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Coronavirus, il n’y aura plus de retour à la normale

La mondialisation s'est grippée


Coronavirus, il n’y aura plus de retour à la normale
Le boulevard Saint-Germain déserté, mars 2020 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA Numéro de reportage: 00950004_000014

Défaillances françaises, rapport aux autres, à la politique, à la modernité ou à la mort, économisme, quartiers perdus de la République: le coronavirus rebat toutes les cartes. Guillaume Bigot esquisse le vrai monde d’après…


Nous sommes pareils à des voyageurs de wagons-lits qui « ne se réveilleront qu’au moment de la collision » écrivait Robert Musil dans L’Europe désemparée.

La pandémie de Covid-19 nous a surpris comme la grande guerre où la grippe espagnole avait sorti nos ancêtres d’une torpeur mêlée de bonheur. Le stade 4 de l’épidémie désigne le retour à la normale. Gageons qu’aucun peuple, aucun gouvernement et même aucun de nous, ne connaîtra de stade 4.

Nous étions en train de perdre notre humanité, un virus d’un millième de micron vient de nous la rendre

Ni dans 45 jours, ni jamais.

En 24h, nous sommes passés de la planète pour horizon à notre palier 

Cette épidémie a profondément modifié notre rapport à l’espace. Jusqu’au confinement, la post-modernité libérale nous promettait de faire du monde entier un espace à notre portée. La présence de touristes chinois dans nos grands magasins avait fini par nous convaincre que la planète était devenue l’échelle de nos vies.

En 24 heures, nous sommes pourtant passés de la planète pour horizon à notre palier ou à notre jardin. Ce rétrécissement d’horizon est considérable, surtout pour ceux qui, hier encore, considéraient East Village comme l’extension de SoPi (South Pigalle).

Du burn out à la plage vide 

Le temps lui-même s’est ralenti et presque arrêté. À l’image des montres molles de Dali, le temps est devenu caoutchouteux. Ce personnage de Camus qui, derrière ses barreaux, décrit « les jours qui débordent les uns sur les autres », nous paraît de moins en moins étranger.

Nous sommes passés du mode TTU (très très urgent), ASAP, burning out et trop plein au syndrome de la plage vide.

La semaine dernière, nos agendas étaient tellement pleins que nous avions la sensation d’avoir plusieurs mois voire plusieurs années de retard. Désormais, nous avons la sensation d’une mise à la retraite avant l’heure, plus ou moins entrecoupée de phases de télétravail. 

Nous sommes passés d’un univers rythmé en millisecondes et de trading haute fréquence à un temps propice à l’introspection, seul compatible avec l’horloge interne de l’être humain. L’inaction nous force à la réflexion. Le temps nous incite à nous interroger sur la manière dont nous avions à le remplir et à sa durée limitée.

Or, comme le savent les physiciens, le temps et l’espace sont interdépendants.

Nous n’avions pas nécessairement conscience du lien entre notre perception de l’espace et du temps et nos moyens de locomotion. Nos aïeux disent que Paris désert et sans voiture leur fait penser à l’occupation. Dans toutes les grandes villes de France et dans toutes les métropoles du monde, c’est la même mise sur pause. Nous avons cessé de nous déplacer.

Pour le meilleur et pour le pire, nous allons redécouvrir que nous ne sommes pas seuls au monde

Jusqu’ici tout ne va pas bien mais tout tient encore.

Grace à Internet, vaille que vaille, relations amoureuses, amicales et professionnelles (au-delà du foyer au sens de l’INSEE) se poursuivent à distance car les réseaux fonctionnent encore. La saturation des bandes passantes n’est pas loin. Google annonce déjà des restrictions. Ici encore, le réel s’impose au virtuel et nous redécouvrons progressivement que derrière le rhizome numérique mondial se cache des infrastructures physiques, donc limitées. La 5G n’est pas pour demain et estimons-nous heureux si nous ne ressortons pas les modems, les Minitels voire les signaux de fumée, le tam tam ou les pigeons voyageurs.

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Notre rapport aux autres se trouve également profondément modifié par la crise sanitaire. Ceux qui sont confinés seuls sont tentés de croire que le paradis, c’est les autres. Ceux qui sont confinés avec leur famille ou avec une poignée de proches peuvent être tentés de rejouer le scénario de Shining d’ici 45 jours.

La Chine, dans un tout autre contexte culturel, il est vrai, est déjà passée par là. Dans Wuhan confinée, le nombre de violences conjugales et de divorces a littéralement explosé.

Pour le meilleur et pour le pire, nous allons redécouvrir que nous ne sommes pas seuls au monde.

La fin du bon plaisir Uber Alles 

Cette crise planétaire inédite depuis la seconde guerre nous invite à considérer que le bon plaisir individuel « Uber Alles » et l’individualisme marchand libéral-libertaire n’était pas l’horizon indépassable espéré par certains.

Les surhommes nietzschéens qui se divertissaient avec Netflix, se nourrissaient avec Deliveroo, se déplaçaient avec Uber, doivent en rabattre de leur prétention à faire bande à part. BEP ou bac + 12, nous sommes tous menacés par le virus.

Comme dans ce texte inaugural d’Hérodote comparant l’histoire à une pluie qui s’abat sur les acteurs d’une pièce et faisant couler leur maquillage, le coronavirus met au jour le véritable visage des acteurs. En France, la pandémie a rapidement fait éclater les différences de mœurs et de rapport à la loi des différentes strates de la population. Dans ce que les médias appellent pudiquement les quartiers, des bagarres éclatent dans les magasins, les forces de l’ordre sont couramment prises à partie et se font parfois cracher dessus dans un geste où le mépris veut tuer. Des bandes défient les consignes de confinement. Une partie de la jeunesse en voie de sécession manifeste que leur rejet de la légitimité de l’État prime sur la volonté de protéger leurs parents ou leurs grands-parents.

Les Français malgré eux refusent d’obéir à la loi

Étrange et atroce chambre noire, le coronavirus révèle qu’une partie de la jeunesse est composée de Français malgré eux. Ici encore, il ne faut pas compter sur un retour à la normale. Le gouvernement ne pourra pas éternellement accuser toute la nation d’un incivisme qui est celui d’une minorité qui précisément ne veut pas lui appartenir. 

Le Covid-19 a fait tomber un autre masque faisant apparaître la soi-disant Union européenne pour ce qu’elle est : une organisation internationale fondée sur une idéologie dénuée de substance, de pouvoir et de projet. Sous les palabres et les traités de Bruxelles, les nations ressurgissent dans leur égoïsme cru. Les Italiens demandent des masques aux Allemands qui les stockent pour eux-mêmes. Hélas, le seul produit sanitaire que Berlin a exporté gratuitement chez ses voisins reste le zyklon B.

Qui doit vivre et qui doit mourir ?

Un autre épilogue ironique et cruel révélé par la pandémie concerne les « heures les plus sombres de notre histoire ».

Ces « heures les plus sombres », invoquées comme un mantra anachronique, depuis quarante ans pour toujours plus rogner les pouvoirs des peuples au profit de l’UE sont de retour comme un effet secondaire involontaire et imprévisible propagé par la mondialisation et par le refus obstiné des frontières. Hier, des tueurs en blouse blanche, une tête de mort au revers de leur veste, décidaient qui devait vivre et qui devait mourir. Aujourd’hui, des sauveurs en blouse blanche, une croix bleue sur la poitrine risquent leur vie pour sauver la nôtre mais sont contraints de répartir la pénurie, donc de décider qui doit vivre et qui doit mourir. Une catastrophe sanitaire d’une telle ampleur était très difficilement prévisible. En revanche, ce qui était prévisible, c’est qu’accorder la priorité aux activités rentables « quoiqu’il en coûte » au détriment des services publics voire des vies humaines était pire qu’un crime, une grave erreur de calcul.

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Tant que les victimes de ces politiques étaient peu nombreuses et isolées, leur caractère suicidaire demeurait caché. Le soldat en opération obligé d’acheter son gilet pare-balle avec sa solde ou le chef de service devant fermer des lits pestaient dans leur coin. Mais la crise sanitaire frappe aussi les actionnaires.

Nouvelle ironie douloureuse, le mal venu du Hubei emporte surtout les détenteurs d’épargne que sont nos aînés.

Le retour de l’euthanasie des rentiers

L’euthanasie des rentiers dont parlait Keynes est de retour. Et les détenteurs de capitaux que le Covid n’aura pas tués et l’inflation qui va fatalement suivre, vont inévitablement les ruiner. Il ne faut y voir l’effet d’aucune justice immanente (il n’y a que les fanatiques du marché qui croient à la main invisible), mais le retour forcé d’un paradigme économique où le tout est considéré comme ayant plus de valeur que les parties et où l’on ne pourra plus s’enrichir individuellement et impunément au détriment de la collectivité.

Les délocalisations avaient battu en brèche la rentabilité de l’épargne et celle du secteur privé « dégraissé ». Elles avaient aussi tassé les revenus des salariés et induit une hausse massive du chômage ayant fait exploser les dépenses sociales. 

Effectivement, la globalisation voulue par nos élites nous aura coûté un pognon de dingue. Désormais, elle va nous coûter des vies. 

On ne peut imputer ni à la mondialisation, ni à nos gouvernants – qui hier encore étaient ses défenseurs les plus fervents – le surplus de morts lié au démantèlement de l’hôpital public, au déstockage des masques, à la délocalisation de la production des respirateurs et des médicaments. 

Administrateurs et communicants désemparés : il n’y a pas de précédents 

Nos dirigeants ne sont comptables que de la surmortalité qui découlera de la saturation de nos hôpitaux. Il est difficile de se défaire de cette désagréable sensation que la misère de l’impréparation (pas de masques, pas de tenues, pas de tests, pas de lits en quantité suffisante) a été déguisé en stratégie. Celle de l’immunité de groupe où les autorités décident sciemment de laisser le virus circuler pour qu’un maximum d’entre nous développe les moyens naturels de lutter (notre système immunitaire possède une mémoire).

Cette impression de malaise est accrue par le réflexe inique de nos dirigeants mettant en cause notre incivisme et notre légèreté pour mieux cacher la leur. « Notre défaite est venue de nos relâchements » ; tançait Philippe Pétain au lendemain de la débâcle. « Les Français ne sont pas assez disciplinés » semble répondre Édouard Philippe.

Politiquement, il est vain de tabler sur un retour à la normale.

Avant cette crise, la vie démocratique était devenue un théâtre où des hauts fonctionnaires jouaient, avec plus ou moins de bonheur, aux communicants. Or, diriger n’est pas administrer : les gestionnaires ne savent pas improviser, ils fonctionnent aux précédents et s’abritent toujours derrière des règles et les experts. 

La grippe espagnole est le seul précédent à peu près comparable. Or, la haute fonction publique française qui nous « dirige » depuis 1969 a perdu sa mémoire. Il est fort à parier que notre peuple, le moment venu, tirera des conséquences drastiques de cette crise. Pourquoi accepterions-nous d’être gouvernés par des chefs qui, de leur propre aveu, se sont trompés sur tout ? Plus profondément, le coronavirus révèle la nature profonde de la politique qui est une affaire de vie et de mort. C’est le caractère précaire de nos vies et de nos sociétés qui fonde sa nécessité, sa gravité et son importance. Elle sera inévitablement de retour.

Une soupe au pangolin a grippé la mondialisation 

Une soupe au pangolin ou à la chauve-souris dégustée par un paysan chinois ou l’erreur d’un laborantin chinois n’a pas que grippé la mondialisation.

Cette révolution « coronicienne » va nous sortir de l’hybris post-moderne globalisante, individualiste et relativiste. Le coronavirus a tué cette illusion d’une vie humaine débarrassée de sa finitude. Sous une forme moins spectaculaire mais plus insidieuse que le 11 septembre, la crise sanitaire planétaire a replacé la mort à sa juste place de révélateur de la valeur de la vie humaine.

La mort est la grande égalisatrice et aussi la grande éclaireuse de nos existences. À la fin, c’est toujours elle qui gagne et donc qui décide de ce et de ceux qui compte(nt), de ce qui est important et de ce qui est insignifiant, de ce qui dure et de ce qui passe.

Nous étions en train de perdre notre humanité, un virus d’un millième de micron vient de nous la rendre.



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