Au moment où les Français sentent que notre démocratie et le pacte républicain qui la fonde se détériorent, au moment où les plus pessimistes d’entre eux craignent même leur effondrement, il est urgent que la parole publique retrouve sa légitimité et ceux qui la portent leur crédibilité. Certains hier revendiquèrent le droit d’inventaire. D’autres aujourd’hui pourraient encore le faire. Ce ne serait que rester à la surface de la réalité du problème et faire à nouveau diversion. Il est autrement plus fondamental que nos élus s’interrogent sur la véritable raison du désintérêt grandissant de leurs compatriotes pour la chose publique.
La maladie dont souffre notre démocratie porte un nom : l’absence de courage. Si tous les dangers ne sont pas de même nature, intervenir avant qu’il ne soit trop tard suppose chez le responsable politique, quel que soit le danger, une fermeté d’âme que bien souvent il n’a plus. Avant de tolérer les coups de boutoir islamistes qui, depuis des années, affaiblissent notre République et en menacent l’unité, nos élus se sont entraînés à tolérer les coups de boutoir d’artistes contemporains qui ébranlent les hauts lieux de notre patrimoine.
L’invasion de l’art contemporain
Ces coups de boutoirs ne s’en prennent pas à nos cathédrales, nos abbayes, nos palais ou nos châteaux physiquement comme ce fut le cas à Bâmiyân, Mossoul ou Palmyre ; ils les atteignent insidieusement en parasitant leur majesté, leur austérité ou leur sérénité par une confondante puérilité. Un peu partout sur notre territoire et depuis de nombreuses années, nos élus, au nom d’une liberté d’expression dont ils décidèrent d’ignorer par électoralisme le dévoiement, ont ouvert la porte à l’imposture de l’art contemporain et accepté que les enfants de nos écoles aillent perdre leur temps, et plus que leur temps, devant des pianos siliconés, des frigidaires juchés sur des coffres-forts ou des aspirateurs présentés comme des sculptures.
La droite, pour ne parler que d’elle, a souvent déploré la permissivité de notre société, dénoncé à juste raison les excès de ses travers. Mais elle ne fut pas la dernière à donner au laxisme ses lettres de noblesse. C’est elle qui livra le Louvre, pour ne prendre qu’un des exemples les plus emblématiques, à l’inconséquence de « responsables culturels » dont elle accepta sans protester la nomination. Un certain Jan Fabre, qui sera poursuivi pour maltraitance animale après s’être livré à un « lancer de chats » dans une cage d’escalier, y fut invité à déverser, dans la salle des Rubens, des tombereaux de pierres tombales. L’imposture est aussi vieille que l’impuissance. Mais l’imposture comme politique publique assortie d’une inauguration par les plus hautes autorités de l’Etat est un phénomène aussi nouveau qu’inquiétant.
1986, Jack Lang déjà en marche
Alors que Jack Lang, dans les années 1980, répandait sa généreuse lumière sur notre pays en proie à l’obscurantisme depuis plusieurs décennies, Jacques Chirac demandait à son délégué à la culture de dénoncer la timidité de ses « z’idées ». Cette orthographe ne se veut nullement moqueuse. « Allons z’idées » était un slogan qui, en 1986, barrait le front d’un portrait bariolé du ministre de la culture que l’on voyait fleurir un peu partout sur les murs de nos villes. Trente ans avant En Marche, Jack Lang avait lancé un mouvement sans véritable but qui se défendait d’être un parti ou un club et s’appelait tout bêtement Le Mouvement. « Les gouvernements passent, expliquait-il à la presse, le mouvement de la vie reste le plus fort, des millions de gens souhaitent que nous continuions à aller de l’avant, c’est un mouvement d’idées et d’actions. » « Il ne s’agit pas d’une opération présidentielle », s’était-il empressé d’indiquer pour éviter le courroux de l’Elysée. François Mitterrand n’était pas François Hollande. Il faudra attendre ce dernier pour que le mouvement se mette en marche.
La course à la démagogie n’a jamais essoufflé l’homme politique. Ces années Jack Lang furent celle du plus beau sophisme qu’un ministre inventa et que la classe politique tout entière répéta. Il ne fallait surtout pas paraître « ringard » pour retrouver son siège. Parce qu’on voulait être réélu, on écrivait à l’artiste contemporain qu’on finançait son projet. Le sophisme que l’on ressassait ad nauseam dans les commissions culturelles, les débats télévisés, les visites guidées, les articles de journaux étaient un modèle du genre : « Vos grands parents ont raté les impressionnistes, gardez-vous de répéter leur erreur ! » Être consterné par l’insignifiance d’un « artiste » était devenu l’irréfutable preuve de son talent. « Vous n’aimez pas ce morceau de rail en équilibre sur une caillasse ? C’est bon signe. Faites confiance à votre haussement d’épaule ! Il vous prévient que vous êtes devant une œuvre d’art. Vous ne pouvez plus vous tromper. Il vous suffit d’inverser le signe négatif du jugement qui au début fut le vôtre pour rejoindre la grande famille des véritables amateurs d’art. »
L’art contemporain à l’avant-garde du terrorisme
Du pseudo-artiste qui s’expose à l’islamiste radicalisé qui aujourd’hui s’explose, le terreau qui en a permis l’éclosion est le même : la lâcheté. Après notre patrimoine artistique, ce fut au tour de notre patrimoine républicain de se voir contesté, moqué, bafoué. De même que nos élus ne surent ni flairer l’imposture de l’art contemporain ni critiquer le sophisme dont ses promoteurs se servaient pour asseoir leur respectabilité, de même ils ne surent se méfier de la nocivité de ces droits de l’homme que les fondamentalistes musulmans invoquent en toute occasion. Privilégiant l’individu au détriment du citoyen, ces derniers tentent d’imposer à la République des mœurs qui lui sont contraires et dont la reconnaissance ne peut que la conduire à sa perte. En affirmant l’équivalence de tous les systèmes de valeurs, le droits-de-l’hommisme fait nécessairement le lit du communautarisme et appelle celui-ci à se substituer à l’unité de la République.
Obsédés par leur réélection, trop d’élus refusèrent de voir que le dévoiement de la liberté par des minorités serait pour le pays une source de graves difficultés. Nous y sommes. C’est le courage qui, à l’évidence, a fait défaut. Et il a fait défaut parce que la conscience, la première, a fait défaut. Celle-ci s’est depuis toujours forgée dans les livres qui seuls permettent à l’esprit d’éviter les pièges de la confusion. Aussi suffit-il de constater le peu de monde qui fréquente les bibliothèques de notre Parlement ou les librairies alentour pour être éclairé sur le mal profond dont souffre notre pays. Il y a une quinzaine d’années, un maire de droite, parlementaire de surcroît, écrivait à l’un de ses collègues, au sujet d’une troupe qu’il envisageait d’accueillir en résidence dans sa ville, que l’important pour lui n’était pas la qualité de la programmation de ces gens de théâtre mais le sérieux de leur gestion.
Demain, le cauchemar?
A qui lui demandait au sortir d’une audition, où étaient passés ses collègues, un parlementaire (nommé depuis au Conseil constitutionnel) avait répondu : « Que voulez-vous, ça leur passe au-dessus de la tête. » Cette réponse en dit long sur l’intérêt des parlementaires pour l’éclairage que certains spécialistes peuvent leur apporter afin de mieux comprendre ce que vivent les Français. Un autre, et pas des moindres, après avoir entendu un géographe lui présenter la situation du pays, avoua comprendre enfin ce qui lui avait échappé il y a plusieurs mois lors d’une visite sur le terrain. Et pourtant il continue, avec ses collègues, à concevoir ce genre de visite comme le nec plus ultra de son travail, oubliant combien les livres sont précieux pour appréhender le réel dans sa complexité. Sans doute la raison du « dégagisme » de grande ampleur que nous venons de connaître se trouve-t-elle dans le contresens de nos politiques sur ce qu’ils appellent le « terrain ». A se demander s’ils ont lu La Chartreuse de Parme, ce roman dans lequel Stendhal écrit à propos de Fabrice del Dongo perdu au milieu des fumées de Waterloo : « Il n’y comprenait rien du tout ».
La respectabilité des mandats de maire, de président d’intercommunalité ou de métropole, de président de conseil départemental ou régional, de sénateur, de député cache de plus en plus difficilement l’incapacité de nombre de leurs titulaires à faire face à la montée des périls. L’hypocrisie, la langue de bois, le mensonge, l’éclat de rire démonstratif et la familiarité de la grande tape affectueuse dans le dos du roi dont on est l’inévitable cousin ne leur seront bientôt d’aucun secours : la situation du pays a commencé de façon inquiétante à révéler au grand jour leur bévue et leur incurie. Pour une large majorité de Français, l’isoloir n’est plus que le vestige d’une démocratie qui a viré à la comédie. Ce seront bientôt tous nos concitoyens qui l’abomineront, si nos politiques continuent à se donner ainsi en spectacle. Car ils se donnent en spectacle. Et ils s’y donnent sans vergogne. Il est grand temps qu’ils se ressaisissent et se mettent à l’école du courage. Qu’ils se méfient ! De la comédie au cauchemar le chemin est beaucoup plus court qu’ils ne l’imaginent.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !