Accueil Édition Abonné Avril 2024 Immigration : un pognon de dingue

Immigration : un pognon de dingue

Le taux de chômage des descendants d’immigrés originaires du Maghreb, d’Afrique subsaharienne ou de Turquie est 2,5 à 3 fois plus élevé que celui des personnes sans ascendance migratoire...


Immigration : un pognon de dingue
Bar de HLM à Trappes, en 1975 © Bridgeman Images

Des études institutionnelles pointent le coût négatif de l’immigration pour les finances publiques. Cela s’explique notamment par la sous-qualification des immigrants et par leur dépendance aux aides sociales sur plusieurs générations. Mais notre appareil statistique est aveugle à ces phénomènes.


On le sait : l’immigration est un sujet politique multiforme, qui ne saurait se résumer à une analyse matérielle et comptable. Si ce phénomène cristallise tant de désaccords et de passions dans la société française, c’est qu’il emporte des conséquences sur de nombreux aspects de la vie nationale au-delà de l’économie : culture, démographie, religion, sécurité, relations internationales…

Pourtant, la question de l’immigration est souvent réduite à ses ressorts économiques dans le débat public. En fonction du locuteur, celle-ci est tantôt présentée comme un frein irrémédiable à la croissance, tantôt comme une richesse en soi, quelle que soit sa nature. Cependant, plusieurs études institutionnelles convergent ces dernières années quant au coût globalement négatif de l’immigration pour les finances publiques en France, cette approche budgétaire apparaissant comme un reflet juste de l’impact financier de l’immigration pour la société d’accueil.

La première et la plus frappante du genre nous est venue du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) en 2018. Publiée par cet organisme public rattaché au Premier ministre et intitulée « L’impact budgétaire de 30 ans d’immigration en France », cette étude s’intéresse à une période historique relativement longue (1979-2011) et propose un modèle prenant en compte les descendants d’immigrés – permettant ainsi de formuler l’estimation d’un bilan au long cours, là où d’autres études se contentent d’une vision figée des phénomènes migratoires.

Forts taux de chômage et d’inactivité

Selon le scénario de référence qui n’inclut que la première génération des immigrés eux-mêmes, l’immigration a contribué en moyenne au déficit public de la France à hauteur de 0,16 % de PIB chaque année entre 1979 et 2011. La charge de l’immigration pour les finances publiques a toutefois eu tendance à s’alourdir : elle s’est élevée à 0,49 point de PIB en 2011.

S’agissant du scénario prenant en compte la « deuxième génération » des descendants d’immigrés (appelé « scénario « 2degénération »), il aboutit à une contribution moyenne au déficit public de la France à hauteur de 1,3 % de PIB chaque année sur la période considérée, pour une contribution au déficit à hauteur de 1,64 point de PIB en 2011– ce qui équivaut à 43 milliards d’euros en points de PIB de 2023, soit près de la moitié du montant annuellement collecté par l’impôt sur le revenu.

Une autre institution publique (internationale pour celle-ci) a produit une étude de référence relative au coût de l’immigration : c’est l’OCDE qui, dans son étude « Perspectives des migrations internationales » parue en novembre 2021, s’est également penchée sur le coût net de l’immigration pour les finances publiques dans différents pays et avait abouti, dans le cas de la France, à des estimations notablement proches de celles établies par le CEPII.

Dans le scénario n’intégrant que la première génération des immigrés et intégrant le coût économique des divers biens publics, l’OCDE évaluait le coût annuel net de l’immigration pour les finances publiques à 0,85 point de PIB par an.

Dans le scénario intégrant aussi l’impact de la première génération des descendants d’immigrés en plus de celui des immigrés eux-mêmes, le coût net de l’immigration pour les finances publiques en France était estimé à 1,41 % de PIB par an en moyenne sur la période 2006-2018. Rapporté au PIB de 2022, cela représenterait une charge annuelle nette de 37 milliards d’euros – soit l’équivalent de toutes les dépenses annuelles du ministère de l’Intérieur.

Malgré le caractère tout à fait conséquent de telles sommes, soulignons que les approches méthodologiques de ces études conduisent souvent à les sous-estimer encore, par exemple dans la façon dont l’OCDE ventile le coût de certains biens publics (comme la police ou la justice) entre natifs et immigrés – qui tend à majorer artificiellement la contribution de ces derniers.

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Ce constat ne vient pas de nulle part. Il a partie liée avec la nature spécifique de l’immigration en France, souvent peu qualifiée et marquée par de forts taux de chômage et d’inactivité. En effet, 37,2 % des immigrés vivant en France en 2021 et ayant terminé leurs études initiales n’avaient aucun diplôme ou seulement un équivalent brevet/CEP selon l’Insee. Ce taux de non-diplômés était 2,5 fois supérieur à celui des personnes sans ascendance migratoire. Il était de 42,2 % parmi les immigrés originaires du Maghreb, 51,4 % parmi ceux d’Afrique sahélienne et 61,7 % chez les immigrés originaires de Turquie.

Cette structure de qualification dessine des populations structurellement sous-contributrices à la richesse nationale en moyenne, et sur-consommatrices des différents dispositifs de solidarité collective en vigueur dans notre société. Plusieurs facettes de ce coût net négatif peuvent être appréhendées en prenant l’exemple des Algériens, première nationalité bénéficiaire des titres de séjour actuellement valides en France.

En 2017, 41,6 % des Algériens de plus de 15 ans vivant en France étaient chômeurs ou inactifs (ni en emploi, ni en études, ni en retraite), selon les données Insee analysées par le ministère de l’Intérieur, soit un taux trois fois plus élevé que celui des Français (14,1 %).

Seuls 30,6 % de ces mêmes Algériens étaient en emploi, contre 49,7 % des ressortissants français – soit un taux d’emploi inférieur de près de 20 points.

Risques de crue : plus de 400 migrants délogés des quais de seine, Paris, 6 mars 2024. ©HOUPLINE-RENARD/SIPA

La moitié (49 %) des ménages d’origine algérienne vivait en HLM en 2018, soit presque quatre fois plus que les ménages non immigrés (13 %).

Les mêmes proportions se retrouvent largement pour les autres origines migratoires du Maghreb, mais aussi pour les ressortissants d’Afrique subsaharienne, de Turquie ou du Proche-Orient.

Ces différentiels négatifs ne disparaissent hélas pas avec le passage à la génération suivante. En effet, le taux de chômage des descendants d’immigrés (« deuxième génération ») originaires du Maghreb, d’Afrique subsaharienne ou de Turquie est 2,5 à 3 fois plus élevé que celui des personnes sans ascendance migratoire ou d’origine européenne. Un tel phénomène explique pourquoi, dans l’étude menée par l’OCDE comme dans celle du CEPII, le coût annuel net de l’immigration était deux à trois fois plus lourd lorsqu’il prenait en compte non seulement les immigrés eux-mêmes, mais aussi la première génération de leurs descendants.

Des chiffres encore imprécis

Ces études sont d’autant plus précieuses si on observe que l’appareil statistique français ne permet pas de mesurer de façon fiable les coûts de l’immigration, et donc d’en débattre posément dans des cadres idoines, tels que celui du débat budgétaire annuel au Parlement. Dès 2019, le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale insistait sur le manque de fiabilité du document de politique transversale annexé au projet de loi de Finances et censé retracer l’ensemble des dépenses de l’État relatives à l’immigration. Son rapport d’information pointait explicitement « de nombreuses approximations ou des incohérences », parmi lesquelles :

· Une forte sous-évaluation des coûts scolaires des enfants immigrés de la part du ministère de l’Éducation nationale, qui n’imputait à la politique de l’immigration que le coût des dispositifs fléchés sur des enfants allophones ou issus de familles itinérantes et de voyageurs (0,5 % des effectifs), pour un coût dérisoire de 161 millions d’euros. À titre de comparaison, pour évaluer ces mêmes dépenses, le ministère de l’Enseignement supérieur appliquait une quote-part de 10,6 %, représentant la proportion d’étudiants étrangers, pour un montant total de plus de 2,2 milliards d’euros ;

· Une importante asymétrie des coûts liés à la police aux frontières et ceux de la chaîne pénale applicables aux infractions relevant du séjour sur le territoire (ce qui exclut les délits de droit commun dans lesquels des étrangers peuvent être impliqués), entre les chiffres fournis par la police nationale (1,2 milliard d’euros pour 2020) et ceux relevant de la gendarmerie nationale (28 millions d’euros pour 2020).

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Le comité évoquait également des dépenses qui, sans être exclusivement ciblées sur la prise en charge de l’immigration, comportaient une nette surreprésentation des populations immigrées chez les bénéficiaires, parmi lesquelles la « politique de la ville » et la politique du logement. Il regrettait enfin l’absence de prise en compte des dépenses engagées par les collectivités territoriales, alors que l’échelon local supporte de plus en plus l’effort financier relatif à la prise en charge de certaines filières d’immigration : mineurs isolés étrangers (45 000 en 2023 selon l’Assemblée des départements de France), insertion sociale et professionnelle des étrangers sans emploi, etc.

Copie sur ton voisin !

Certains de nos pays voisins ont pourtant développé des appareils statistiques permettant d’évaluer précisément l’incidence de l’immigration sur les finances publiques. De nombreux États comme l’Islande (1953), la Suède (1966), la Norvège (1968), le Danemark (1968), la Finlande (1970), la Belgique (1968), les Pays-Bas (1994), l’Espagne (1996) ou l’Autriche (2000) ont mis en place un registre de population centralisé au niveau national, quand d’autres pays comme l’Italie, l’Allemagne et la Suisse disposent de registres de population à l’échelle locale. Ces registres intègrent les habitants nationaux et immigrés, et comprennent souvent plusieurs modules qui s’intéressent au logement, à l’emploi, à l’éducation… permettant ainsi de mieux cibler certains thèmes et en particulier d’appréhender le coût de l’immigration de la façon la plus précise.

L’insuffisance de notre appareil statistique pour étudier l’immigration et les populations d’origine étrangère a été pointée de longue date par la démographe Michèle Tribalat, notamment dans son ouvrage Les Yeux grands fermés (Denoël, 2010). Plusieurs administrations publiques (Insee, Ined…) y travaillent sur des périmètres différents et partagent mal leurs informations. Aux conséquences de cet éclatement s’ajoutent celles d’obstacles normatifs uniques en leur genre : la CNIL a déclaré « sensibles » des données qui sont aisément disponibles dans d’autres pays et demeurent peu utilisées en France… Ce manque de transparence empêche les citoyens ainsi que les décideurs publics de connaître précisément les mécanismes et les conséquences de l’immigration, en particulier pour ce qui a trait à son bilan économique et budgétaire.

La question de l’immigration se situe au cœur de la crise française de confiance. Plus que jamais, il importe donc que le gouvernement et le Parlement se donnent les moyens de connaître le réel sur ce terrain essentiel, afin de concevoir et mettre en œuvre des politiques publiques conformes à l’intérêt national comme aux aspirations démocratiques du grand nombre de nos concitoyens, mais aussi, in fine, aux intérêts des étrangers résidant dans notre pays.

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Article extrait du Magazine Causeur




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L'Observatoire de l'immigration et de la démographie (OID) a été fondé en 2020 par un groupe de hauts fonctionnaires et de membres de la société civile (entrepreneurs ou simples citoyens). Il se veut une structure d'étude et d’information relative aux évolutions migratoires et démographiques de la France, destinée aux décideurs ainsi qu’à l’ensemble des citoyens intéressés par ce sujet.

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