Cuba va redevenir le bordel des Etats-Unis


Cuba va redevenir le bordel des Etats-Unis

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Amir Valle, poète et romancier cubain, issu d’une famille d’universitaires proche du régime castriste projette, au début des années 2000, d’écrire un roman avec pour toile de fond les quartiers déshérités de La Havane. Une sorte de version moderne et tropicale des Bas-fonds de Maxime Gorki, où l’humanité profonde des déchus se révèlerait au-delà de la misère matérielle et morale du petit peuple des voleurs, escrocs et prostitué(e)s.

Son enquête préalable, menée avec la minutie d’un Zola préparant L’assommoir le conduit à modifier son projet : il abandonne la fiction pour écrire un livre-document sur les prostituées de la capitale cubaine, surnommées jineteras (cavalières) dans l’argot populaire. D’abord diffusée sous le manteau à Cuba, puis publié en Espagne en 2008[1. Paru en traduction française en 2010 (Editions Métailié).], La Havane Babylone est un modèle d’étude anthropologique qui révèle l’ampleur du phénomène prostitutionnel dans un pays dont les dirigeants castristes se glorifient toujours d’avoir mis fin, après la victoire de la Révolution, à la triste réputation de leur île, celle d’être le « bordel de l’Amérique ».

On comptait, en 1959, quelque cent mille prostituées, exerçant dans une dizaine de milliers de maisons closes de l’époque du dictateur Fulgencio Batista, dont le régime était «  en affaires » avec les mafias nord-américaines reconverties dans le proxénétisme et les maisons de jeu à Cuba après l’abolition de la prohibition de l’alcool aux Etats-Unis. Une campagne de « rééducation et de réhabilitation » des prostituées, pour la plupart issues des campagnes pauvres, mise en œuvre au début des années 60  dans la phase glorieuse du régime, celle de l’alliance stratégique et économique avec l’URSS, permit à Fidel Castro d’alimenter sa propagande : la prostitution avait été éradiquée grâce à l’action énergique et humaniste du Lider Maximo, et de la présidente de la Fédération des femmes cubaines, Vilma Espin, épouse de Raul.

Voire ! Comme le démontrent Amir Valle, et des universitaires spécialistes du sujet[2. Notamment Dominique Gay-Sylvestre, professeur d’etudes hispano-américaines à l’Université de Limoges.], avec la rapide dégradation des conditions de vie des Cubains, et l’interdiction de sortie du territoire imposée à l’immense majorité de la population, une nouvelle forme de prostitution économique et clandestine apparut : autour des ports, et au service des coopérants venus des «  pays frères », URSS et pays satellites. Le Graal à atteindre était alors le mariage avec un Russe, un Polonais ou un Hongrois, pour obtenir le fameux sésame de sortie du paradis castriste. Après la fin de l’URSS, l’économie cubaine se trouve en état de crise permanente, aggravée par les effets du blocus imposé par les Etats-Unis. Pour survivre, le régime décide dans les années 1990 de développer l’offre touristique, vers les pays occidentaux susceptibles de procurer à l’Etat des revenus remplaçant la rente sucrière (Cuba avait le monopole de la fourniture de sucre aux pays communistes). La concurrence est rude : d’autres îles Caraïbes, comme Saint Domingue, les Bahamas et autres îlots ensoleillés, ont déjà pris de l’avance dans l’offre de sea, sex and sun pour toutes les catégories sociales, du forfait tout compris à 500 € la semaine à Punta Cana, aux îles privées pour jet setters internationaux. Une société d’Etat, Cubanacan, aux mains du Parti et de l’armée, monte des « joint ventures » avec des investisseurs de toutes origines, construisant les infrastructures et gérant les équipements touristiques de l’île. Dans chacune de ces opérations, l’Etat cubain (en fait des membres de la nomenklatura castriste), détient 51% des parts, et donc des bénéfices afférents.  L’afflux de touristes dépensant, au minimum, en une semaine l’équivalent de cinq ans de salaire moyen d’un Cubain (19€ par mois) allait avoir les effets constatés par Amir Valle. Dans toutes les classes de la société, la satisfaction des besoins sexuels de Canadiens, Allemands, Espagnols et autres individus à peau claire émoustillés par le soleil, le rhum et la salsa apparaît alors comme le meilleur moyen de sortir de la dèche générale. Les interdits moraux sautent : ouvrières, paysannes, étudiantes, femmes au foyer trouvent dans la mise occasionnelle de leur corps sur le marché une solution à des problèmes criants et urgents : l’achat, au marché noir et en dollars, de matériaux de construction introuvables dans le circuit officiel, de médicaments étrangers, de matériel informatique, voire d’heures de connexion internet poussive facturées 4,5 € de l’heure (1 semaine de salaire) par les fournisseurs d’accès contrôlés par le régime…

En deux décennies, des milliers de jineteras (Amir Valle en estime le nombre à environ 20 000 pour une population de 11 millions de Cubains) hantent les principaux lieux touristiques : le Malecon, promenade du bord de mer à La Havane, Varadero etc. Il y en a pour tous les goûts et toutes les bourses : de la jinetera « en tennis », la plus humble, celle  « en sandales », le degré au dessus, jusqu’à la jinetera en talons aiguilles, qui plus est polyglotte et pourvue d’un diplôme universitaire, visant le mariage avec un businessman étranger pour mettre les voiles. Les plus douées d’entre elles deviennent des «  pharaonnes », patronnes d’écuries de jineteras, lorsque les atteintes de l’âge les contraignent à renoncer au service actif. Ce système irrigue de dollars ou de CUC (pesos convertibles permettant de se procurer les biens rares) toute une armée d’auxiliaires complaisants (policiers, chauffeurs de taxis, portiers d’hôtels, loueurs clandestins de chambres à l’heure) permettant de contourner une législation strictement prohibitionniste.

L’aveuglement volontaire des autorités face à ce phénomène, voire leur complicité intéressée dans son développement, est évidente, comme le note encore Amir Valle. Avant d’être expulsé de Cuba en 2005, il travaillait comme rédacteur au service marketing de la Cubanacan, chargé de la promotion du tourisme de l’île. Les consignes étaient sans équivoque : « J’ai entendu de hauts fonctionnaires du Parti communiste dire que c’était une erreur de ne vendre aux touristes que des plages, des cigares et du rhum » explique-t-il à une journaliste québécoise, « le meilleur produit de consommation que nous avions était la beauté des femmes. Et je me souviens qu’ils avaient rejeté deux campagnes publicitaires destinées aux marchés italien et espagnol, parce que les femmes y étaient habillées et en second plan dans l’image. Ils ont dit de mettre ces femmes au premier plan et que ce serait beaucoup mieux si elles étaient en maillot de bain. De nombreux publicitaires cubains ont des centaines d’histoires de ce genre. Il y a une chose dont je me souviendrai toujours: quand l’un de nos graphistes a présenté la publicité d’un nouvel hôtel à Varadero, Fidel Castro lui-même a déclaré: «Il n’y a qu’un problème… La vue sur la plage est excellente, la photo de l’immeuble est impressionnante et les gens représentés donnent une touche de familiarité, mais… ce serait mieux si on voyait au premier plan une belle femme mulâtre que les touristes remarqueraient avant tout. Je pense que vous savez mieux que moi que l’expérience de la publicité nous a montré que le corps d’une femme vend mieux qu’un bâtiment.»

Le récent coup de théâtre diplomatique orchestré par Barack Obama, Raul Castro avec l’aide du pape François, prélude à la normalisation des relations entre Washington et la Havane va, dans un proche avenir, décupler le marché potentiel des jineteras.  Déjà, en 2013, les principaux revenus de Cuba provenaient du tourisme et des « remesas », transferts d’argent des exilés à leur famille restée au pays. Aujourd’hui,  on se prépare activement, avec l’aide de capitaux chinois, à un afflux massif de touristes états-uniens venant, en voisins, goûter les charmes de toute nature offerts par l’île. Et c’est ainsi que la séquence castriste se clôt par un magnifique salto arrière : back to Batista ! A la différence que les bénéfices des amours tarifées n’enrichiront plus les héritiers d’Al Capone, mais une caste politico-militaire bien décidée à s’accrocher au pouvoir.

*Photo : wikicommons.



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