Alors qu’on n’a jamais autant parlé de nourriture à la télévision, la transmission gastronomique se porte mal. Familles explosées, enfants scotchés devant la télé et femmes libérées ont envoyé la cuisine ménagère dans l’enfer du ringard. Ne la laissons pas tomber, être une femme au foyer, c’est pas si facile.
Quand l’auteur de ces lignes demande à la femme avec qui il partage ses jours : « Chérie, tu me fais une blanquette ? », la réponse de cette dernière demeure toujours la même, soit, en gros : « Va te faire voir chez les Turcs, sale macho ! » (J’atténue la grossièreté des propos réellement proférés pour ne pas choquer nos lecteurs.)
Plus encore que le harcèlement sexuel à la Harvey Weinstein, l’invitation à cuisiner (à passer à la cocotte), de la part d’un mâle, est perçue, pour un grand nombre de femmes cultivées, diplômées et exerçant une activité professionnelle valorisante, comme une véritable offense, une humiliation, un retour à l’ancien temps. Moyennant quoi j’en suis réduit, comme beaucoup d’hommes, à faire les courses et la popote, ce qui me convient puisque, d’une part, c’est ma passion, et de l’autre, ne gagnant pas un rond, je laisse à ma banquière de femme le soin d’apporter au foyer l’argent nécessaire, quitte à corroborer les fantasmes zemmouriens du déclin du mâle occidental devenu une potiche uniquement vouée à la reproduction… Dans sa hutte haussmannienne, l’homme moderne mitonne ainsi des petits plats et s’occupe de la déco, pendant que sa femme rentre le soir exténuée et met les pieds sous la table : « Y a quoi à manger ce soir ? Encore du homard thermidor ! Tu te fous du monde ou quoi ? »
« Nous sommes les premiers consommateurs de pizza et de McDo’ au monde ! »
Petit-fils d’immigrés russes dont il a hérité l’amour de la France, l’historien et sociologue Alain Drouard est un spécialiste de l’histoire et de la sociologie de l’alimentation, domaine auquel il a consacré des dizaines de livres et d’articles aussi érudits que passionnants. Un sage, aussi, dont la vision au long cours (héritée de l’école des Annales) permet de mieux comprendre le présent. Au moment où, suite à la fameuse pétition du Monde publiée début janvier, des femmes célèbres se traitaient de noms d’oiseaux et en venaient presque aux mains, cette éminence grise me laissait sournoisement le message suivant :
« Mon petit Emmanuel, je sais que tu rêves de te faire fouetter par Clémentine Autain et les Femen. Je vais donc te proposer un sujet en or qui te permettra d’assouvir tous tes fantasmes : “Les femmes et la cuisine, ou pourquoi elles ne la font plus.” Qu’en penses-tu ?
– Hum, Alain, tu veux ma mort ? Dans le contexte actuel, je vais me faire massacrer.
– Oui, mais c’est pour la bonne cause et tu as une âme de martyr. De plus, il faut dire la vérité historique et expliquer pourquoi les femmes ont tourné le dos à l’âtre. »
Pour Drouard, l’histoire de la cuisine française ne se résume pas à l’histoire de ses cuisiniers, lesquels, ces derniers temps, ont pris la grosse tête, au point qu’on va finir par ne plus
