La Nouvelle-Calédonie n’avait pas connu de telles violences depuis les années 1980, moment qui conduisit à l’opération Victor pour mettre fin à la prise d’otages d’Ouvéa. Trois nuits d’insurrection ont ensanglanté cette île mélanésienne où l’on compte désormais quatre morts, dont deux Kanaks et deux gendarmes. Des centaines de blessés sont aussi à déplorer, ainsi que des dizaines de millions d’euros de dégâts matériels au bas mot puisque des commerces, des entrepôts ou encore des maisons individuelles ont été incendiés. Comment en sommes-nous arrivés là ? Analyse.
Un texte concernant la composition du corps électoral calédonien est actuellement en débat à l’Assemblée nationale, suscitant l’ire des indépendantistes kanaks les plus engagés. Il prévoit de permettre à de nouveaux électeurs de voter aux élections provinciales. Disposeraient désormais du droit de vote les Français qui résident depuis plus de 10 ans dans l’île. Cette révision constitutionnelle remettrait donc de facto en question le « corps électoral exceptionnel » qu’avaient délimité les accords de Nouméa de 1998. Texte important, le préambule aux accords de Nouméa a refondé le rapport entretenu par la France avec les populations autochtones de Nouvelle-Calédonie, leur reconnaissant une « civilisation propre, avec ses traditions, ses langues, la coutume qui organisait le champ social et politique » ainsi qu’une « identité fondée sur un lien particulier à la terre ». Il organisait même une forme de cohabitation permanente avec les « nouvelles populations » issues de la colonisation qui avaient apporté avec elles « leurs idéaux, leurs connaissances, leurs espoirs, leurs ambitions, leurs illusions et leurs contradictions » et avaient joué un rôle dans « la mise en valeur minière ou agricole et avec l’aide de l’État, dans l’aménagement de la Nouvelle-Calédonie ».
L’indépendance rejetée à plusieurs reprises par les habitants
Ces accords ont entériné la création d’une « citoyenneté néocalédonienne » spécifique et distincte au sein de la nationalité française. C’est sur la définition précise de cette citoyenneté ultramarine que se nouent les principales discordes néocalédoniennes entre les descendants d’autochtones et les Européens vivant sur l’île, ainsi que les Polynésiens, asiatiques et les autres populations qui ne sont pas des indigènes. Réuni en Congrès à Versailles, le Parlement français opta pour le gel du corps électoral local, le bornant aux seules personnes inscrites sur les listes à la date du référendum de 1998. Sont donc citoyens néocalédoniens les personnes de nationalité française résidant de manière principale en Nouvelle-Calédonie depuis le 8 novembre 1998 et celles majeures après cette date dont au moins l’un des deux parents est citoyen néocalédonien.
En 2018, comme le prévoyaient les accords de Nouméa, s’est tenu le premier référendum d’auto-détermination. Rebelote en 2020 puis en 2022. Tous ont abouti au même résultat : l’indépendance a été rejetée. À trois reprises, un corps électoral pensé pour « l’indépendance » a manifesté la volonté que la Nouvelle-Calédonie demeure française. Il faut dire que les exemples voisins tel que celui de Nauru ne prêtent pas à l’optimisme. Craignant une érosion de leur pouvoir local acquis avec le nouveau statut accordé en 1998, les Kanaks refusent que le corps électoral s’étende aux résidents de longue date qu’ils estiment proches des Caldoches, surnom donné aux descendants de Français. En tout, 25 000 électeurs s’ajouteraient au corps électoral actuel. Récemment, un signal faible attirait d’ailleurs l’attention des connaisseurs de l’outre-mer. Sonia Backès (notre photo) a ainsi été battue par un indépendantiste aux élections sénatoriales. Un évènement que peu de gens croyaient possible.
Des tensions interethniques instrumentalisées
Pour l’heure, les indépendantistes ont remporté une première manche. Emmanuel Macron a notamment fait savoir qu’il ne convoquerait pas immédiatement les parlementaires en Congrès concernant l’évolution du statut néocalédonien. Il s’est dit favorable à la négociation d’un « accord global » ménageant les sensibilités des anti-indépendantistes et des partisans du FLNKS (Front de Libération nationaliste kanake et socialiste). Il faut bien comprendre que si le texte ne passe pas, il avaliserait une rupture d’égalité anticonstitutionnelle puisque des jeunes gens nés en Nouvelle-Calédonie il y a 25 ans ne pourraient pas voter. Paradoxalement, le cas néocalédonien fait ressortir la schizophrénie de la gauche française sur les sujets identitaires.
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A la tribune de l’Assemblée nationale, Danièle Obono a par exemple déclaré que le projet de loi constitutionnelle était « un avatar de cette civilisation coloniale décadente dont la macronie partage l’état d’esprit fait de mépris et de brutalité contre la souveraineté populaire ». Dans un genre approchant, le député de Guyane Jean-Victor Castor, membre du Mouvement de décolonisation et d’émancipation sociale (MDES), a dit de son côté : « Il y a 170 ans, les Kanaks étaient là, ils sont sur leur territoire. Et vous n’allez pas empêcher à un peuple premier de revendiquer, d’avoir ses propres aspirations ». Ces gens se rendent-ils compte de ce que leurs discours sous-entendent ? Les Français ont-ils été souverainement consultés pour donner leur accord au fait que Madame Obono devienne française et puisse voter ? Si les Caldoches ne sont pas chez eux en Nouvelle-Calédonie, en dépit de leur contribution majeure au développement du territoire comme le concèdent d’ailleurs les accords de Nouméa, quid de gens qui ont été naturalisés Français en provenance du Congo ou du Mali il y a cinq ans à peine ?
Ce discours anti-français et parfois relevant du racisme anti-blancs qui se fait écho chez une partie de la jeunesse kanake la plus désœuvrée sur fond d’alcoolisme et de toxicomanie, que même les membres du FLNKS les plus politiques n’arrivent pas à juguler, est encouragée ici en France par des élus de la République. Sidérant ! Qu’ont-ils d’ailleurs de différent des propos de l’agitatrice à la solde du Kremlin Nathalie Yamb qui a publié un tweet provocateur dans lequel elle fustige « l’occupant caucasien » et « l’Etat colonial français ». Pourtant, les Kanaks sont eux reconnus comme une population autochtone, tout le monde ne peut pas en dire autant… Cité dans Le Figaro, un préfet spécialiste de la région explique que les émeutiers sont dans leur grande majorité des jeunes « entre 16 et 25 ans déracinés de leur monde coutumier, avec lequel ils sont en rupture, et pas intégrés au monde moderne », expliquant qu’il ne faut pas s’étonner qu’ils aient plutôt décidé de « piller, casser et brûler de manière totalement aléatoire sans viser particulièrement des commerces non indépendantistes », jugeant leurs motivations plus opportunistes que réellement politiques. Des témoins ont d’ailleurs rapporté à la télévision qu’ils avaient entendu ces petits groupes de jeunes casseurs prétendre vouloir « casser les maisons des blancs ».
Il est inquiétant que ce racisme décomplexé et instrumentalisé contre les personnes de type « caucasien » soit ainsi relayé et excusé par une grande partie de notre classe politique. Il peut conduire à des drames, des pogroms ultramarins, s’il n’est pas immédiatement jugulé. Pour cela, nous devons nous attaquer aux meneurs violents et à ceux qui les appuient.
De l’influence étrangère bien réelle
À Mayotte comme en Guyane et ailleurs, les ennemis de la France sont trop heureux d’agiter des rancœurs et d’allumer des conflits. Tête de pont du genre, la Nouvelle-Calédonie est une cible facile. L’activité de l’Azerbaïdjan sur place ne fait absolument aucun doute. Elle est attestée et documentée puisque le 18 avril dernier, l’élue kanake Omayra Naisseline signait un mémorandum avec le Parlement azerbaïdjanais actant une alliance. Bakou fait feu de tout bois depuis que la France a promis de vendre des armes à l’Arménie pour se défendre contre les visées azéries. C’est en des termes particulièrement amènes que madame Naisseline parlait du régime d’Alyev dans les colonnes du journal local La Voix du Caillou : « Nous sommes reconnaissants à l’Azerbaïdjan car c’est un pays qui nous a encouragé dans la lutte. L’Azerbaïdjan est pour nous un véritable exemple. L’ingérence de la France dans les élections de notre pays ne sert pas les intérêts de notre peuple. » Elle appelait en suivant à de larges manifestations. Dont acte.
Si les agissements de l’Azerbaïdjan sont particulièrement grossiers et visibles, ils n’en sont pas moins redoutables et efficaces. Ils ont aussi fait perdre la vie à deux jeunes gendarmes français et menacent l’existence de dizaines de milliers de nos compatriotes du bout du monde. Ils appellent aussi à une réponse à la hauteur. En outre, il ne s’agit pas du seul pays à lorgner sur nos intérêts ultramarins. La France subit un tir groupé. Que faire donc dans ces conditions ? D’abord restaurer l’Ordre public en Nouvelle-Calédonie, protéger les populations et leurs intérêts économiques. Mettre hors d’état de nuire la Cellule de Coordination des actions de Terrain (CCAT) qui est à l’origine des violences. Enfin, proposer une nouvelle voie de développement économique pour une île qui, bien administrée, aurait un fabuleux potentiel. Regardons ce qu’ont accompli Hawaï ou Singapour. Idéalement placée et utile, la Nouvelle-Calédonie pourrait être demain un fabuleux exemple pour toute l’outre-mer. A nous de faire comprendre aux jeunes Kanaks que la France détient les clés de leur prospérité future.
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