« La famille signifie repli sur soi. Ce sont des gens chez eux, avec un 4×4 et pour qui seuls leurs enfants comptent », a asséné Corinne Maier sur le plateau de C Ce Soir face à la journaliste Eugénie Bastié
Corinne Maier est économiste, psychanalyste lacanienne et essayiste de nationalité suisse. À ce stade, certains et certaines d’entre nous auront peut-être déjà commencé à s’inquiéter. Son premier ouvrage s’intitulait Le général de Gaulle à la lumière de Jacques Lacan. Aurait-ce été à celle de Freud qu’on se serait demandé si le nez du grand Charles ne l’avait pas inspirée, mais passons. Ce premier sujet aride ne fit pas d’elle une célébrité. Il a fallu qu’elle attende la sortie de Bonjour paresse : De l’art et de la nécessité d’en faire le moins possible en entreprise pour que la slasheuse sorte de son placard et prenne la lumière des studios parisiens. Traduit en 25 langues, ce best seller qui valut à madame Maier d’être qualifiée d’ « héroïne des temps modernes » par le New York Times, excusez du peu, était une réfutation de l’injonction moderne à l’émancipation individuelle par le travail mais aussi un pamphlet contre la culture « corporate ».
Le livre était d’ailleurs assez drôle et plutôt réussi. Mieux, son auteur faisait montre d’une certaine ironie, de lucidité. Ce n’est pas fréquent. Il y avait même dans ces pages un peu de Michel Houellebecq croisé avec le personnage du dessin animé Daria, archétypique de la Génération X : « Dieu sait pourquoi l’opinion et les médias s’intéressent toujours en priorité à ceux qui crachent dans la soupe. Fort de cette logique, Bonjour paresse, qui crache dans la soupe de l’entreprise, m’apportera-t-il le succès ? Allez savoir… » On a su. Malheureusement, le succès peut aussi devenir une malédiction, car Corinne Maier s’illustre depuis dans le militantisme décroissantiste, option Ordre du Temple Solaire et barbecue de bambins.
Désormais solidaire de la cause « childfree », notre croisée néo-cathare n’en finit plus de confesser ses névroses postnatales à la télévision – la Suissesse est mère de deux enfants. Elle doit en entendre des trentenaires angoissés, à peine sortis d’une consultation chez le chirurgien pour planifier une vasectomie, lui raconter qu’ils ne veulent pas d’enfants dans un monde aussi pourri, avec des patrons méchants, des voisins qui ne le sont pas moins et la météo qui s’en mêle, parce que nous sommes trop nombreux et bloqués au stade oral, ayant remplacé nos sucettes par des cigarettes et consommant autant de mouchoirs pour pleurer sur notre sort que la consommation journalière en couches-culottes industrielles d’un nouveau-né directement allaité au pis d’une vache normande.
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Elle a même anticipé la tendance depuis très longtemps, puisque son ouvrage consacré à la question date de 2007. Soit bien avant que des gamines ne s’exhibent sur Brut ou Konbini pour demander à ce que la justice les autorise à subir une ablation des ovaires, dont le coût serait évidemment pris en charge par le contribuable. Madame Maier n’est toutefois pas du genre à renoncer à des idéaux si élevés. Entre deux biographies dessinées de Marx et Freud, et un petit encouragement à quitter la France, elle n’a pas désarmé et entend maintenant convaincre les moins décidés à ne surtout pas se reproduire. L’idée de l’eugénisme est certes parfois tentante, surtout avec certains profils d’individus, le genre à se fabriquer des strings chauffants pour se stériliser les testicules par exemple, mais encore un peu trop radicale dans un pays qui se situe sur le continent qui connaît déjà un effondrement démographique sans précédent.
On ne va pas se lancer ici dans l’exégèse de la mère trop aimante de Winnicott, dans celle de la mère dévorante de Meadow, dans les deux mères de Gide, ou encore dans l’analyse potentiellement plus distrayante du thème classique de « la maman et la putain », mais on tentera de rappeler à ces nihilistes en sandales de cuir quelques éternelles vérités. Car, oui, il y a le vrai et le faux, le beau et le laid, le sublime et le terrifiant, n’en déplaise à cette masse grouillante de surdiplômés postmodernes. La famille nucléaire propre à l’Occident qui a remplacé le clan est par bien des aspects une malédiction et un système dévorant. Elle est toutefois, à l’image de la nation, le socle sur lequel s’est bâtie une civilisation aussi originale que prospère, féconde qu’industrieuse, capable des plus grandes conquêtes matérielles et des plus belles découvertes de l’esprit.
« La famille signifie repli sur soi. Ce sont des gens chez eux, avec un 4×4 et pour qui seuls leurs enfants comptent », a asséné Corinne Maier sur le plateau de C Ce Soir face à la journaliste Eugénie Bastié. Voulait-elle fustiger le french dream et son tryptique « gamins, voiture, pisicine » ? Sûrement. Mais qu’elle souffre que l’aspiration commune soit aussi simple : c’est la condition même de la survie. Prospérité et sécurité sont indissociables. Les enfants nous succèdent. Oh, tout le monde n’a pas d’aspirations politiques ou spirituelles. Et alors ? Pour certains, l’horizon d’un jardin de pavillon est la promesse d’un Eden. Nos enfants nous survivent, ils sont le but même de la vie sur terre et le prolongement matériel de nos brèves existences ici-bas. En transmettant notre génétique, nous ressuscitons sous une autre forme. Pas celle impressionniste du souvenir, mais celle sensible du sculpté. Cela, tout être encore sain d’esprit le sait. Qu’il vive en Afrique, en Europe ou en Asie. Aucune Corinne Maier ne pourra jamais rien y changer.
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