De nombreux citoyens continuent de clamer « je ne veux pas servir de cobaye ». Anne-Laure Boch analyse ici tout ce qui a fait le lit d’un tel refus civique, dont le paroxysme est incarné par les antivax. Notre bureaucratie doit vite trouver des solutions pour que tous les volontaires à la vaccination obtiennent leur rendez-vous.
Il y a quelques jours, je me suis fait vacciner contre le covid. En tant que personnel soignant de plus de 50 ans, j’ai eu accès au vaccin à partir du 4 janvier. Dans mon service, tous les chirurgiens et médecins éligibles à la vaccination se sont précipités à la médecine du travail dès la première semaine, entraînant dans leur suite le personnel paramédical, qui était initialement plus partagé sur les risques et bénéfices de la vaccination. Violemment exprimé dans un cri unanime, un argument-massue l’a emporté : « Qu’on arrête de nous emmerder avec le covid, enfin ! ».
Disons tout de suite que je n’ai eu aucun effet indésirable. Parmi nous, quelques-uns se sont plaints de céphalées et myalgies passagères, rien de bien méchant. Il n’y a eu aucun choc allergique ni autre accident grave. Pour être entièrement libérés du fléau qui nous pourrit la vie depuis presque un an, nous attendons maintenant avec impatience la deuxième injection, trois semaines après la première.
Le point Godwin du Pape
Comme la majorité des scientifiques et en particulier des médecins, j’ai suivi avec étonnement le débat sur les réticences vis-à-vis du vaccin exprimées dans la population générale. En temps normal, loin de toute situation épidémique, dans le confort d’une illusoire « santé parfaite », la position des antivax paraît déjà difficile à justifier. Mais dans la situation actuelle, à la lumière de ce que nous endurons depuis que le covid a fait irruption dans nos vies, ravageant notre société, notre sociabilité et notre économie, on reste pantois devant la somme d’ignorance scientifique, d’inculture historique, d’égoïsme à courte vue et de manque de civisme qu’il faut pour s’opposer à la vaccination. Le pape a qualifié les antivax de « négationnistes suicidaires ». Sans aller jusqu’à ce point Godwin, je reprendrai quelques arguments de bon sens pour essayer de convaincre les lecteurs hésitants, si faire se peut.
Ignorance scientifique – Le principe des vaccins, la stimulation d’une immunité spécifique à un agent infectieux préalablement à la rencontre avec cet agent, repose sur un domaine de la biologie à la fois complexe et fascinant, l’immunologie. Malgré les efforts de vulgarisation, peu de gens sont à même de comprendre pleinement cette science subtile. À tout le moins, ils pourraient se renseigner sur les effets cliniques des vaccins et comparer avec les résultats des autres thérapeutiques. Les statistiques sont amplement disponibles, et très éloquentes. Ceux qui les consulteraient apprendraient alors que de tous les médicaments, les vaccins, anciens ou modernes, sont parmi ceux qui ont le meilleur « service médical rendu ». Leur rapport bénéfices/risques est particulièrement élevé : les effets secondaires sont rares et le plus souvent très minimes (douleur au point de ponction, fièvre modérée…). Les effets graves, quant à eux, sont rarissimes (réaction allergique, exceptionnellement maladie auto-immune retardée…). Le fait de ne pas développer la maladie ou d’en développer une forme atténuée est à l’évidence ce qu’on peut espérer de mieux en matière médicale. Aujourd’hui où l’on parle à tout bout de champ de « prévention », comment ne pas voir dans les vaccins le paradigme de ce qu’il faut faire pour promouvoir la santé publique ? C’est d’ailleurs ce que la population demande de manière insistante face aux maladies en général, sans même s’en tenir aux maladies infectieuses, qui sont pourtant le terrain exclusif des vaccins. Pensons au SIDA, qui depuis 40 ans a fait l’objet d’une recherche intensive. Si demain un vaccin est enfin mis au point, imaginerait-on d’en priver la population au profit de la trithérapie pour les seuls cas déclarés, traitement au long cours dont tous les séropositifs peuvent témoigner des inconvénients ? Les vaccins contre le covid ont certes été mis au point et testés en des temps record. Mais c’est là une performance de la recherche qu’il faut saluer plutôt que de dénigrer les institutions qui l’ont réalisée. En quelques mois, on a su lever des fonds, mobiliser des équipes scientifiques, inventer des techniques nouvelles, établir des protocoles cliniques, mettre en place des chaînes de production… Dans le cas présent, les critiques envers les laboratoires pharmaceutiques responsables de cette prouesse semblent relever de la pure et simple mauvaise foi.
Le vaccin a délivré l’humanité de grandes calamités
Inculture historique – Il faut avoir la mémoire bien courte pour oublier ce qu’était le monde avant les vaccins. Un monde ravagé par les épidémies de variole, choléra, diphtérie, coqueluche, tuberculose, poliomyélite, fièvre jaune, typhoïde, méningite à méningocoque… Par des maladies non épidémiques mais non moins atroces et souvent mortelles : rage, tétanos… Et même par des infections qui semblent moins affreuses mais qui prélevaient jadis un lourd tribut, notamment chez les enfants : rougeole, oreillons, rubéole, haemophilus influenza, hépatite B, pneumocoque… Pour les amateurs de littérature, je recommande la lecture du dernier roman de Philip Roth, Némésis. Ils y suivront les progrès d’une épidémie de poliomyélite particulièrement dévastatrice dans l’Amérique des années 1940. Ils verront comment l’irruption de la maladie fait basculer le destin d’enfants et d’adolescents à l’orée de leur vie. Ils seront bouleversés par la souffrance, et la mort, et le handicap définitif. En un mot, les vies détruites. Peut-être relativiseront-ils alors notre propre situation, dans un monde délivré de certaines de ses plus grandes calamités par la grâce des vaccins.
Il aurait fallu produire et acheter local… Mais mon patriotisme a été frustré par l’échec de Sanofi!
Égoïsme à courte vue – Ici la remarque qui accable est : « Je ne veux pas servir de cobaye ». Les égoïstes estiment que leur propre protection doit passer par l’effort concédé par les autres citoyens, sur lesquels reposera l’obtention de la fameuse « immunité collective » qui doit nous permettre de retrouver une vie à peu près normale. Il s’agit là d’une réaction non seulement égoïste, mais aussi stupide. Elle fait penser au dilemme du prisonnier. Cette situation de la théorie des jeux, inventée par Tucker à l’université de Princeton, met en scène deux suspects, arrêtés par la police et interrogés séparément ; ils auraient intérêt à se couvrir mutuellement pour diminuer leur peine de prison ; mais en l’absence de communication entre eux, chacun choisit d’accuser l’autre ; les deux sont alors lourdement condamnés. La raison de cette attitude « catastrophique » est que si l’un est fidèle et que l’autre trahit, le fidèle sera pénalisé par rapport au traître, qui s’en tirera sans dommage. Pourtant, si les deux prisonniers se dénoncent l’un l’autre, le résultat leur est moins favorable que si les deux avaient choisi de se soutenir. Le dilemme du prisonnier exprime la défiance entre partenaires où chacun veut arracher pour soi la meilleure part sans considération du dommage qu’il inflige à l’autre. À la fin, les deux sont punis de leur absence de solidarité.
Une société française marquée par la défiance et la suspicion
Manque de civisme – C’est en définitive la triste situation où s’abîme une société, ou plutôt une anti-société, marquée par la défiance et la suspicion. L’absence de liens, notamment affectifs, entre les membres, frappe de caducité la règle morale la plus simple, celle de la réciprocité. Le manque de confiance induit le repli sur soi et condamne à l’échec toute action collective. La responsabilité du gouvernement est ici accablante. Dans cette crise, qui a rompu la confiance avec les citoyens, si ce n’est le gouvernement ? Avec ses mensonges (les masques inutiles puis obligatoires, les frontières ouvertes puis fermées, les tests inefficaces puis à développer en urgence…), ses incohérences, son autoritarisme, sa condescendance, ses changements de cap, ses compromissions, le gouvernement a atomisé la société. Ses épigones, « conseil scientifique » et autres mandarins grassement rémunérés, ont achevé de le discréditer face une population écœurée par l’ampleur des conflits d’intérêt. L’affaire du remdésivir, objet d’une promotion éhontée par Gilead et finalement aussi inefficace que dispendieux, le scandale du Lancet et des études scientifiques truquées, les controverses autour des professeurs Raoult et Perronne menacés de plaintes pénales et démis de leurs fonctions, le lobbying indécent d’un Big Pharma cyniquement avide de prospérer sur la crise sanitaire (privatisation des profits, collectivisation des pertes), tout cela a fait le lit d’un refus civique incarné par les antivax.
Leur révolte est cependant bien mal placée. Non que la liberté civique ne soit une grande cause à défendre. Mais la « liberté vaccinale », comme liberté fondamentale, ça se pose un peu là ! Quoi ! Nous sommes assignés à résidence, contraints au couvre-feu, éloignés de nos familles et de nos amis, privés de restaurant, de cinéma, de théâtre, de sport et autres divertissements, interdits de voyages, assujettis à des autorisations de sortie humiliantes, soumis à des contrôles kafkaïens, et pour beaucoup d’entre nous voués au chômage, à la faillite et au désespoir, et on nous parle de défense des libertés individuelles ! Une personne âgée en EHPAD, par exemple, devrait avoir la liberté de ne pas se faire vacciner… alors qu’on trouve acceptable de limiter de façon drastique la visite de ses proches (une demi-heure par semaine, sur rendez-vous, une seule personne à la fois, à distance voire derrière une vitre, masqué…) ! La disproportion entre le caractère liberticide des mesures sus-citées et le déplaisir de la vaccination est criante, et même ridicule.
Tout sera mieux que la procrastination
Le seul problème des vaccins, c’est leur éventuelle efficacité insuffisante. À court terme tous les laboratoires promettent actuellement des taux de protection supérieurs à 90 %, voire 95 %, ce qui est déjà très bien. Cependant sur le long terme la durée de la protection obtenue est inconnue. Ces faits plaident pour une vaccination massive et surtout rapide. Car le pire serait de faire traîner encore l’épidémie jusqu’à ce que les premiers malades (ou vaccinés) perdent leur immunité et se recontaminent. La faillite économique et sociale se doublerait alors d’une faillite sanitaire au long cours, sans espoir de sortir de la crise.
Mais l’essentiel dans la vaccination est aussi d’ordre psychologique. Il faut rassurer, permettre aux gens de sortir de l’état d’infantilisation et de recroquevillement que l’État a sciemment induit chez eux. Revenons au bon sens ! Avec une maladie aussi peu létale (moins de 0,5% toutes formes confondues), on peut tolérer une circulation du virus pour peu qu’on protège les personnes à risque de forme grave. Ce sont elles qui sont vraiment menacées par la maladie. Une fois ces personnes vaccinées, les autres citoyens, qui sont paralysés par la peur de contaminer leurs proches, seront délivrés du poids qui pèse sur leurs épaules et pourront reprendre une vie normale. Je pense en particulier aux jeunes, sans cesse culpabilisés comme « propagateurs du virus ». Leur vie et leur avenir sont sacrifiés à une classe d’âge qui a bénéficié de tous les avantages de la croissance et qui n’entend rien lâcher. D’autre part, augmenter le plus possible la part des vaccinés dans la population générale nous permettra d’approcher cette « immunité collective » dont on nous rebat les oreilles (entre 50 et 70% d’une population immunisée). Il faut donc vacciner massivement tous les volontaires, qu’ils soient craintifs hypocondriaques ou civiques philanthropiques, et pas seulement les très grands vieillards. Et s’il faut instaurer un « passeport vaccinal » pour encourager les gens, pourquoi pas ? Au point où nous en sommes, tout sera mieux que la procrastination qui nous asphyxie peu à peu. De même que les soignants sont vaccinés à partir de 50 ans, et même plus jeunes pour ceux qui ont une comorbidité, il faut assurer à chacun l’accès à ce sésame qui seul permettra de sortir de la bulle prétendument protectrice mais surtout étouffante dans laquelle nous sommes confinés. La notion de « métiers essentiels à vacciner en priorité » est ici particulièrement choquante. Elle masque simplement l’incapacité de l’État jacobin et de sa bureaucratie obèse à organiser rapidement la vaccination de masse.
Difficile d’obtenir un rendez-vous
Il semble que le gouvernement s’emploie à convaincre les hésitants du bien-fondé de la vaccination… à sa façon ! La nullité de la campagne initiale, qui nous a couverts de ridicule face à nos voisins européens, le fiasco actuel de la prise de rendez-vous pour les plus de 75 ans, le grotesque d’une bureaucratie centralisée opposée à toute initiative locale, tout cet Absurdistan pitoyable a exaspéré les citoyens et rendu le vaccin hautement désirable. Les sondages en témoignent : l’opposition au vaccin recule à mesure que le rationnement s’installe. Le désir se nourrit du manque, c’est une loi bien connue en psychologie. Remercions donc le gouvernement de son impéritie qui saute aux yeux de tous. Grâce à elle, les antivax perdront peut-être leur dernier argument. Celui d’un complot gouvernemental destiné à nous asservir fait long feu. Reste l’incompétence, qui n’est pas pour nous réjouir.
Pour finir ce texte bien sérieux sur une pirouette, je dirais que la seule chose qui m’a chagrinée dans la vaccination qui m’a été dispensée, c’est le choix de la marque. Comme tout le monde à ce stade, j’ai reçu le vaccin Pfizer/BioNTech. Je n’ai pas d’opposition de principe à ce vaccin ultra-moderne, issu de la recherche la plus inventive. La technologie des ARN messagers est à elle seule assez époustouflante. Le fait qu’il n’y ait pas un recul important ne me gêne pas, car la méthodologie de développement est rigoureuse. Mais les conditions politiques dans lesquelles les contrats d’achat se sont négociés m’ont mise mal à l’aise. Une fois encore, le lobby américain s’est conduit en terrain conquis dans ses dominions européens. Il aurait fallu produire et acheter local… Mais mon patriotisme a été frustré par l’échec de Sanofi.
Alors, si j’avais pu choisir, j’aurais pris le Spoutnik V ! Le Spoutnik, c’est la puissance et le réalisme de la science russe. Un vaccin classique, bon marché, facile à transporter et stocker, sans doute un peu rustique mais adapté aux défis d’une vaccination de masse. Un vaccin du peuple. Un vaccin qui est le premier, comme la capsule spatiale dont il porte le nom. Et qui, peut-être, connaîtra une success story comme celle du produit phare de l’industrie russe, cet objet fabriqué à des centaines de millions d’exemplaires, qui donne pleine satisfaction à ses très nombreux utilisateurs, partout dans le monde, sans se démoder depuis 70 ans… la Kalachnikov ! Ainsi décrite par Yuri Orlov (Nicolas Cage) dans Lord of War : « L’AK47 ou Kalachnikov, le fusil d’assaut le plus célèbre du monde. Une arme appréciée par tous les combattants. Quatre kilos sept d’acier et de bois d’une élégante simplicité. Incassable, il ne chauffe pas, il ne s’enraye jamais. Couvert de boue ou plein de sable, il continue de fonctionner. Il est d’un emploi si facile que même les enfants peuvent s’en servir… et ils s’en servent. Les soviétiques l’avaient fait figurer sur une pièce de monnaie, le Mozambique sur son drapeau. Depuis la fin de la guerre froide, la Kalachnikov est devenue le premier produit d’exportation de la Russie, devant la vodka, le caviar et les écrivains suicidaires. En revanche, personne n’a jamais fait la queue pour acheter leurs voitures. »
L’avenir nous dira si on fera la queue pour acheter le vaccin russe… Par les temps qui courent, il faut être beau joueur et surtout ne pas faire la fine bouche. Alors, on lui souhaite bien du succès !
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