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La société française n’a pas attendu le coronavirus pour être en crise

Jean-François Colosimo sur le coronavirus et le confinement


La société française n’a pas attendu le coronavirus pour être en crise
C'est pas des vacances ! Même confinés, REACnROLL continue de proposer des débats strimulants. Image : capture d'écran RNR.TV

L’éditeur et théologien Jean-François Colosimo et la journaliste Elisabeth Lévy s’accordent sur un point : il est vain de croire que la crise sanitaire changera grand chose à notre marasme politique, identitaire ou économique. Verbatim.


Magie de la technologie et des caméras, de confiné à confiné, Elisabeth Lévy et Jean-François Colosimo débattent à distance sur REACnROLL, la webtélé des mécontemporains. Causeur vous propose de lire un extrait de leur échanges.

Elisabeth Lévy. Faites-vous partie de tous ceux qui pensent qu’un nouveau monde va naître à l’issue de cette période de confinement et de crise sanitaire ? Selon vous, y aura-t-il un avant et un après ? La chose nous a été promise par le président de la République lui-même.

Jean-François Colosimo. Je pense qu’il y a fort à douter que cette crise provoque véritablement en nous une réforme profonde des mœurs qui irait vers la compréhension de la limite, de la finitude, de la compréhension de la décroissance ou de l’humilité…

Emmanuel Macron poursuit son dessein politique d’inspiration libérale et communautariste. Tout cela repose sur une vaste illusion, celle de créer un front sociologique des bonnes volontés…

Après les catastrophes, les économistes constatent au contraire qu’il y a une consommation de la revanche ! Afin de compenser la peur de la mort et les restrictions imposées jusque-là, on observe une forme de prédation un peu folle qui s’exerce sur à peu près tous les biens de consommation (…) Je crains donc que les économies mondiales ne cherchent à rattraper le « gap » et que l’on se trouve en fait face à un redoublement de la consommation, et que la saturation du marché et des flux financiers ne reparte de plus belle.

[…]

Elisabeth Lévy. Est-ce qu’on est encore capable de faire un peuple ? Est-ce que seule la peur fait de nous aujourd’hui une communauté politique ? D’ailleurs, ce “tous ensemble“ n’est-il pas déjà en train de craqueler, lorsque les voisins s’accusent les uns les autres de ne pas respecter les consignes ou qu’un flot de haine se déverse sur les Parisiens qui s’en sont allés retrouver leur maison de campagne ? Pour tout vous dire, j’ai l’impression que cette unité est un peu factice. Mais peut-être que je me trompe.

Jean-François Colosimo. Cette unité est en effet factice pour deux raisons, parce que la peur ne ressoude pas l’archipel comme dirait Jérôme Fourquet et parce que la peur ne suffit pas à éteindre la polarisation entre un bloc élitiste et un bloc populaire comme a pu le décrire Jérôme Sainte-Marie. La vérité c’est que pour l’instant les choses sont suspendues. Dans cette suspension, le président de la République va – un peu comme nous! – faire une visioconférence avec les autorités morales et religieuses du pays. Pourquoi pas ? Emmanuel Macron poursuit son dessein politique d’inspiration libérale et communautariste. Tout cela repose sur une vaste illusion, celle de créer un front sociologique des bonnes volontés qui n’existe pas, dès lors qu’il est question de croyance et d’incroyance. On est dans la gadgétisation de la communion retrouvée.

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Elisabeth Lévy. Pensez-vous que tous ces sondages qui nous affirment que les Français sont 80% à approuver l’action de l’exécutif sont de la poudre de perlimpinpin, qui va s’évaporer dès la fin de la crise sanitaire, dès qu’on n’aura plus peur ?

Jean-François Colosimo. Vous savez très bien que les Français adhèrent à une chose et à son contraire du soir au matin ! L’heure n’est pas à dresser les comptes et à les régler. Cette manifestation d’approbation, c’est peut-être aussi une manifestation d’attente et de demande de réassurance. Cela ne veut pas dire qu’après coup, la crise actuelle ne finira pas par desservir le gouvernement actuel.

Elisabeth Lévy. S’il s’avérait que cette fameuse chloroquine permet d’obtenir de bons résultats, sans passer par des mesures terribles telles que le confinement, il faudra bien discuter des différentes stratégies mises en œuvre… Mais dans le fond, ce que je sens dans une partie de la société, c’est que l’on conservera des réflexes nés du coronavirus et de l’épidémie. Travailler à distance est merveilleux. Rester chez soi, c’est pas si mal finalement. Ne pas se serrer la main, c’est toujours mieux. Je crains que tout cela ne reste un peu.

Jean-François Colosimo. Oui, je peux le dire avec vous. L’individualisme et le puritanisme ambiant gagnent des points dans ce match, c’est évident. Certainement que beaucoup de gens vont finir par penser qu’être délié de l’entreprise ou tenir la distance avec son voisin, ce n’est pas plus mal. (…) Dans le cadre des clans et des tribus [en revanche] il y aura un petit regain d’hubris. Le puritanisme ambiant désagrège le lien collectif politique mais provoque des agrégations sur des notions d’idéologie, de plaisir, d’identité ou d’identitarisme. On aura perdu entre temps l’idée que la République existe pour être protectrice. C’est là probablement le principal échec du gouvernement, pour lequel la République n’est pas véritablement une référence, comme on le sait. 

Elisabeth Lévy. Je ne vous suis plus. En quoi la République n’est pas la référence du gouvernement ?

Jean-François Colosimo. Vous voyez que le mot République est très absent du vocabulaire du président actuel, c’est un mot qui n’a quasiment jamais existé dans sa campagne, dans ses discours. (…) On assiste au malheureux triomphe de l’incivilité qu’on a laissé croitre dans les banlieues. Même s’il n’y a pas que ça, même si l’on trouve aussi de nouvelles solidarités, on voit de nombreuses illustrations [de l’incivilité grandissante] ces derniers jours dans les “quartiers”. Tout ce qu’on avait avant, je crains qu’on ne le retrouve amplifié, consacré, scellé. Les rescapés de l’épreuve auront pour eux l’excuse d’avoir traversé le feu et d’avoir jeté par derrière les usages d’autrefois dans ce feu.

Elisabeth Lévy. Ce que vous dites c’est que cette épreuve ne va pas nous rendre meilleur. (Railleuse) D’ailleurs je crains qu’un certain nombre de nos concitoyens n’aient pas suivi les conseils de notre président concernant la lecture, lui préférant Netflix ! (…) Un mot maintenant sur la doctrine économique. L’orthodoxie budgétaire a totalement disparu, on se retrouve sans limites, que se passe-t-il ?

Jean-François Colosimo. L’orthodoxie budgétaire d’Emmanuel Macron a d’autant plus disparu que de toute façon on vivait dans l’illusion économique, oppressive certes, mais on vivait dans l’illusion économique tout de même puisque c’est [en réalité] la Banque centrale européenne qui fixe le cours de l’euro. Pire: on découvre aujourd’hui que nous ne sommes pas les meilleurs du monde en termes de santé non plus, même si elle nous coûte énormément. Nous découvrons aussi le désastre dont souffre tout le personnel hospitalier et médical en France. Plus simplement, on découvre que la Banque européenne fait en réalité ce qu’elle veut contrairement à ce qu’on nous expliquait ces deux dernières décennies. C’est elle qui va déterminer la sortie de crise de l’économie en modifiant simplement des paramètres qu’on nous avait décrit comme intangibles… Là encore, un mensonge de plus qui saute !

Elisabeth Lévy. Vous êtes un peu optimiste ! Mais vous oubliez la dimension d’…

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