« Le critique de cinéma, c’est l’inspecteur des travaux finis », disait François Truffaut. À l’heure où les salles de cinéma sont fermées, Jean Chauvet a trouvé quelques pépites en DVD à regarder chez soi.
Le regain de mémoire
Le Procès, de Georg Wilhelm Pabst.
À retrouver dans le coffret Le Mystère d’une âme, édité par Tamasa
De G. W. Pabst, immense cinéaste autrichien, on croit tout connaître et tout savoir parce qu’on a vu notamment Loulou, La Rue sans joie et L’Opéra de quat’sous et que l’on associe son nom à ceux de Greta Garbo et Louise Brooks. Mais on est loin du compte, comme l’édition récente d’un coffret de 12 films en DVD nous permet de le mesurer. On y retrouve certes ces classiques-là et ces égéries superbes. On y découvre surtout d’autres pépites méconnues ou restées dans l’ombre au sein d’une filmographie que la Seconde Guerre mondiale a fracturée de l’intérieur.
Pabst commence sa carrière de cinéaste dans les années 1920 et se fait remarquer très vite avec La Rue sans joie (1925), terrible description de la Vienne d’après-guerre. Les succès s’enchaînent ensuite, dont le plus important, Loulou, ainsi qu’une charge très violente contre le militarisme ambiant en 1930 avec Quatre de l’infanterie. En 1933, en raison du climat politique autrichien, Pabst émigre à Paris, mais sa carrière française n’engendre que des films mineurs. Et, juste avant le déclenchement de la guerre, il reçoit et accepte des propositions de Goebbels pour qui le retour du cinéaste constitue une victoire annoncée à grand renfort de publicité. Il reste difficile d’expliquer ce reniement, même si les deux films qui en résultèrent sont deux biopics anodins sans portée politique, sans le moindre soutien à l’idéologie nazie.
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Or, en 1948, Pabst réalise en Autriche Le Procès, un projet qu’il avait déjà porté en France en 1933, mais que le climat antisémite d’alors lui avait interdit de concrétiser. Le film raconte l’histoire du procès intenté en 1882 à toute la communauté juive d’un village austro-hongrois, accusée à tort du meurtre rituel d’une jeune fille catholique. Incendie de la synagogue, faux aveux extorqués, tortures, appels au meurtre, détention arbitraire, justice sous pression : sont rassemblés ici tous les éléments qui feront le quotidien de la montée du nazisme en Allemagne cinquante ans plus tard. C’est évidemment pour Pabst le film de la rédemption et du rachat par excellence. Il décrit la montée et la propagation de la haine antisémite avec une précision d’autant plus terrible que le film déploie en parallèle un éblouissant travail sur la forme. La grâce et le mystère des films de Dreyer ne sont pas loin. Dans un noir et blanc somptueux, Pabst mêle sans cesse expressionnisme et impressionnisme. Loin d’être une œuvre de circonstance ou d’opportunisme, Le Procès signe en fait le retour au cinéma d’un artiste qui a manifestement mis un temps, mais quel temps, sa conscience en sommeil.
Littéralement ignoré en Allemagne comme aux États-Unis où il ne trouva aucun distributeur, méprisé en France, mais couvert de lauriers au Festival de Venise, Le Procès sombra presque dans l’oubli. La renaissance dont il bénéficie aujourd’hui grâce à l’édition de ce très beau coffret consacré à Pabst n’est que justice. Les bons esprits trouvèrent le film habile, voire manipulateur, alors qu’il n’est rien moins que sincère dans sa description minutieuse d’un antisémitisme d’État soutenu par les notables et les institutions – dont la police et la justice notamment. Mais il est vrai que ce miroir tendu par quelqu’un qui avait failli ne saurait être recevable par les éternels tenants de la vertu totalitaire. On peut pourtant préférer les repentis sincères aux donneurs de leçons inconséquents, mais permanents. Sur grand écran comme ailleurs. Deux autres films suivants de Pabst, présents dans le coffret, s’inscrivent dans cette même veine, mais avec moins de force toutefois. Tous deux, tournés en 1955, ont en effet Hitler pour figure essentielle à travers ses derniers jours (La Fin d’Hitler) et l’ultime tentative d’assassinat dont il fut l’objet (C’est arrivé le 20 juillet). De facture classique, ces films prouvent à nouveau la probité et la lucidité de Pabst dont le regard s’avère désormais aussi nécessaire que talentueux.
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Une âme simple
Un idiot à Paris, de Serge Korber (1967).
Édité par Gaumont
« Je suis ancien combattant, militant socialiste et bistrot, c’est dire si des conneries, j’en ai entendu dans ma vie. » Une réplique comme celle-là suffit à vous faire aimer le film dont elle est issue. On la doit (évidemment, serait-on tenté de dire) à la verve de Michel Audiard, au service cette fois d’un cinéaste mésestimé, Serge Korber. Ce dernier fut également le réalisateur d’un savoureux film avec de Funès, Sur un arbre perché. Pour l’heure, on s’intéresse donc à Un idiot à Paris, parfait récit de l’itinéraire d’un crétin, ou jugé comme tel, qu’incarne Jean Lefebvre. Mais comme souvent, le meilleur est dans les seconds rôles, comme avec la réplique susdite prononcée par le génial Robert Dalban (le larbin dans Les Tontons flingueurs), sans oublier Bernard Blier, impérial dans le rôle d’un patron autoritaire qui ne jure que par l’Assistance publique dont il vient. On ne s’en lasse pas.
Valse à deux temps
Les amoureux sont seuls au monde, d’Henri Decoin.
Édité par Pathé
On n’en finit pas de redécouvrir le cinéma d’Henri Decoin. Cette perle-là date de 1947 et, que voulez-vous, toutes les fées se sont penchées sur son berceau. Outre l’élégante mise en scène de Decoin, on se pourlèche les babines d’un dialogue mené tambour battant par un Henri Jeanson en très grande forme avec, par exemple, ce définitif « aimer est un verbe irréfléchi » ou bien encore « un film doublé, c’est un film dont il manque la moitié ». Et ces dialogues ciselés sont sublimés par un Jouvet dans un rôle à la fois glorieux et mélancolique, mais également par Dany Robin et Renée Devillers, impeccables toutes les deux. Avec, cerise sur le gâteau, une partition, avec notamment une valse fatale, écrite par Henry Sauguet. Les producteurs, imbéciles, imposèrent, comme pour La Belle Équipe en son temps, une autre fin, heureuse. On voit aujourd’hui les deux et c’est tant mieux.
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