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Comment nous sommes devenus Chinois

Nos libertés passent à la trappe


Comment nous sommes devenus Chinois
Édouard Philippe annonce la fermeture jusqu’à nouvel ordre de tous les « lieux recevant du public non indispensables à la vie du pays », Paris, 14 mars 2020. © Xosé Bouzas/ Hans Lucas/ AFP

Depuis le début de la pandémie, l’administration médicale a pris le pas sur le gouvernement des hommes. Or, si ses intentions sont louables, l’exécutif ne peut faire passer la santé avant tout autre impératif. Nos libertés fondamentales et les nécessités économiques devraient également peser dans la balance.


C’est ballot, je crois que j’ai raté une élection. Non, je ne parle pas des demi-municipales, celle-là j’y étais, même si cela ne s’est pas vu dans les résultats. Non l’élection que j’ai ratée, c’est celle des conseillers d’État. J’apprends, à la faveur de l’épidémie que vous savez, que ce sont ces éminences de luxe, sorties en tête du classement de l’ENA, qui dirigent la France. Et je chipote, mais être gouvernée par des gens que je n’ai pas élus, ça me chiffonne.

Notez que les conseillers d’État ne s’invitent pas tout seuls à prendre la place des politiques. Nombre de médecins, également convaincus qu’ils savent mieux que le gouvernement ce qu’il faut faire, ne se sont pas contentés de nous engueuler tous les jours parce que nous n’étions pas assez obéissants. Le 19 mars, ils ont saisi le Conseil d’État dans le cadre de la procédure référé-liberté pour qu’il somme l’exécutif d’ordonner un confinement à la chinoise. Il ne s’agit donc plus de protéger une liberté constitutionnelle contre les manigances de l’État, mais de se substituer à l’administration jugée défaillante, en lui enjoignant de prendre telle ou telle mesure. L’avocat d’une des associations requérantes a admis qu’« il était plus facile de mettre en place ce type de système dans un régime totalitaire », tout en estimant qu’on « pouvait tout de même y arriver ». Tous chinois ! L’ennui, c’est qu’on commence à découvrir que ce formidable exemple chinois reposait sur des données totalement bidonnées…

Dans les mains de la science

En affirmant que, derrière chacune de ses décisions, il y avait des « blouses blanches », le gouvernement a lui-même semblé renoncer à ses prérogatives. Vous me direz qu’en ces temps d’urgence sanitaire, on doit s’en remettre à la science. Sauf que la science ne parle pas d’une seule voix, comme en témoigne la bataille de la chloroquine.

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Surtout, de même que pour un marteau tous les problèmes sont des clous, pour les médecins qui sont sur le front, le Covid-19, l’ensemble des politiques publiques doivent être tournées vers un unique objectif, la lutte contre l’épidémie – au détriment d’ailleurs des autres pathologies : aujourd’hui, on ne peut plus soigner les cancers, s’émeuvent des médecins.

Entre les approuveurs et les complotistes, il doit y avoir de la place pour une critique raisonnable

On se rappelle la formule d’un conseiller de Bill Clinton à son adversaire bushiste : « It’s the economy, stupid ! » (« Imbécile, c’est l’économie qui compte ! ») Désormais, « It’s the epidemy, stupid ! » Et tout le reste de l’existence devrait s’effacer devant cet impératif. 

On oublie la santé mentale et l’économie!

Que la parole des médecins ait aujourd’hui la préséance, on le comprend. Elle ne saurait être exclusive. La supportabilité des mesures pour l’ensemble de la population doit être une des données de l’équation, de même que la nécessité de faire fonctionner, tant bien que mal, une partie de l’économie. Si nous restons tous chez nous 24 heures sur 24, privés du droit de se dégourdir les jambes et de sortir Médor, le virus cessera de circuler, mais nous deviendrons tous fous, sans compter que des dizaines de milliers de Français, qui continuent à bosser, perdront leur emploi ou leur outil de travail. Et non, il ne s’agit pas de caprices, ni de basses raisons mercantiles. Comme l’a écrit Renaud Girard, il ne faudrait pas que la France meure guérie.

Le gouvernement doit donc, comme toujours, arbitrer entre des impératifs et des discours contradictoires. Il ne peut se contenter d’appliquer le slogan : la santé avant tout. Cela ne signifie pas que nous devrions abandonner nos vieux, nos malades, nos sans-abri à leur sort, mais que l’émotion ne peut être le seul guide de l’action publique. Œuvrer pour la collectivité, malheureusement, ne signifie pas œuvrer pour chacun des individus qui la composent : sinon, nous ne laisserions pas les caissières, les livreurs et autres éboueurs, sans oublier les imprimeurs[tooltips content= »Que le nôtre, BGL, soit remercié pour avoir assuré malgré les difficultés »](1)[/tooltips], les kiosquiers, les postiers et tous ceux grâce à qui les journaux paraissent et sont distribués, prendre des risques pour que l’ensemble de la société puisse continuer à se nourrir, à s’informer (et à se laver). En réalité, chaque décision politique, ces jours-ci, cache un calcul fort peu ragoûtant : quel prix sommes-nous prêts à payer pour sauver combien de vies ? La preuve que nous demeurons une civilisation, cher Alain Finkielkraut, n’est pas que la vie humaine n’a pas de prix, mais que ce prix soit élevé (nous acceptons de grands sacrifices) et que ce calcul n’ait pas droit de cité sur la place publique.

Nos libertés fondamentales

Ainsi, si nous acceptons et à raison, une suspension drastique (et provisoire) de nos libertés publiques, à commencer par celle d’aller et venir, nous n’avons pas pour autant aboli l’État de droit. Nous devons exiger que les restrictions soient strictement proportionnées aux nécessités. La mise à l’arrêt de l’ensemble de la chaîne pénale, qui prolonge indûment les détentions provisoires, interdit les audiences de libération conditionnelle (et fait courir aux intéressés le risque d’être contaminé en prison), s’imposait-elle ? Il ne s’agit pas là d’un caprice parce qu’on m’a privé de mes autos-tamponneuses et de mon bac à sable, comme le dit encore Alain Finkielkraut en se moquant gentiment, mais de rien de moins que nos libertés fondamentales, et de l’égalité de traitement devant la loi. Il faut aussi se demander pourquoi le Conseil constitutionnel s’est suspendu lui-même, sans même examiner la constitutionnalité des ordonnances prises en application de l’état d’urgence. Nos juges constitutionnels n’ont-ils pas d’ordinateurs qui leur permettraient de télétravailler ?

Dans ce brouhaha de légitimités, les coupeurs de têtes sont à la fête, impatients de pouvoir traîner ministres et hauts fonctionnaires devant les tribunaux. L’union nationale n’a pas fait taire l’envie du pénal. Il existe déjà un site (plaintecovid.fr) sur lequel on peut télécharger un formulaire spécifique selon que l’on est soignant, patient ou non-malade. Cette confusion entre faute pénale et erreur politique, qui rappelle les heures sombres du procès du sang contaminé, revient, en fin de compte, à privatiser la politique puisqu’on juge l’homme pour les erreurs du ministre.

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Or, la seule alternative au gouvernement des juges, c’est la responsabilité politique. Cela signifie que la critique doit être libre, même quand elle est aussi idiote que celle d’Annie Ernaux et de tous ceux qui accusent Macron de vouloir commencer une carrière de dictateur à la faveur de la catastrophe sanitaire. Les Français ont le droit d’être traités en adultes. Certes, nous ne ferions pas mieux, mais nous n’avons pas brigué les suffrages de nos concitoyens. Entre les approuveurs et les complotistes, il doit y avoir de la place pour une critique raisonnable.

L’exécutif semble avoir fini par le comprendre. Lors de la conférence de presse du 28 mars, Olivier Véran et Édouard Philippe ont cessé de nous parler comme à des enfants de six ans incapables, non seulement d’enfiler un masque, mais de comprendre que leurs dirigeants n’étaient pas des faiseurs de miracles. C’est un premier pas. Un deuxième serait de démissionner en urgence Sibeth Ndiaye qui a prouvé son incompétence et le mépris dans lequel elle tient le bon peuple. Politiquement, la meuf est dead. Alors chiche ?

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Avril 2020 - Causeur #78

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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