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Quelles compétences, notamment législatives, Darmanin est-il prêt à donner aux élus corses?


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Assemblée de Corse, Ajaccio, 28 septembre 2023 © Raphael Lafargue/POOL/SIPA

Ile de Beauté. Emmanuel Macron et Gérald Darmanin veulent que le vaste chantier de l’autonomie avance d’ici mi-mars. Une révision constitutionnelle semble indispensable pour tenir les promesses présidentielles de septembre 2023. Un chemin très hasardeux les attend.


A défaut de l’avoir fait sur le premier, dont on se souviendra uniquement quant aux crises qui l’ont jalonné (gilets jaunes, Covid, Ukraine), Emmanuel Macron tient absolument à marquer son second mandat de réformes constitutionnelles. Il en avait amorcé une à la fin de son premier mais elle est restée lettre morte.

Alors, puisque le Sénat vient de décider de sa validation, il va inscrire dans le marbre la protection de l’IVG. Soit. Il veut désormais une réforme de la Corse.

Pensées complexes

Ainsi en septembre 2023 il s’est exprimé devant l’Assemblée de Corse sur l’avenir institutionnel de l’Île de Beauté. Il a prévenu que ce « moment historique » ne se fera pas « sans » ou « contre » l’État français. Dans un discours fleuve, dont il a de plus en plus la manie, et « afin d’ancrer pleinement la Corse dans la République », il a souhaité son « entrée dans la Constitution », un geste qu’il a même qualifié « d’indispensable ». Le président a aussi évoqué « une autonomie à la Corse », qui ne serait « pas contre ou sans l’État mais pour la Corse, dans la République ». S’il n’a pas précisé davantage les contours des changements, les futures annonces devront faire l’objet d’un consensus politique au sein de l’Assemblée de Corse. Le résident de l’Elysée souhaite « ouvrir une gouvernance libre et responsable, compatible avec la Constitution ». Il a même annoncé qu’« un texte constitutionnel et organique » sera soumis à son vote « d’ici six mois », soit mars 2024. Ensuite, s’il est accepté, un processus de révision constitutionnelle sera engagé.

Le président Macron devant l’Assemblée corse, Ajaccio, 28 septembre 2023. A ses côtés, Gilles Simeoni et Marie-Antoinette Maupertuis © Raphael Lafargue/POOL/SIPA

Le 27 février, Gérald Darmanin a reçu les principaux représentants de l’Ile afin d’évoquer le projet. Depuis le discours présidentiel de septembre, on a senti un manque d’investissement certain du ministre de l’Intérieur (chagriné de n’avoir pas été nommé à Matignon et polarisé sur Mayotte) dans un dossier dont il a pris soin d’en attribuer la paternité au président de la République. Mais dorénavant il a dû avancer seul puisque le président est affairé sur les problèmes agricoles (la séquence du Salon a été un fiasco total) et empêtré dans une politique étrangère on ne peut plus erratique. Après plusieurs heures de débat, il semblerait que Gérald Darmanin n’ait pas seulement accepté l’idée d’une capacité d’adaptation de la Corse au pouvoir réglementaire et législatif. Il a aussi validé celle d’une « autonomie législative » propre à la collectivité. Cette position a bien entendu réjoui Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de Corse depuis 2015 : « Il est acté, en l’état actuel du texte, que la Corse sera dotée d’un statut d’autonomie au sein de la République ».  Donc, si l’on s’en tient à çà, il faut désormais traduire cela dans la Constitution. Car, si l’on a bien compris le discours de septembre, c’est la volonté présidentielle que de graver ceci dans le marbre.

Plus personne ne s’est frotté à la question du « peuple corse » depuis Jospin

Il convient de rappeler ici les principales évolutions de la Corse au fil de notre histoire. Le département de Corse est créé à la Révolution française le 4 mars 1790, vingt-deux ans après que la république de Gênes a cédé ce territoire insurrectionnel et indépendant sous l’ère de Pasquale Paoli à la couronne de France. C’est en 1793 que l’île est divisée en deux départements. Suite à la rébellion qui se fait à Bastia, en 1811, le département unique est restauré par décret impérial. La deuxième partition se produit en 1976 et renoue avec les frontières de la première. Seuls les noms changent : Haute-Corse et Corse-du-Sud. Cette partition nouvelle est la conséquence d’un évènement dramatique.  Le 21 août 1975 à Aléria, plusieurs hommes armés de fusils de chasse, entraînés par le docteur Edmond Simeoni (père de Gilles Siméoni), ont fait feu sur les gendarmes afin de défendre un viticulteur indépendantiste. Bilan : deux gardes mobiles tués et un militant grièvement atteint. La pression de la violence clandestine et l’avènement de la gauche au pouvoir débouchent sur une évolution institutionnelle majeure. Sous l’impulsion de François Mitterrand et de son ministre de l’Intérieur Gaston Defferre, la région Corse se voit octroyer un statut particulier. Et le 8 août 1982, la première Assemblée territoriale est élue au suffrage universel direct à la proportionnelle intégrale. C’est l’Assemblée de Corse qui confère à l’île une (prétendue) unité à la fois politique et administrative. En 1991, le ministre de l’Intérieur, Pierre Joxe, initie un projet de loi modifiant le statut de l’île, mais il reste dans les clous de la Constitution même s’il intègre la notion de peuple corse. Le Conseil constitutionnel le censure, mais Pierre Joxe n’envisage pas lui non plus de changer le texte de 1958.

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Durant la période de cohabitation, à l’issue des accords de Matignon en 2002, le Premier ministre, Lionel Jospin, présente une démarche en deux temps. D’abord un projet de loi qui intègre le pouvoir normatif et voté par le Parlement, censuré ensuite sur ce point par le Conseil constitutionnel. Puis, en pleine campagne de l’élection présidentielle de 2002, il fait une promesse : réformer la Constitution sur un nouveau statut pour l’île. Son échec électoral, dès le 1er tour, mettra fin à la réforme. Par la suite, plus aucun gouvernement ou président, ni Chirac, ni Sarkozy, ni Hollande, n’envisagera une quelconque modification constitutionnelle pour la Corse réalisable dans leur mandat.

La gouvernance de l’île démontre depuis quelques temps que les deux départements sont confinés dans un rôle de second plan. Au point que, en juillet 2003, Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, propose aux Corses de supprimer, par référendum, les deux conseils généraux au profit d’une collectivité unique. C’est l’échec. Il est désormais acquis que si la « bidépartementalisation » a permis de répartir plus équitablement les crédits publics entre Nord et Sud (il y aurait à redire sur l’utilisation desdits crédits !), elle n’a pas calmé les tensions entre Ajaccio et Bastia.

La crainte du surgissement d’autres volontés communautaristes

Alors le président Macron a décidé de constitutionnaliser la singularité Corse en quelque sorte. Sur la base de quel projet ? Celui « imposé » par les élus corses lors de la réunion à Matignon citée ci-dessus. Il est on ne peut plus alambiqué et reconnaît « l’insularité méditerranéenne de la Corse » et « l’attachement de la communauté à sa terre ». Ce ne serait ni plus ni moins que constitutionnaliser le communautarisme. Et ce serait là une faute grave, une gigantesque boite de Pandore de laquelle risquent de profiter bien des outre-mer…. Précisons également que le texte consacre le pouvoir d’adaptation des textes législatifs et réglementaires déjà esquissé en 2002, mais jamais appliqué. Ce dernier point serait à notre sens envisageable (en outre-mer cela existe déjà).

De toute évidence ce projet consacrant la Corse dans la Constitution, s’il est adopté, sera soumis à la sagacité du Conseil Constitutionnel. Et on ne voit pas comment ce dernier pourra valider un texte qui consacrera le communautarisme. Les arguments sont nombreux qui plaident en ce sens : indivisibilité de la République, universalisme, unicité du peuple français pour ne citer que les principaux.  Notre société fonctionne en faisant communautés, et la communauté n’est pas un problème en soi. C’est lorsque des groupes se replient sur eux-mêmes ou sont en rupture vis-à-vis de la société que l’on peut parler de communautarisation. Le cas des islamistes pose de plus en plus question à cet égard. Certains quartiers de nos banlieues marseillaise ou parisienne vivent de graves replis communautaristes en voie de sécessionnisme pour certains.

Si le texte était adopté il risquerait d’en être ainsi des Corses sur leur île. La tentation du repli y est déjà pratiquée à certains endroits, que ce soit par le biais de la langue corse et des pratiques culturelles.  On note même à certains endroits un rejet de certaines communautés étrangères…

Où en est-on de ce texte ? Il est prévu que les Corses soient consultés sur ce nouveau statut et « donnent leur accord sur cette discussion politique », a annoncé Gérald Darmanin. Reste à voir si la réforme fera l’objet d’un titre à part dans la Constitution, comme le souhaitent les nationalistes, ou d’un simple article, une option qui a la préférence du président de la République. Le ministre de l’Intérieur a donné rendez-vous à mi-mars. Puis il présidera « si les choses sont conclusives, un comité dit stratégique sous 48 heures ».

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Après consultation de l’Assemblée de Corse, « le président de la République engagera, quand il voudra, la réforme constitutionnelle », a souligné le ministre de l’Intérieur. In fine, celle-ci devra recueillir l’approbation des trois cinquièmes du Parlement réuni en Congrès. Et c’est sans doute là que le bât blessera et que l’échec sera. Il en serait de même si le président décidait d’utiliser la voie référendaire. Sa personne, plus encore que sa présidence, suscite un tel rejet. A peine 32% de Français estimant qu’il est « un bon Président » (baromètre politique Odoxa du mois de février 2024).

Et allons jusqu’à l’hypothèse de l’adoption du texte. Comme on l’a dit, il serait soumis à coup sûr au Conseil Constitutionnel. Et le résultat est connu d’avance : censure. Seule pourrait être préservée l’adaptabilité réglementaire ou législative. Selon un sondage CSA pour CNews, Europe 1 et Le Journal du dimanche (11/01/2024), la préoccupation N°1 des Français est le pouvoir d’achat (44%). Suivent : santé (32%), insécurité (26%), immigration (24%), environnement (22%). Viennent ensuite les inégalités sociales et le terrorisme (12% chacun), l’école (11%), l’emploi (9%) et le logement (7%). Sauf à être frappé de berlue, la Corse n’apparait nulle part. Et ledit sondage englobe aussi celle-ci !

Donc M. le président, mettez-vous en tête cette phrase d’un de vos illustres prédécesseurs, Georges Pompidou : « Arrêtez d’emmerder les Français ! ». Notamment avec des réformes dont ils n’ont que faire.Calmez-vous, respirez. Ça va bien se passer !

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Maître de conférences en droit - Université Clermont Auvergne

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