La nouvelle adaptation du Crime de l’Orient express – avec Johnny Depp – se rapproche plus du Titanic après l’iceberg que du chef d’oeuvre d’Agatha Christie…
Cela a été géré comme une bonne opération marketing façon Madison Avenue. Un casting de rêve, avec entre autres Kenneth Branagh, Johnny Depp, Michelle Pfeiffer ou encore la très talentueuse Judi Dench. Une co-production de poids incluant le primé Ridley Scott. Enfin, un scénario au succès assuré qui repose sur ce qui reste de l’un des plus gros succès de la littérature policière, jamais démenti depuis sa première publication en 1934. C’était presque trop beau pour être vrai. Et en effet, le « remake » du Crime de l’Orient express sent plus le plastique des plateaux californiens que le cuir luxueux de la Compagnie internationale des Wagons lits.
L’antiracisme sur les rails
Ceux qui, comme moi, ont vécu leurs premiers émois avec la littérature policière par la grâce des romans d’Agatha Christie se souviennent certainement de cette intrigue si brillamment ficelée. A bord du célèbre train, Hercule Poirot enquête sur l’étrange mort de Samuel Rachett, un méprisable homme d’affaires américain, assassiné de 12 coups de couteaux pendant la nuit. Le train se retrouvant bloqué par la neige par un blizzard, les riches passagers du convoi sont tous suspectés par le détective belge et les mensonges démasqués les uns après les autres.
Pour les fanatiques de la reine du crime, les premières images de l’adaptation de la 20th century Fox ne laissent aucune place au doute. Le Poirot nouveau version Hollywood tient plus de la blague potache façon Jack Black que du tendre ridicule dont Agatha Christie avait affublé son détective belge. On attend presque qu’il glisse sur une peau de banane. La couleur – ou son absence – est annoncée alors que la première énigme résolue par Poirot dans le film met en cause l’oppresseur britannique, accusé d’attiser les haines inter-religieuses entre le rabbin, l’imam et le prêtre. Heureusement, le Poirot du XXIe siècle est un super héros de l’anti-racisme, comme on le verra dans la suite du film.
De quoi vous défriser la moustache
Il faut bien avouer que Kenneth Branagh se révèle plus Chaplin que Poirot. L’acteur incarne, ou plutôt désincarne le célèbre détective belge en voulant en faire un homme d’action qui n’hésite pas à se retrouver sur le toit du train pour mener à bien ses réflexions. N’importe quel lecteur des romans d’Agatha Christie ne peut que vouloir arracher sa moustache de pacotille – d’ailleurs transformée pour l’occasion en un ridicule cor de chasse – à ce Poirot du nouveau monde. Le spectateur n’a qu’une envie : monter une manifestation exigeant le retour de David Suchet derrière les plus célèbres enquêtes du détective belge !
Ce n’est par ailleurs pas la seule erreur de casting et malgré le respect tout féminin que j’éprouve pour Johnny Depp, quelle idée d’en vouloir faire Samuel Ratchett, supposé être antipathique ?
Qui veut la peau d’Agatha Christie ?
On peut surtout se demander pourquoi le scénariste s’est senti obligé d’ajouter des enjeux raciaux à cette intrigue policière pourtant déjà riche en rebondissements. Ainsi, le Dr Constantine, initialement grec dans le roman, est désormais afro-américain et doit subir tout au long du film les remarques haineuses de Hardman, lui-même devenu allemand pour l’occasion. Ce n’est pas le fait que Constantine soit joué par un acteur noir qui dérange, mais bien l’obsession qu’ont mis les scénaristes à faire de la question raciale un axe central du film. L’agenda politique prend le pas sur le respect du livre, lequel était pourtant suffisamment intelligemment écrit pour susciter une réflexion – notamment autour de la notion de justice – sans qu’on ait besoin d’y accoler nos débats contemporains.
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Le réalisateur a surement dû avoir peur que le spectateur contemporain ne comprenne pas la finesse du dénouement final et s’est donc senti contraint d’y ajouter une fusillade simulé et une tentative de suicide raté. Malheureusement, le drame de la reine du crime s’est transformé, grâce aux bonnes grosses ficelles américaines, en une farce plus indigeste que celles qu’ils ingurgitent à Thanksgiving.
Il se dit que la Fox envisagerait une suite adapté du roman Mort sur le Nil de la romancière britannique. Les hérauts de la réécriture quasi inclusive hollywoodiens vont-ils en profiter pour utiliser son oeuvre afin de dénoncer le carcan patriarcal et le harcèlement sexuel ? Pitiez, épargnez-nous et laissez l’Orient express être le seul Titanic de l’adaptation de l’oeuvre de Christie !
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