Sous la pression d’un fort courant abolitionniste, l’esclavage issu de la traite négrière fut aboli en 1830 dans les colonies anglaises, en 1848 dans les françaises, à l’avènement de la IIe République. Préférant ne pas employer les anciens esclaves, les grands intérêts économiques de ces colonies organisèrent la venue d’une main-d’œuvre issue de pays de l’océan Indien composée de travailleurs immigrés pauvres qu’on appelait « les engagés », le phénomène global étant nommé « l’engagisme ». Quel éclairage l’étude des mécanismes de ce qui fut une grande migration peut-il apporter à la crise des migrants à laquelle l’Europe est aujourd’hui confrontée ?
Mère Angela et les missionnaires de la charité
En septembre 2015, Angela Merkel a surpris l’Europe en annonçant que l’Allemagne était prête à accueillir sur son sol deux millions de « réfugiés ». Ce petit chef-d’œuvre tactique et stratégique a pris à contre-pied tous les pays confrontés à la pression migratoire à leurs frontières. Tactique parce que comme d’habitude avec la chancelière dans sa gestion du court terme, cela permettait de redorer l’image de l’Allemagne en la présentant comme généreuse et accueillante dans le même temps où sa conduite de l’Union européenne (UE) et sa gestion de l’euro martyrise les peuples des pays que ses médias appellent avec mépris « pays du Club Med ». Et stratégique parce que la raison principale est bien évidemment la demande du patronat allemand combinée à l’anxiété des couches supérieures face à la crise démographique. Les Allemands sont en dessous du taux de renouvellement des générations, il faut absolument trouver de la main-d’œuvre. On va donc piller les pays du Sud de l’UE en important leurs diplômés supérieurs, contraints d’émigrer en Allemagne puisque, dans la division du travail européenne, ils n’ont plus de débouché professionnel chez eux. Pillage parce que bien entendu, l’Allemagne accueille ces compétences, le coût de la formation réglé par les pays d’origine, il n’y a pas de petites économies…
Mais il faut aussi des bras pour les travaux durs, et quoi de mieux que de jeunes immigrés surnuméraires dans leur pays d’origine, que l’on pourra exploiter beaucoup plus facilement que les couches populaires des pays développés européens qui ont déjà un siècle et demi de tradition de luttes et d’organisation. Dans un dessin assez écœurant de cynisme, le dessinateur du quotidien officiel du néolibéralisme nous a annoncé la couleur.
Ce dessin de Plantu scandalise les bobos bien-pensants.
Il ne fait qu’exprimer la réalité: l’immigration massive sert la classe dominante. pic.twitter.com/QO9Zl5c2Um
— 《On》 (@On_lacherien) 30 juillet 2017
Alors a été lancée à grande échelle l’opération « Refugees welcome ». Devant l’évidence, le terme « réfugiés » a fini par disparaître au profit de celui de « migrants ». Mais la propagande a continué avec les mêmes armes : culpabilisation, appel à la compassion, injonctions morales, mensonges éhontés, et surtout l’invisibilation de tous ces pauvres des pays européens premières victimes de la mise en œuvre de cette gigantesque opération. Parce que, chose extraordinaire, toutes les interventions politiques et médiatiques à propos de cette migration sauvage ne se placent que du point de vue des migrants. Car il faut être clair, le sort qui leur est fait conséquence de cette opération cynique est simplement dramatique. Et ils sont évidemment les premières victimes de ces nouveaux trafics. Mais c’est aussi le cas de ceux, à peine moins pauvres qui prennent aussi de plein fouet une triple spoliation sur laquelle on reviendra plus loin.
Une main-d’œuvre docile et peu coûteuse
Opération cynique, car à qui fera-t-on croire que les autorités allemandes ont imposé cette solution à l’UE parce que leur cœur saignait face à la détresse des réfugiés de ces pays où l’Occident a porté la guerre ? Soyons sérieux. Il s’agit simplement « dans les eaux glacées du calcul égoïste », de la mise en place d’un nouvel « engagisme » destiné à importer de la main-d’œuvre docile et peu coûteuse. Comme ce fut le cas au XIXe siècle dans les colonies après l’abolition de l’esclavage. Mais s’il ne faut pas mécaniquement comparer ce qui n’est pas comparable, l’identification des traits communs est révélatrice.
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Le premier est la communauté d’objectif: fournir des bras à l’économie, soit parce qu’il en manque ou parce que ceux qui sont là sont désormais hors-jeu. C’est ce qui s’est passé lorsque l’esclavage ayant été aboli, les planteurs refusèrent de salarier les anciens esclaves et préférèrent faire venir du « matériel neuf » renvoyant les esclaves libérés à leur misère et à leur marginalité dont on voit encore aujourd’hui les effets. Le dessin de Plantu, plus clair qu’un long discours nous renseigne sur cette similarité.
Petits trafics entre ONG
En second lieu les méthodes utilisées relèvent de la même logique. Il y eut deux sortes d’engagisme, l’un non réglementé, qui vit les razzias se poursuivre sur les côtes de l’Afrique de l’Est et de Madagascar, la différence résidait dans le caractère contractuel des conditions soumises à l’engagé devenu une sorte de serf par rapport aux anciens esclaves. La deuxième forme résultait d’un encadrement juridique plus strict, par exemple les accords existants entre la France et l’Angleterre pour le « cheptel » prélevé aux Indes. Cet encadrement n’était pas destiné à mieux protéger les « coolies », bien sûr, mais à permettre aux États de conserver le contrôle du trafic.
C’est exactement ce qui s’est passé récemment avec la Turquie. La crise de l’été 2015, et l’arrivée massive des migrants, passant de la Turquie à la Grèce avant de rentrer dans les Balkans, a été réglée par la négociation, disons des marchandages avec Erdogan. Le point de départ pour l’Europe des migrants s’est alors déplacé à la Libye dont on sait dans quel état l’a laissée l’intervention franco-anglaise. Après plus d’un an d’anarchie à base de violence, de racket, voire de véritables « marchés aux esclaves » s’est mise en place une forme de régulation étrange. L’acheminement des stocks étant « sous-traité » à d’étranges intervenants. Le crime organisé en Libye pour acheminer jusqu’aux ports, contrôler les embarquements et percevoir sa dîme. Prise en charge ensuite par des ONG à l’origine et au financement opaque, capables d’armer de véritables petits paquebots et qui viennent récupérer les malheureux à proximité des côtes libyennes pour les acheminer en Italie.
En Italie, où là aussi, la mafia toujours rapide à identifier les sources de revenus, contrôle désormais l’essentiel des filières de la remontée de la péninsule. En France, il semble que l’on soit a priori à l’abri pour l’instant d’une trop grande criminalisation du processus, à part peut-être pour l’alimentation des réseaux de prostitution. La cohorte des belles âmes, généreuses avec la misère et l’argent des autres pour s’acheter une bonne conscience, est, semble-t-il, pour l’instant suffisante. Et sous leur pression, l’État met la main à la pâte tout en mesurant la nécessité de son implication dans l’organisation. Ainsi, on vient d’apprendre qu’Emmanuel Macron s’était mis d’accord avec Angela Merkel pour mettre en place une « sélection » au départ des migrants.
L’abandon des couches populaires
Le troisième point commun relève du préjudice subi par les couches populaires confrontées à cette volonté d’importation de main-d’œuvre. Une petite connaissance de l’île de la Réunion et de l’île Maurice, permet d’appréhender au travers du statut social économique des communautés créoles noires, les conséquences dans la durée de l’engagisme tel qu’il s’est pratiqué. Ce qui permet d’ailleurs d’alimenter un racisme latent justifiant le statut inférieur de ces communautés.
Pour prendre l’exemple de la France d’aujourd’hui, les Français pauvres sont confrontés à une triple spoliation. Tout d’abord avec la décision de considérer qu’une partie des couches populaires, des chômeurs, des précaires, des plus pauvres est définitivement désaffiliée. Ils étaient déjà délaissés, ils seront abandonnés. Ensuite, cette gestion des migrants coûte cher à la collectivité. Et ce sont les institutions en charge du social dont les budgets sont déjà dramatiquement bas qui doivent faire face à ces importants surcoûts. Enfin, les mêmes couches populaires, déjà en situation d’insécurité matérielle, culturelle, et en panne d’espoir pour leurs enfants, se cabrent et prennent en haine ceux dont ils ont le sentiment qu’ils leur volent le peu qu’il leur reste et cherchent à leur imposer un modèle culturel dont ils ne veulent pas. C’est se tromper d’adversaire, les migrants n’étant comme eux-mêmes, ni particulièrement méchants, ni particulièrement gentils. Mais ils sont plongés dans une misère noire, désespérés de ne pas trouver l’eldorado qu’on leur avait promis, et confrontés à des modes de vie qui leur sont étrangers.
Alors, parler dans ces conditions de cohabitation harmonieuse et essayer d’imposer à coup d’injonctions morales, ce qui est perçu de part et d’autre comme une souffrance, c’est être soit irresponsable, soit cynique. Chez les politiques et les belles âmes, les trafiquants du « nouvel engagisme », il semble que l’on soit souvent les deux.
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