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Corps inhumains


photo : Null Value (Flickr)

Qui a dit que nous ne savions pas, en matière de littérature de genre, faire aussi bien que les Américains, c’est-à-dire des thrillers remarquablement documentés, découpés en séquences courtes et nerveuses qui vous conduisent au bout de leurs six cents pages serrées sans que vous vous en soyez rendu compte, le temps d’une insomnie ou d’une après-midi sur la plage ?

Oubliez cependant Thilliez et Chattam, de plus en plus surfaits, et qui s’éloignent chaque jour un peu plus de l’actualité pour sombrer dans l’exploration fantasmatique voire ésotérique des tueurs en série. Faire aussi bien que les Américains ne veut pas dire les imiter. Cela suppose de prendre ce qu’il y a de meilleur dans une technique narrative pour métaboliser une documentation plutôt que de la plaquer sur le récit.

Risquez-vous donc sur le roman de Marc Charuel, Le jour où tu dois mourir. C’est impressionnant, violent, parfois insoutenable mais c’est parfaitement réussi et, surtout, cela nous parle d’un monde qui est le nôtre, vraiment le nôtre. Il faut dire que Charuel la connaît un peu, cette planète, dont les désordres géopolitiques génèrent leurs cortèges d’horreurs répétitives: il a été pendant des années photographe et correspondant de guerre : Cambodge, guérilla karen en Birmanie, Afghanistan, Bosnie, on en passe et des pires. Cette expérience nourrit explicitement où tu dois mourir, ne serait-ce que par le choix du personnage principal, Duncan, qui a exercé la même profession et dont on peut raisonnablement penser qu’il connaît le même désir d’oubli que l’auteur pour avoir regardé de trop près l’abîme.

Mais il n’y a décidément pas de limites à la sauvagerie des hommes, à leur perversité et à leur volonté de puissance. Duncan, tranquillement en vacances sur le bassin d’Arcachon, tente de se désintoxiquer de cette came dangereuse qu’est l’adrénaline à dose massive. Il a en reçu plus que son compte, comme tous ceux qui côtoient de trop près et trop souvent les points chauds du globe où les hommes font la guerre comme d’autres partent au bureau. Pendant un jogging dans la pinède, il tombe sur le corps d’une jeune fille qui a subi des sévices difficilement imaginables. En fait, très vite, Duncan s’aperçoit que cette affaire a un rapport avec un des secrets les mieux gardés du crime international : le trafic de snuff movies. Il s’agit de ces films qui représentent des tortures et des mises à mort non simulées. Ils seront achetés parfois plusieurs millions d’euros par de riches amateurs, qui ne savent plus comment éprouver la jouissance de la domination que leur donne une fortune démesurée.

Dans la réalité, l’existence des snuff movies n’a jamais été avérée. Les polices du monde entier, depuis le début des années 70, expliquent qu’il s’agit de légendes urbaines et que si une pornographie ultra-violente existe, les experts ont toujours démontrés sur les films saisis qu’il y avait trucage.

Et pourtant, le roman de Charuel est diablement convaincant. Bien sûr sur parce que l’auteur sait aussi bien décrire les vacances bourgeoises d’une famille en Bretagne que l’ambiance torride d’un commissariat thaïlandais, la salle de rédaction d’un journal que les bistrots d’anciens paras. Mais aussi parce que sa thèse, qui fait intervenir les triades chinoises, des mercenaires et de très hauts responsables politiques de différents Etats n’a finalement rien d’invraisemblable. Bien au contraire. Au point que ce thriller a parfois des allures de reportage en immersion sur le stade ultime de la marchandisation et de la profanation des corps.

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