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La Covid, prétexte à un despotisme doux


La Covid, prétexte à un despotisme doux
Jean Castex et Elisabeth Moreno à Saint-Denis le 2 septembre 2020 © THOMAS SAMSON-POOL/SIPA Numéro de reportage: 00979534_000009

Selon cette tribune, la démocratie disparaitrait en douceur et par consentement populaire


Nous y sommes. L’État a franchi le seuil qu’il n’avait jamais osé outrepasser. Il se mêle désormais de la vie des entreprises jusque dans l’agencement des bureaux, le comportement des personnes… Non seulement il rend le masque obligatoire dans les bureaux, les ateliers, les écoles, les chantiers, sauf dérogations minutieusement stipulées… mais il dicte ce qu’il faut faire dans les open spaces, les salles de réunion, les espaces de circulation, les lieux de restauration collective, les vestiaires etc.  Il nous impose le masque dans les rues, il impose de la distanciation à l’Église et au cinéma, mais pas dans le train ! Demain, il pourra nous dire comment se placer à table chez nous, interdire les chambres communes aux enfants, peut-être gérer la vie des couples…

Après avoir créé la panique et avoir empêché les entreprises de fonctionner, l’État a fait en sorte qu’elles puissent emprunter pour survivre, mais maintenant que sonne l’heure des comptes, il pose ses conditions. Il est d’accord pour leur accorder de nouveaux prêts participatifs, des subventions, du capital, des réductions de charges… mais sous conditions. Il les tient dans sa main et entend leur dicter l’avenir : « Il y aura des contreparties, notamment environnementales, dit Bruno Le Maire. Ces prêts devront promouvoir la décarbonation et la bonne gouvernance » (Interview Les Échos 25/08/20).

Les hommes politiques se couvrent…

Pourtant, toutes ces contraintes s’instituent au nom d’un virus qui ne tue guère les jeunes et les actifs puisqu’il a été constaté qu’au moins 92% des cas de Covid-19 décédés étaient âgés de 65 ans, les 8% restants concernant plus particulièrement les personnes atteintes de maladies qui les rendaient fragiles (obésité, diabète…). Alors pourquoi entraver l’activité ? Parce que les actifs ou les jeunes peuvent être malades, un  peu plus que dans le cadre d’une bonne épidémie de grippe ! Est-ce raisonnable ? Certes, les hommes politiques ont peut-être agi ainsi pour se couvrir. Ils voulaient éviter de souffrir des poursuites judiciaires comparables à celles du sang contaminé. Mais met-on un pays à bas pour limiter sa responsabilité ? En devenant d’ailleurs responsable de la catastrophe économique et sociale qui se profile. Hélas, on peut craindre plutôt qu’ils aient agi ainsi parce que la politique en est naturellement et insensiblement arrivée, au niveau mondial ou presque, au point d’abaissement que nous annonçait Tocqueville.

Dans un texte très connu et qui néanmoins mérite d’être rappelé, Tocqueville prévoyait ce temps, que nous vivons, où au-dessus des citoyens « s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages, que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre?

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Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu et l’avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière ; il en couvre la surface d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule ; il ne brise pas les volontés mais il les amollit, les plie et les dirige ; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse ; il ne détruit point, il empêche de naître ; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger » (Tocqueville, De la démocratie en Amérique, t. II, IVe partie, Chap. VI).

… et se sentent enfin utiles !

Les responsables politiques croient faire le bien, notre bien, probablement de bonne foi. Ils en décident pour nous. Ils font même mieux, en faisant en sorte que les « gens » veuillent ce qu’ils veulent. En l’espèce ils ont créé la peur, l’affolement qui a incité une majorité de la population à souhaiter elle-même le confinement, puis à se réfugier derrière le coronavirus pour échapper au travail. Mais peut-être aussi que nos dirigeants y trouvent presque un certain plaisir ou un intérêt certain. Pensez donc, ils se justifient ainsi, ils sentent enfin que le peuple a besoin d’eux et peut-être saura-t-il les en remercier. C’est l’occasion rêvée d’être utile, enfin ! Et peut-être de le devenir définitivement en faisant en sorte que désormais tout soit dépendant du pouvoir de l’État de telle façon que celui-ci impose son harmonie, sa vision, enfin cohérente ! Ainsi les hommes politiques œuvrent à ce qu’ils croient être le bien commun et qui est d’abord leur propre bien, du moins apparent.

Dans cet enchainement qui conduit à une accumulation toujours plus importante de contraintes, le coronavirus n’a été qu’une occasion de plus, dans la continuité d’un mouvement ininterrompu conduisant à l’assujettissement des citoyens à un État technocratique. L’ARS décide ainsi pour les hôpitaux et méconnaît les cliniques, il dicte leur conduite aux Ehpad, même entièrement privés, aux médecins, aux infirmières, même libéraux…. Mais cette accumulation en est peut-être au stade indiqué par Hegel selon sa loi d’après laquelle de simples changements dans la quantité, parvenus à certain degré, amènent des différences dans la qualité. La démocratie disparaitrait en douceur, par consentement populaire, au profit d’un despotisme capable lui-même de se transformer au prochain stade en totalitarisme.

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Avocat fiscaliste, essayiste et président de l’Institut de Recherches Economiques et Fiscales, IREF.

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