Accueil Édition Abonné L’école (de banlieue) qui fait chanter la Marseillaise

L’école (de banlieue) qui fait chanter la Marseillaise


L’école (de banlieue) qui fait chanter la Marseillaise
Chaque matin au cours Charles-Péguy, à Sartrouville, les élèves assistent à la levée des couleurs. Photo: Hannah Assouline

Peut-on donner aux élèves issus de milieux défavorisés la chance de réussir que l’école publique a échoué à leur offrir? C’est le pari fou du réseau Espérance Banlieues dont les établissements hors contrat réhabilitent le goût de l’effort, le vousoiement et même la Marseillaise. Reportage.


Au début, on a du mal. Vousoyer des mioches de 6 ou 7 ans, cela donne l’impression de renoncer à son statut d’adulte, même si eux vous donnent du « Madame » et s’adressent à « Maîtresse Lore » ou à « Maître Guillaume ». Et puis on se dit que non seulement ce formalisme d’un autre âge instaure la distance que l’Éducation nationale s’ingénie à détruire, mais qu’il est peut-être une façon de rappeler aux enfants et aux adultes qu’ils sont là, les uns pour découvrir, les autres pour servir un monde plus grand qu’eux. Alban Reboul Salze, quadra élancé et urbain qui dirige le cours Charles-Péguy à Sartrouville, dernier-né du réseau Espérance-Banlieue créé par le maire de Montfermeil Xavier Lemoine, avance une explication assez proche : « La spécificité de cette école, c’est qu’on dit aux enfants qu’on croit en eux. Le vousoiement leur montre qu’on respecte les adultes qu’ils vont devenir. Maintenant, cela me choque presque quand on tutoie mes adolescents dans la rue. Et croyez-moi, cela n’a rien à voir avec l’égalité. » De fait, quand on observe cette petite collectivité en action, le doute n’est guère permis : il y a bien des adultes qui enseignent, fixent les limites et sanctionnent s’il le faut, et des enfants qui sont là pour apprendre et pour progresser.

Une religion: l’amour de la France et de sa culture

Hors contrat mais laïques, les écoles Espérance Banlieue sont largement nées de la volonté de cathos d’œuvrer pour la collectivité. Certains, comme Bruno Duthoit, qui se démène pour trouver des financements, y consacrent leur retraite. Pour Alban Reboul Salze, cela ressemble à une mission. Avant de se lancer dans cette aventure, il était cadre dans l’industrie pétrolière et menait la vie confortable des expatriés : « La semaine, on travaille comme des dingues et le week-end, on se repose au bord de la piscine en râlant sur la France qui ne marche pas. Alors j’ai eu envie de faire quelque chose pour mon pays et pour ma ville. »

Planté dans une rue sans charme et sans désagrément, entre les deux zones sensibles de la ville, le Plateau et le Vieux pays (un gag d’urbaniste, sans doute), le cours Charles-Péguy va tripler ses effectifs en cette rentrée 2017, puisque l’école qui accueillait quatorze enfants à la fin de sa première année scolaire en attend trente-neuf, répartis entre le CP et la sixième, certaines classes étant regroupées pour les cours. Cette année, le directeur a accepté de décaler la rentrée de deux jours par rapport au public : « Nombre de mes élèves passent leurs vacances dans leur pays d’origine. En rentrant deux jours après la rentrée scolaire, les parents font des économies substantielles sur leurs billets d’avion. »

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Pour les créateurs d’Espérance Banlieue, la diversité des origines est une donnée – à Sartrouville, il y a même des petits blonds comme ceux que réclamaient, dans les classes de leurs enfants, des mères de cités de l’Hérault. Mais, et c’est l’un des secrets de la réussite de l’entreprise, la diversité culturelle n’implique nullement un régime multiculturaliste des pratiques et des enseignements. Quoique hors contrat – les familles payent 75 euros par mois, un effort qui, selon le directeur, est un élément du succès – et largement inspiré, s’agissant des règles de la vie collective, par Baden-Powell, Charles-Péguy est un établissement laïque : « Avant d’accepter un élève, on parle très longuement avec chaque famille pour s’assurer que leur engagement ira dans le même sens que celui de l’école, résume Bruno Duthoit. Expliquer pourquoi les enfants doivent venir à l’école le jour de l’Aïd en fait partie. » « Nous sommes un établissement a-confessionnel, la transcendance n’est pas notre domaine », renchérit Alban Reboul Salze. Et pourtant, il flotte dans l’air un petit quelque chose de presque religieux. En réalité, il y a bien une religion officielle, à Péguy, c’est l’amour de la France et de sa culture. Bruno Duthoit se souvient d’un père qui lui a dit : « On oublie ça dans la famille et l’école, heureusement, est là pour nous le rappeler. »

Entendre des petits Alioune et Sanaa brailler l’hymne national avec tant de cœur, ça rend optimiste

Comme chaque matin, avant le début des classes, les élèves et le personnel se tiennent debout, dans la cour, pour l’assemblée : le directeur évoque le spectacle du lendemain, les nouveaux robinets (qui doivent durer) et félicite le cycle 2 pour l’accueil de Lina. Le cérémonial s’achève par la levée des couleurs (drapeau français et européen…), puis les élèves entonnent un couplet de la Marseillaise : « Parfois, c’est le premier, même s’il est un peu trop sanglant, parce que c’est celui que tout le monde connaît et qu’ils sont fiers de le chanter le 11 novembre avec des anciens combattants », explique le directeur. Le jour de notre visite, ils chantent le dixième, celui qui commence par « Nous entrerons dans la carrière quand nos aînés n’y seront plus ». Tout un programme. N’empêche, entendre des petits Alioune et Sanaa brailler l’hymne national avec tant de cœur, ça rend optimiste.

S’ils sont de religions et d’origines diverses, presque tous les élèves de Charles-Péguy ont en commun d’avoir été condamnés par l’école publique. Une solide Africaine raconte, avec un large sourire : « Ma fille était en CP et ne savait ni lire ni écrire. On l’a fait passer en CE1 et le maître m’a dit qu’elle était handicapée. » Elle a découvert Espérance Banlieue par un prospectus ramassé par sa belle-mère. Elle les a contactés sans espoir excessif. « Et maintenant tout roule, elle a même arrêté l’orthophoniste. » Cette histoire est, avec différentes variantes, celle de presque tous les élèves de Charles-Péguy : des enfants que l’Éducation nationale a échoué à prendre en charge, quand elle n’a pas contribué à les laminer. Une autre mère confie que, à l’école, on lui avait dit que son fils était autiste…

Les méthodes d’enseignement n’ont rien de révolutionnaire – à moins de considérer comme révolutionnaire le fait que les enfants lèvent le doigt avant de parler et se placent en rang avant d’entrer dans la classe. Mais visiblement, ce respect de la discipline n’est pas considéré comme une horrible contrainte par les élèves, ni par leurs familles. Issus de milieux modestes, les écoliers de Charles-Péguy partagent néanmoins un immense privilège : leurs parents n’ont pas baissé les bras et savent que l’éducation est le bien le plus précieux qu’ils peuvent offrir à leurs enfants. Ils font confiance à ceux à qui ils confient leurs enfants et font leurs les règles qu’ils définissent. C’est peut-être la première raison pour laquelle le système Espérance Banlieue n’est sans doute pas généralisable : l’Éducation nationale ne saurait abandonner à leur sort tous ceux dont les familles ont jeté l’éponge. Sans doute serait-il difficile, par ailleurs, de recruter sur grande échelle des enseignants animés par la foi de missionnaire de « Maîtresse Lore » et « Maître Guillaume ». Enfin, on ne sait pas si le système fonctionnerait avec un taux d’encadrement bien plus faible. Il serait donc abusif de prétendre que la méthode aujourd’hui appliquée dans huit écoles de France constitue la réponse-miracle au défi de la massification. Reste que tous les experts qui se gargarisent d’expériences étrangères dans lesquelles « l’enfant est son propre professeur » devraient s’intéresser à celle qui, à deux pas de chez eux, réussit ce miracle : donner aux enfants l’amour de leur culture et la passion d’apprendre.

Septembre 2017 - #49

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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