L’éditorial de décembre d’Elisabeth Lévy
Se voiler la face, c’est aussi vieux que l’espèce humaine. Face au malheur, on dit « ce n’est pas possible », précisément parce qu’on sait que c’est possible. À l’échelle individuelle, le déni est une protestation et une protection contre l’insupportable, une béquille inoffensive si elle est transitoire. Dans la vie des peuples et des nations, il ouvre le chemin du déclin. Les Troyens n’ont pas écouté Cassandre, la guerre de Troie a eu lieu, par ici la sortie – de l’Histoire.
Les révolutions et les totalitarismes dont elles ont accouché, de 1793 à 1917, ont instauré une forme radicale de déni. Si on ne peut pas changer le monde, il faut imposer par la terreur et l’arbitraire un récit mensonger sur le monde. Dans 1984, il est interdit de dire que « deux et deux font quatre ». Dans la Russie stalinienne, tout le monde sait que le pouvoir ment, mais tout le monde fait semblant de le croire.
Or, dans l’Europe de la fin du XXe siècle, la réécriture du réel est redevenue un mode de gouvernement. Moins pour créer un homme nouveau, d’ailleurs, que pour habiller l’impuissance en vertu. Depuis plusieurs décennies, les gouvernements maraboutés par la gauche culturelle et médiatique
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