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Culte du soupçon, culte de la crédulité


Culte du soupçon, culte de la crédulité
Le judoka Alain Schmitt, accusé par sa compagne Margaux Pinot de violences, a été innocenté par la justice. Capture d'écran BFMTV.

Les affaires médiatiques de “violences sexuelles” se multiplient. Beaucoup se réjouissent d’une “libération de la parole”, d’autres s’inquiètent d’une dérive. On craint d’être accusé de participer à la « culture du viol » si on ne croit pas toutes les femmes.


Après Gérald Darmanin et Éric Zemmour, Damien Abad et Chrysoula Zacharopoulou, c’est au tour d’Éric Coquerel d’avoir sa réputation jetée en pâture. Tous sont accusés de violences sexuelles.

Nous sommes toujours devant le même scénario: une femme affirme être victime de violences sexuelles et l’accusé nie. Inévitables, des questions épineuses nous taraudent. Que devons-nous faire? Qui devons-nous croire? 

Présentement, deux réponses s’offrent à nous. La première consiste à n’accepter ni la version de l’accusatrice ni la version de l’accusé. La présomption d’innocence qui protège l’accusé n’est pas un acte de foi et ne discrédite pas l’accusatrice. Elle est provisoire, car elle s’efface devant le verdict. Soit l’accusé est reconnu coupable et la présomption est anéantie. Soit l’accusé est déclaré non coupable et la présomption devient affirmation. 

Ne pas agir avant de savoir

La seconde réponse consiste à refuser de suspendre son jugement: il faut croire l’accusatrice. Bien que l’on honore, ou prétende honorer, la présomption d’innocence, l’on se met également à traiter l’accusé en lépreux. On interpelle l’employeur de l’accusé, on déclare que la personne ne peut plus occuper ses fonctions vu les accusations portées contre elle. Ainsi, bien que l’on ne demande pas à l’institution judiciaire de sanctionner l’accusé, on exige que d’autres acteurs, d’autres institutions sévissent à sa place.

Rappelons un instant que la présomption d’innocence sert un objectif précis. Fondamentalement, si l’appareil judiciaire punit alors nous devons nous demander qui doit être puni. La seule réponse qui vaille est qu’il faut punir les coupables et seulement eux. Il faut donc les identifier. Le procès est un instrument épistémique; il doit nous permettre de découvrir la vérité. La présomption d’innocence, c’est surtout éviter d’agir avant de savoir.

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Soyons clairs, la présomption d’innocence n’interdit pas les pensées, mais elle doit empêcher les sanctions et les punitions.

D’aucuns diront qu’il faut établir des distinctions. On ne doit pas sanctionner ou sévir sur la base de calomnies ou de rumeurs. Les membres de la France insoumise qui défendent Éric Coquerel affirmaient qu’en l’absence d’une plainte on ne sévit pas. Ils poursuivaient en expliquant que bien que Damien Abad doive bénéficier de la présomption d’innocence, il ne peut demeurer ministre, car lui fait l’objet d’une enquête judiciaire.

La tartufferie des Insoumis

L’idée qu’il faille faire un tri entre les accusations n’est pas mauvaise, mais il faudrait se demander si ce genre de distinction n’est pas d’abord et avant tout motivé par l’intérêt. D’ailleurs, le test acide n’a pas tardé: l’accusatrice a depuis déposé plainte. Quand monsieur Coquerel démissionnera-t-il de la présidence de la commission des Finances ?  

Mais au-delà de cette hiérarchisation – rumeurs, accusations publiques, dépositions de plaintes – nous devons nous poser une question plus essentielle. En l’absence d’une condamnation, sans preuve définitive ou l’aveu de la personne accusée, devrions-nous imposer des sanctions sociales? Pourquoi les citoyens devraient-ils devancer l’appareil judiciaire et se faire les bourreaux du tribunal populaire?

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On pourrait répondre par l’affirmative en insistant sur l’importance de l’exemplarité. Nos institutions doivent être irréprochables, car elles doivent inspirer la confiance. Ainsi, un ministre qui fait l’objet d’une enquête judiciaire ne peut demeurer en poste puisqu’il discrédite l’autorité publique. 

Sans nier l’importance de l’exemplarité ou de la confiance, nous pouvons tout de même nous demander pourquoi une accusation ou une plainte devrait nécessairement discréditer une personne ou une institution. Voulons-nous vraiment accepter comme norme qu’une plainte remplace le verdict, qu’elle suffise à faire tomber un ministre ou haut fonctionnaire? Croyions-nous aussi que le président doive démissionner si une plainte, ne serait-ce qu’une seule, était déposée contre lui? 

La vie publique pourrait devenir insupportable

Évidemment, si nous nous mettions à appliquer une telle norme la vie publique deviendrait rapidement insupportable. Après tout, combien de plaintes ne donnent lieu à aucune condamnation? Combien d’enquêtes judiciaires ne valident pas la version de l’accusatrice? Deux fois, le judoka Alain Schmitt a été relaxé. Quelles sanctions sociales devions-nous lui imposer? Si chaque plainte rend inéligible l’accusé, alors toute plainte déposée aurait pour conséquence une démission. 

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Malgré sa valeur, l’exemplarité ne justifie ni le chaos ni l’iniquité. Impérativement, nous devons nous demander pourquoi une accusation ou une plainte devrait tout de suite motiver autant de soupçons? Comme une plainte met en œuvre un processus qui peut aboutir à un procès et ensuite un verdict, pourquoi ne nous contenterions-nous pas d’un scepticisme salutaire? Pourquoi ne pas dire que nous ne savons pas, que l’affirmation est disputée et que nous n’agirons pas sur la base de soupçons? Nous connaissons la réponse. On craint d’être accusé de participer à la « culture du viol » et cette peur pousse au jugement hâtif. En effet, selon ceux qui affirment que nous habitons une société où la violence sexuelle est endémique, faire preuve d’humilité intellectuelle ou de neutralité revient à prendre parti pour l’oppresseur. Lorsqu’une actrice dit «On doit aussi croire toutes les femmes qui parlent », il faut comprendre que la foi est prescrite et le doute proscrit. Affirmer qu’il existe une culture du viol revient à vouer un culte au soupçon à sens unique : s’il faut croire toutes les femmes, comment pouvons-nous aussi croire les accusés qui les contredisent? S’il faut croire toutes les femmes, plutôt que de croire les affirmations étayées par les meilleurs arguments et les preuves les plus solides, alors nous ne raisonnons plus. Derrière un culte du soupçon se cache un culte de la crédulité : croire toutes les femmes revient à les croire incapables d’erreurs ou de bassesses. Comment dit-on errare humanum est en néo-féministe?



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Docteur en philosophie, professeur adjoint en philosophie à l'Université de la Colombie-Britannique.

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