Trois ans après l’assassinat de Samuel Paty, l’histoire se répète. Avec la mort de Dominique Bernard se repose la question des recompositions de la société française et des réponses que l’institution scolaire peut apporter.
Il y a de tristes anniversaires. Celui de l’assassinat de Samuel Paty. Et aujourd’hui, Dominique Bernard, professeur fauché lui aussi par un terroriste islamiste dans un lycée du Nord de la France, à Arras. L’école a été tuée deux fois. Deux passants du mauvais endroit au mauvais moment, passeurs de Français et d’Histoire. Ce double assassinat, perpétré dans le fragile sanctuaire de l’école républicaine, pose la question non seulement du statut de ces deux disciplines au sein de l’institution scolaire, mais aussi de leur valeur et du sens qu’on veut bien leur donner.
Plus qu’un facteur, la langue française a été un catalyseur d’union nationale dans un pays historiquement fragmenté sur le plan linguistique comme sur le plan politique. Le monolinguisme institutionnel repose d’ailleurs en France sur un consensus profond pour ne pas dire ancestral, dont les limites sont apparues à la faveur de deux événements. Les émeutes consécutives à la mort de Nahel d’abord, les évolutions inhérentes à la composition de la population, voire des populations française(s) ensuite.
Les événements qui se sont ourdis à Nanterre avant de se répandre ailleurs ont été l’occasion d’une prise de conscience certes temporaire, mais violente. Des milliers de nos concitoyens français ignorent la réalité de certains « quartiers ». Des pans entiers de notre territoire abandonnés à des modes de vie quasi alternatifs, autonomes, assujettis à des formes de pouvoir locaux dont l’existence-même échappe au pouvoir politique national. Il existe aujourd’hui des familles entières, arrivées en France parfois depuis plusieurs décennies, qui ne parlent pas le français, qui ne veulent pas l’apprendre et qui ne souhaitent pas qu’on le leur apprenne. Ces mêmes familles récusent parfois l’ordre républicain et obéissent à des logiques et des modes d’organisation sur lesquelles plus personne n’a de prise au sein-même de l’État. Le français est donc concurrencé sur son propre territoire, et la lettre de la Constitution n’y peut rien.
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Les recompositions de la société française s’inscrivent quant à elles dans le temps long. L’évolution de la langue, ses inflexions, ses concessions n’en sont que l’une des conséquences. Mais force est de constater que les effets de la partition entre la langue parlée à la maison par les nouvelles générations de Français issus de l’immigration, et la langue parlée à l’école n’ont pas fait l’objet des réflexions nécessaires. La France s’est en effet entêtée dans une logique volontariste et assimilationniste de principe, sans se préoccuper des effets concrets d’une telle politique. Laquelle a conduit au rejet de la langue de la République, sous l’effet de la marginalisation d’une partie des populations issues de l’immigration par l’échec scolaire. Au lieu de penser, puis d’instaurer des pédagogies permettant de penser le rapport entre les langues de l’intime et de l’école, quintessence et lieu d’expérimentation de l’espace public, l’école a marginalisé la famille et sa langue. Elle a, ce faisant, contribué à la marginalisation et à l’échec scolaire de populations qui, aujourd’hui, récusent le rôle d’assimilation de notre langue.
L’école privée échappe à la désintégration publique
Il est symptomatique aujourd’hui, que les familles qui en ont les moyens intellectuels et pécuniaires fassent le constat de l’impuissance de l’école publique à enseigner correctement le français. Seuls les « grands » établissements des grandes villes et des villes moyennes sont réputées dispenser des cours aptes à former les jeunes Français à l’usage correct de la langue, de sa grammaire, de son vocabulaire. Conséquence ? L’État, jusqu’à l’arrivée de l’actuel ministre de l’Éducation nationale, s’est enfermé dans une condamnation stérile de l’école privée. Condamnation sans véritables effets, ni au regard du pseudo-protocole de mixité sociale des établissements sous contrat d’association, ni au regard de la cohérence. La plupart des hautes personnalités de notre pays continuent en effet de scolariser leurs enfants dans le privé pour échapper à la désintégration publique.
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Les deux assassinats auxquels l’école vient d’être confrontée en l’espace de seulement trois ans posent aussi la question de l’histoire, au moment-même où le président de la République souligne l’importance de son enseignement chronologique. La transmission des repères spatio-temporels est en effet la condition sine qua non pour se penser en tant que société, c’est-à-dire comme héritiers d’une séquence d’événements qui font ce que nous sommes collectivement. Cette conception n’a pas vocation, faut-il le rappeler, à s’enfermer dans des déterminismes ethniques ou religieux, mais au contraire, à s’ouvrir au monde à l’appui d’une ambition universaliste essentiellement française. La laïcité, la langue, l’école sont les leviers de cette grande transformation des êtres en citoyens. Encore faudra-t-il s’en (re)donner les moyens.
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