L’Union Européenne a, comme le jardin dans Le Parfum de la dame en noir de Gaston Leroux, beaucoup perdu de son éclat. Prenez la Croatie, par exemple, qui après avoir fait sombrer la Yougoslavie dans la guerre civile et retrouvé son joli drapeau national de l’époque des oustachis de Pavelic, a décidé de se fondre de nouveau dans un ensemble supranational, celui de l’Europe de Bruxelles. Fini Tito, bonjour Barroso.
À titre personnel, je ne suis pas certain que le socialisme autogestionnaire de l’époque titiste ait été beaucoup moins démocratique que le libéralisme discrétionnaire de la troïka qui explique à deux ou trois peuples méditerranéens comment il va falloir souffrir en silence sur deux ou trois générations pour punir leurs déficits[1. D’ailleurs financés par Goldman Sachs.]. Mais en ex-Yougoslavie comme ailleurs, étant entendu que le communisme fut un cauchemar horrible, tout ce qui pouvait advenir par la suite ne pouvait être que bel et bon, même s’il a fallu passer par une guerre comme le continent n’en avait pas connu depuis 1940-45 avec épurations ethniques et bombardements massifs. La Croatie s’en est bien tirée si on la compare à sa voisine serbe. Elle est devenue une destination privilégiée de l’hyperclasse offrant des îles de l’Adriatique belles à pleurer qui accueillaient autrefois les touristes pauvres et plus ou moins communistes de l’Europe occidentale. En même temps, on ne va pas reprocher à ce peuple de préférer accueillir Angelina Jolie que Mimile de Boulogne Billancourt, venu dépenser ses congés payés (je parle d’une époque que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, celle où les ouvriers français avaient du travail).
Et comment lui en vouloir; à la Croatie, d’avoir voulu adhérer à l’Union Européenne, quand le frère ennemi serbe restait tricard, lui qui fut pourtant le seul peuple du coin à offrir une résistance massive au nazisme, contribuant à un effondrement sur lequel l’Europe s’est précisément construite. Non seulement l’histoire ne repasse pas les plats mais en plus, elle est injuste.
Enfin, quand on dit que la Croatie veut entrer dans l’UE, on va peut-être un peu vite. Elle veut y entrer, mais désormais à reculons. Elle sera le vingt-huitième Etat membre au 1er juillet 2013. C’était prévu comme ça. Ce qui était aussi prévu, c’est qu’elle élise juste avant des députés européens, ces gens qu’on paie très chers pour siéger dans une chambre d’enregistrement qui donne son avis sur l’épaisseur des tranches de mortadelle mais auxquels la Commission ne demande rien quand il s’agit de l’indépendance de la BCE ou de monter un nouveau plan de rigueur pour saigner à blanc la Grèce.
Le scrutin vient d’avoir lieu. Avec une abstention de 80%. L’équilibre droite/gauche est respecté, six sièges pour la droite, cinq pour les sociaux-démocrates et un pour le parti travailliste. Huit électeurs croates se sont aperçus que c’était un plan moyen, l’Europe en ce moment, surtout quand on a un taux de 51% de chômeurs chez les moins de 25 ans et que Bruxelles exige une restructuration des chantiers navals, la première industrie du pays – alors que le PIB se contracte depuis 2009.
Surtout, le Croate, qui doit être bon en géographie, s’est sans doute aperçu qu’il faisait potentiellement partie de ces pays gentiment appelés club meds ou pigs par les beaux esprits des salles de marché. Et l’idée de subir, à peine entré dans l’UE, le sort de la Grèce, de l’Espagne, du Portugal et de Chypre, a sans doute fortement tempéré ses ardeurs.
Il est vrai que devenir copropriétaire d’une maison sur le point d’exploser a quelque chose d’absurde. Si ça se trouve, la Croatie, elle va finir par envier cette pouilleuse de Serbie qui reste à la porte. Et ça va encore faire des histoires.
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