France 2 diffusera bientôt « Apocalypse, la 1ère guerre mondiale » d’Isabelle Clarke et Daniel Costelle. Ce dernier a bien voulu répondre à quelques questions sur cette déflagration européenne, dont les conséquences n’ont pas cessé de nous hanter.
Avez-vous été étonné par le nombre et la qualité des archives encore jamais vues, relatives à la Première guerre mondiale ?
J’ai été stupéfié, vous voulez dire ! Isabelle Clarke ni moi-même ne soupçonnions qu’il restait dans les archives 80% de documents inédits ! C’est la même histoire que les premiers Apocalypse : il faut chercher ! Notre producteur, Louis Vaudeville, Barbara Hurel et Fabrice Puchault, de l’Unité documentaires de France 2, nous en ont donné les moyens. Puis, tous les gens qui travaillent avec nous, comme Valérie Combard, savent où aller, où enquêter dans le monde entier. Quant à la qualité des documents, vous savez, il y avait déjà nombre de caméras au format 35 mm, qui donnait d’excellentes images. Les cinémathèques du monde entier conservent fort bien leurs archives : il s’agit de mémoire nationale. Pour le format 35 mm, il y avait un négatif et un positif, nous avons donc pu reprendre les négatifs, et réparer, quand cela était nécessaire, toutes les petites misères que le temps fait subir aux positifs. Nous poursuivons notre série Apocalypse [1. Apocalyspe, la 2ème guerre mondiale] par la Guerre froide : certains documents sont d’une qualité inférieure, tournés dans des formats de vidéo, qui vieillissent très mal et n’ont pas de négatifs. Nous avons enfin été étonnés du nombre de documents en 35 mm filmés par des amateurs.
Enfin, il faut parler des opérateurs, qui ont travaillé pendant cette guerre. C’est évidemment délicat à dire, compte-tenu de l’horreur de l’événement, mais les opérateurs de la Première guerre mondiale étaient des cinéastes, des artistes ! Leurs images sont souvent belles. Ils travaillaient comme des peintres aux armées, avec, en particulier, un vrai souci du cadre ; or, quand ils disposaient d’un viseur, celui-ci était rudimentaire. C’est impressionnant, vraiment. Et les risques qu’ils prenaient ! Les caméras, souvent, étaient placées sur un pied : ils formaient une belle cible.
Peut-on discerner sur les individus, sur les traits de leurs visages, les effets du temps qui passe, c’est-à-dire du temps de la guerre ?
Nous sommes très attentifs au décryptage des images. Il y a ce que l’on voit immédiatement, puis ce qui transparaît, ce qui se dévoile : en temps de guerre, toute image relève de la propagande, c’est-à-dire l’armée. C’est elle qui paie, c’est elle qui commande. Pour la France, par exemple, vous assistez à une visite d’usine ; il faut montrer que la production d’obus bat son plein, que l’« arrière » travaille pour ceux qui combattent. Tous les hommes sont au front, les femmes sont à l’usine. À y regarder de près, on lit clairement la détresse de ces femmes dans leurs yeux. La propagande peut toujours essayer de montrer une réalité, le regard de ces femmes échappent à la propagande : il dit bien leur tristesse, leurs solitude, leur fatigue aussi. Elles aussi, elles perdaient leur vie ! On constate la même chose chez les soldats : au-delà des défilés impeccables, ou des visites aux tranchées, on surprend, chez nombre de ces hommes, dans leurs yeux, la terrible vérité quotidienne de cette guerre de destruction.
La Première guerre n’a pas besoin, pour survivre dans l’esprit des français, de ce qu’on appelle le « devoir de mémoire ».
La mémoire, je n’ai fait que la servir. Cette série consacrée à la Grande guerre révèle bien le glissement tragique de civilisation, qui s’est alors opéré. Il nous a fait basculer dans un autre monde. Jusqu’au 1er août 1914, nous étions, en Europe, dans un moment de civilisation très brillant, qui s’est effacé brutalement, et nous sommes alors entrés dans un temps de mort. On se pose souvent la question de ce que pourrait être la vie après la mort, eh bien, il me semble que la fin des hostilités, en 1918, nous donne une réponse, certes pessimiste : après cette déflagration universellement criminelle, tout le monde était mort ! Les manifestations autour de cette guerre -et je ne parle pas seulement de ce centenaire-, qui participent de ce qu’on appelle le « devoir de mémoire », nous disent la même chose. La vie après la mort, c’est la vie après l’Armistice. L’humanité se survit, avec des soubresauts. Nous sommes des fantômes sortis d’un récit de science-fiction, qui s’appelle l’Après-guerre.
À partir du 18 mars à 20h45 sur France 2 : Apocalypse, la 1ère guerre mondiale.
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