ont offert un beau-livre de Yann Arthus- Bertrand ». Sic ! Des existences mornes, passées au service des entreprises dont on ne saisit pas tout à fait le champ d’activité, spécialisées qu’elles sont dans le marketing téléphonique ou dans l’animation d’espaces verts.
Des convictions de l’époque, fondées non plus sur la rigueur morale mais sur la moraline, et auxquelles les modèles de Lamalattie adhèrent sans réserve, telle « Valérie », expression empreinte de dignité d’« une femme de son temps qui n’hésite pas à être elle-même ». Des divertissements cafardeux dont leur auteur ne se lasse pas – ou presque, comme en témoigne cet (auto)portrait de « Pierre » qui « s’est endormi durant l’émission intitulée : « les secrets du plaisir féminin » ». Et partout, de la solitude à laquelle l’artiste donne une lisibilité dérangeante dans sa netteté.
Dans la préface de l’œuvre du photographe allemand August Sander, Visage d’une époque , Alfred Döblin notait qu’il s’agissait d’« une sorte d’anatomie des temps modernes ». En effet, partant de ce qu’il appelait « le portfolio archétypal », Sander immortalisait des individus, qu’il classait dans les catégories précises : « Le paysan », « La femme », « L’artisan », tout en réussissant à brosser un portrait collectif de la société allemande des années 1930. Il résulte de la démarche de Pierre Lamalattie- certes, moins méthodique que celle de l’auteur d’ Antlitz der Zeit – une cohérence, une vue d’ensemble, un panorama, parfaitement similaires. Une « photographie » sociale d’un monde frappé par la crise, la vacuité et la désillusion, dont Pierre Lamalattie relève brillamment toute la tragi-comédie.[/access]
Les œuvres de Pierre Lamalattie à voir à la Galerie Alain Blondel ; 50, rue du Temple, 75004 Paris ; tél : +33 (0)1 42 78 66 67 www.galerieblondel.com
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