On ne veut pas briser vos rêves, mais le coronavirus tient lieu de piqure de rappel.
A tous les crédules…
A ceux qui comptent sur les exosquelettes ou les prothèses bioniques pour réaliser des performances physiques ou intellectuelles surpassant celles que leur laissaient espérer les capacités issues de leur procréation ; à ceux qui attendent qu’on leur introduise des implants dans le cerveau pour améliorer leurs capacités cognitives et communiquer par la pensée avec des robots ou d’autres individus, ignorant qu’en transférant à ces instruments leurs fonctions physiques ou cérébrales, ils laissent s’atrophier leurs organes, et que l’homme augmenté produira une humanité d’avortons.
A ceux qui pensent que l’intelligence artificielle pourra suppléer les humains pour opérer des choix dans de multiples domaines, comme assurer la rationalité du recrutement des entreprises, éclairer les magistrats sur l’opportunité de maintenir en prison les délinquants en fonction du risque de récidive, ou encore laisser aux drones ou aux robots tueurs la décision de faire feu, dispensant les hommes de choix éthiques difficiles, alors que la responsabilité des décisions prises échoira toujours aux hommes, en dernière instance.
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A ceux qui croient que nos informations et nos pensées peuvent s’évader de leurs pesants supports traditionnels, s’imaginant qu’elles sont en sécurité dans « le cloud », léger et flottant très haut dans le ciel, ne sachant pas, ou feignant d’ignorer qu’elles sont au contraire stockées bien sur terre dans des « data centers » énergivores et polluants.
A ceux qui affirment que l’esprit pourra survivre au corps, qu’il sera possible d’en sauvegarder toutes les données en les gravant sur des disques durs, et que nous pourrons remplacer nos corps par des machines contrôlées par la réplique numérique de notre cerveau, ignorant que celui-ci est infiniment plus qu’une accumulation de données, et que l’âme restera à jamais inaccessible.
A ceux surtout qui sont convaincus qu’il sera possible de vaincre la mort ; comptant sur la cryogénie et l’aboutissement du projet Calico de Google pour ressusciter puis accéder à l’immortalité… et qui constatent aujourd’hui qu’un virus peut toujours menacer la vie sur toute la planète.
A ceux qui espéraient que les « GAFAM » débarrasseraient l’humanité de ses carcans de préjugés, par le prodige d’une communication libérée de toutes ses entraves, et construiraient une société dans laquelle la transparence généralisée sera garante de l’accomplissement de toutes les vertus, et de l’éradication de tous les vices, rechignant à constater que les réseaux sociaux sont le terreau sur lequel se développent la haine et de nouvelles formes de violence, se diffusent les fausses informations, et produisent des régressions qui vont jusqu’à ringardiser l’idée de vérité…
A tous les crédules abusés par l’idée que la 5G est le vecteur du progrès et de l’épanouissement de l’individu, doté par la magie numérique d’une foule d’objets connectés intelligents lui simplifiant la vie ; convaincus que d’allumer les lampes, ouvrir les rideaux, ou mettre en route robots ménagers et télévision par une commande vocale est le sommet du bonheur, en faisant l’impasse sur l’énormité de la consommation d’énergie, et toutes les atteintes à l’environnement que cela implique, sans voir surtout que cela augmente terriblement la fragilité de la société, sa vulnérabilité aux grandes pannes et aux sabotages…
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Aux prisonniers de la bulle cognitive, aux addicts à la manette, aux possédés du clic, aux captifs des réseaux et de la haine, fascinés par leur propre image, aux exhibitionnistes de facebook ou d’Instagram, aux possédés de Netflix, aux abusés de Whatsapp, aux 45% de français, dont 66% des jeunes entre 18 et 29 ans qui passent entre deux et six heures par jour sur leur smartphone, et qui considérent que la vraie vie, c’est-à-dire celle qui intéresse, qui capte l’attention, qui procure émerveillement, surprises en tout genre, émotions fortes, etc se situe derrière les écrans…
A celles ou ceux qui pensent que la distinction entre les sexes est ringarde, qu’en attribuer un à la naissance est un abus de pouvoir de la société, une atteinte à une liberté fondamentale, et que les progrès de la science permettront de retarder le choix jusqu’à un âge avancé, ou, mieux encore de l’abolir, sans reconnaître qu’il s’agirait d’une mutation anthropologique mettant en danger un des équilibres fondamentaux de l’humanité.
A ceux qui s’émeuvent de l’illectronisme et en appellent à la solidarité pour aider les anciens à surmonter cette pathologie, en oubliant que l’illettrisme concerne encore 7% de la population adulte et sévit encore dans la jeunesse… Ou encore que Pepper le robot résoudra la question de la solitude des personnes âgées et amènera la joie dans les EHPAD, dispensant les humains de leur devoir de solidarité…
A tous ceux qui proclament qu’ils se sont faits par eux-mêmes, qu’ils ne doivent rien à personne, qu’ils sont totalement libres de leurs opinions, et considèrent comme une agression la prétention de quiconque de les remettre en cause, qui ont la conviction de ne devoir qu’à eux-mêmes leurs réussites, et renvoient aux pesanteurs et archaïsmes de la société la responsabilité de leurs échecs… tous ceux-là s’aperçoivent aujourd’hui, par la malfaisance d’un virus, qu’ils vivent en société, et sont solidaires des autres, pour le pire sinon pour le meilleur, qu’ils le veuillent on non….
A tous ceux qui croyaient que le programme cartésien de maîtrise et de possession de la nature était accompli, et qu’au-delà un monde artificiel s’émancipant radicalement de son emprise était en cours d’élaboration….
Coronavirus vous en informe : le réel est de retour.
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