Après deux années de Covid riches en émotions et en restrictions, les beaux jours reviennent. Retour sur deux ans de paix et d’harmonie offerts par des dirigeants vertueux.
En ce 1er août, un vent de liberté et la promesse d’une nouvelle ère soufflent sur la France. En plein cœur de l’été, les compteurs sont remis à zéro. Non seulement le pouvoir d’achat va connaître un bond spectaculaire (le SMIC passe de 8,53 à 8,76 € !) mais en plus, le passe sanitaire est aboli. C’est le 4 août avant l’heure, exit les privilèges, les citoyens (re)deviennent égaux devant la loi. L’urgence sanitaire n’a officiellement plus lieu d’être, toussez bonnes gens, vos éternuements ou autres miasmes ne seront plus accompagnés d’un regard réprobateur aux relents de délation, le 1er août sera bientôt un jour férié où les bals masqués fleuriront dans toutes les villes et les villages comme le bal des pompiers au 14 juillet.
Nous fûmes en guerre
Alors, ça fait quoi cette libération après deux ans de guerre, hein ? Souvenez-vous de notre président qui, l’air martial, s’était transformé en général pour nous annoncer l’engrenage belliciste dans lequel nous allions être plongés, les batailles que nous devrions mener « collectivement », et les privations qui allaient fatalement en découler. Chacun a participé à l’effort de guerre. La 6e puissance mondiale, incapable de fabriquer un morceau de tissu retenu par deux élastiques qu’on appelle dans un langage très technique « masque chirurgical », a mis tout le monde à la couture pour fabriquer l’objet qui, par magie, au début de la guerre s’avérait inutile voire dangereux avant de devenir indispensable et même obligatoire.
Magasins et restaurants étant fermés, seules les courses de première nécessité étaient autorisées. Les rayons des grandes surfaces vendant ce qui pouvaient ressembler de près ou de loin à une paire de chaussettes ou un t-shirt étaient soigneusement mis à l’écart et protégés aussi précieusement qu’une parure de diamant dans une boutique place Vendôme. La résistance s’organisait. Certes les Français étaient confinés mais ils détenaient la haute responsabilité de s’autoriser eux-mêmes à sortir et en avaient profité pour dévaliser dès le début des hostilités de quoi soutenir un siège. Papier-toilette, coquillettes, farine, huile ont été pillés au point qu’il fallait rationner ou raisonner les clients dès les réassorts effectués en leur enjoignant de ne prendre qu’un produit par foyer. Le président, avec la bienveillance qui le caractérise, non content de nous apprendre à nous laver les mains, nous avait conseillé de profiter du confinement pour lire, ce qui a permis par la suite aux bacheliers de 2022 de goûter toute la saveur du texte de Sylvie Germain, copieusement harcelée sur le net, et de polémiquer sur l’emploi abusif du mot « ludique » dans un énoncé de dissertation.
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De lire à écrire, il n’y a qu’un pas que de nouveaux Tolstoï franchiront, à n’en pas douter. Dans un récit flamboyant où le réalisme le disputera au lyrisme, au fil des pages que le lecteur, pour mieux s’imprégner de l’ambiance, pourra tourner fébrilement, les mains imprégnées du gel hydroalcoolique fourni avec l’exemplaire. Se déploieront, telle une fresque sur les murs mythiques d’une galerie du Louvre, les splendeurs et les misères d’une France combattant le virus sans céder au repli sur soi. L’opus, sobrement nommé « Pâtes et PQ » sera à la France ce que Guerre et paix fut jadis à la Russie.
Applaudir tous les soirs à 20 heures
Quelques médecins proposèrent de soigner mais on leur demanda gentiment d’avaler leur serment d’Hippocrate et d’attendre l’arrivée du vaccin qui fut mis sur le marché au bout de quelques mois avec tout le recul nécessaire qu’exige l’expérience scientifique. A vrai dire, ce n’était pas vraiment un vaccin, du moins pas stricto sensu, mais comme ce mot fut adopté par la communauté scientifique avec l’accord du gouvernement, ou l’inverse, on décida d’appeler ainsi la panacée. Avec l’instauration de ce nouvel outil sanitaire, les Français eurent donc, en leur âme et conscience, la liberté de choisir entre des injections massives ou l’éviction sociale. L’instauration de ce passe permit également de jouer les profileurs et cerner la personnalité du virus, ce qui était en soi une bonne chose puisqu’il allait désormais faire partie de notre quotidien. Il fallait donc le connaître pour mieux le combattre, bien que certains surent s’en faire un ami.
C’est ainsi qu’on apprit qu’il prenait les transports mais pas tous : le TGV, mais jamais le métro ou les trains de banlieue. Il allait au restaurant, il aimait s’asseoir en terrasse mais pas être debout, puis ensuite si, en fait il aimait bien et finalement après non. Debout, assis, couché. On ne savait plus. Le gouvernement trancha en fixant le 16 février 2022 comme jour officiel de la réintroduction du droit de boire debout dans un café : c’était une victoire qui ne pouvait qu’encourager à continuer le combat.
Des soignants furent suspendus car ils refusaient un vaccin qui ne permettait pas de se protéger de la maladie ni de la transmettre, au profit du personnel vacciné qui pouvait toutefois s’avérer positif – et donc le transmettre – pour les mêmes raisons énoncées plus haut puisque le vaccin ne permet pas de se protéger de la maladie ni de la de transmettre (vous suivez toujours ?). Seront-ils réintégrés ? Pour l’heure, l’ARS a demandé aux agents de Pôle Emploi de contacter les soignants au chômage. Vaccinés (et qui boivent peut-être aussi leur café debout), ce qui laisse augurer d’autres mesures qui seront précisées avec le nouvel organe destiné à remplacer le conseil scientifique, dissous ce dimanche 31 juillet.
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La « der’ des der’ »
Au moment de l’abandon du passe, les langues se délient. Il est curieux de voir comment ceux qui étaient embarqués fièrement sur le Titanic s’emploient maintenant à gonfler les gilets de sauvetage en prévision du choc avec l’iceberg. Jean-François Delfraissy, jusqu’alors président du Conseil Scientifique, s’agite dans tous les sens et reconnaît les traitements inhumains infligés aux patients dans les EHPAD pendant la crise et la main-mise des laboratoires sur les stratégies vaccinales, il regrette la gestion de la pandémie et anticipe même sur la prochaine, la variole du singe, pour laquelle il se veut rassurant : les formes graves sont très faibles.
On va tous mourir. Un jour ou une nuit. Mais pendant ces deux ans, il y a eu des malades dont on ne s’est pas occupés, des personnes âgées mortes seules et d’ennui, des opérations reportées, des interdictions de soigner, des effets secondaires graves tus, des faillites, des dépressions, des mises au chômage, des familles fâchées, des études bâclées, un climat d’hystérie et d’angoisse, une société hygiéniste mais humainement malade. Le terrain pour l’instauration d’un nouveau mode de vie s’est préparé, rendant les citoyens dociles, maîtrisés par la peur.
C’est la fin de l’urgence sanitaire et du passe mais le début d’une autre vision du monde et de la société. Que les nostalgiques de l’ordre sanitairement moral se consolent, d’autres maladies vont circuler. Après la simiesque variole verra-t-on peut-être apparaître la grippe du dragon de Komodo ou la rubéole de l’ours. En attendant, dormez bonnes gens, l’État veille sur vous.