On a volé le crâne de Murnau ! Voilà un fait divers qui appelait des titres astucieux du genre « Murnau n’a jamais eu la tête sur les épaules », « Nosferatu a perdu la boule ! », « Allemagne : sac d’os et tête de nœud » ou encore « Murnau fera-t-il de vieux os ? ». Que s’est-il passé ? Des intrus ont pénétré – de nuit certainement, parmi les brumes vespérales… – dans le cimetière de Stahnsdorf (dans la périphérie de Berlin), ont crocheté la porte de l’impressionnant caveau familial du réalisateur qui repose paisiblement en ces lieux depuis près de 85 ans, ont ciblé le cercueil de Murnau, l’ont ouvert… avant de repartir avec le crâne de l’illustre figure de l’expressionnisme allemand. La violation de sépulture, la profanation, le recel de cadavre sont des pratiques qui prospèrent. La morale chrétienne le réprouve. Le bon goût le condamne. Avant Murnau, on avait déjà fait le coup à Charlie Chaplin… Cinéaste n’est pas un métier facile ! Peu après la mort du père de Charlot, un réfugié polonais résidant en Suisse avait entrepris (avec l’assistance d’un complice) de « kidnapper » l’illustre dépouille mortelle enterrée à Corsier-sur-Vevey, afin de faire un odieux chantage financier à la famille du réalisateur… La police avait fini par retrouver leur trace et fait capoter l’opération.
Au sujet du crâne de Murnau les indices sont minces. Le responsable du cimetière précise que les faits se sont probablement déroulés entre le 4 et le 12 juillet. Le crâne doit être loin à l’heure qu’il est. La police poursuit plusieurs pistes, dont celle de « pratiques occultes »… Murnau étant tout de même l’emblématique réalisateur de Nosferatu, eine Symphonie des Grauens (« une symphonie de l’horreur »[1. Banalement traduit en France par : Nosferatu, le vampire.]), l’un des plus effrayants films de vampires de tous les temps, long-métrage muet dominé par le jeu fantomatique de l’acteur Max Schreck qui incarne le Comte Orlok, répandant la peste sur son passage et se nourrissant de sang. L’une des plus remarquables lectures du conte de Bram Stoker et la naissance d’un genre cinématographique : l’épouvante. Le malheureux crâne de Murnau ne risque-t-il pas de finir dans la triste collection d’un sataniste cinéphile ? D’un écumeur de catacombes ? D’une sorte de gothique pathétique ?
En 1992 la tombe de Benny Hill avait aussi été profanée, et son cercueil « visité ». Une rumeur avait couru selon laquelle l’humoriste britannique joufflu, spécialiste des courses-poursuites coquines et burlesques avait été mis en terre avec sa collection de bijoux. Comique n’est pas un métier facile ! Buster Keaton, lui, avait demandé à être enterré avec un chapelet et un jeu de cartes (« afin d’être prêt à toute éventualité »). Quant à Robert Mitchum, il avait exigé d’être mis en bière avec des bouteilles de son whisky préféré afin que la traversée soit plus supportable… Personne n’a encore eu l’idée de lui barber sa gnole.
Nous suivrons de prêt l’enquête sur la dépouille de Murnau. En espérant que les autorités ne seront pas trop sévères si le malandrin rend le crâne du cinéaste. Peut-être s’agit-il simplement d’un cinéphile fébrile, d’un esthète vivant à 24 images par seconde, qui voulait simplement échanger quelques mots au sujet du 7e art avec l’un de ses plus grands pionniers.
Il est en effet plus intéressant de discuter cinéma pendant une heure avec Murnau mort, que trois heures avec Mathieu Kassovitz vivant…
*Photo : Flickr.com
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