En Corée du Nord, le mois d’août aurait été sanglant. Une purge estivale dont seul Pyongyang a le secret. Fin août, un journal sud-coréen citant une « source anonyme » faisait savoir que l’ancien ministre de l’agriculture Hwang Min et un haut fonctionnaire avaient été exécutés au début du mois d’août. Une exécution spectaculaire : les deux fonctionnaires seraient morts sous le feu de canons anti-aériens. Le jeune tyran ne fait pas dans le détail.
Mercredi dernier, le porte-parole du ministère de l’Unification de Séoul, annonçait pour sa part, que c’était l’un des principaux ministres de Kim-Jong-Un, le vice premier-ministre Kim-Yong Jin qui avait été éliminé par un très classique peloton d’exécution.
Régulièrement les services de renseignement sud-coréens font état de purges brutales. En avril 2015, la Corée du Sud évoqua la mort de 15 hauts fonctionnaires du nord parmi lesquels celle de Hyon Yong-Chol, le ministre de la défense de Kim-Yong Un, accusé d’avoir fait une sieste lors de défilés militaires ! Depuis les services sud-coréens sont revenus sur cette information, annonçant qu’il avait plus probablement été déchu. Même chose au sujet d’un chef d’état-major de l’armée, accusé de corruption, donné pour mort par les services sud-coréens. Il fut nommé membre suppléant du Politburo en mai 2016. Les services sud-coréens reconnurent qu’ils s’étaient probablement trompés.
Des rumeurs invérifiables
Risque-t-on le peloton d’exécution pour avoir piqué un somme en Corée du Nord ? Invérifiables et diffusées le plus souvent par les services de renseignement sud-coréens, ces informations sont au moins sujettes à caution. Certes, la Corée du Nord est l’un des pays les plus tyranniques de la planète et la période est propice aux tensions et règlements de compte internes. D’autant que de nombreux médias se sont faits l’écho d’une augmentation récente des défections de hauts cadres du régime, largement susceptibles d’irriter Kim III. En aout, sept diplomates auraient quitté le pays alors que Pyongyang multiplie de son côté les tirs de missiles balistiques en direction de la mer du Japon. Une démonstration de puissance qui vise autant à narguer les institutions internationales incapables de réagir à la menace nord-coréenne, qu’en interne à renforcer l’autorité du leader sur le parti et l’armée.
Mais toutes les « informations » sur des purges sans fin relèvent plus souvent d’un jeu de propagande entre les deux Corée. Par la diffusion de ces rumeurs, Séoul maintient un certain niveau de tensions entre les deux pays et incite les candidats nord coréens à la défection, des sources toujours intéressantes d’informations pour le sud qui « débriefe » tous les nord-coréens. Par ailleurs, il est évident que pour les services de sécurité sud-coréens chargés d’espionner le pays le plus fermé de la planète, la tâche n’est pas aisée et la diffusion régulière de rumeurs ou d’informations sur la Corée du Nord est une façon de prouver leur utilité. Méthode classique des services de renseignements après la chute du Mur de Berlin qui pour contrer « leur chômage technique » avaient largement tendance à surévaluer la menace.
De son côté, la Corée du Nord (qui ne dément jamais aucune « rumeur ») y trouve aussi son compte en apparaissant comme un régime fort et sous contrôle. Il fait même preuve d’une certaine subtilité en matière de communication en faisant réapparaître les présumés purgés lors de cérémonies officielles, quelques mois après l’annonce de leur mort. Une manière de ridiculiser les services de renseignement du Sud.
Purges et fantasmes
Si Kim Jong-Un est tout à fait capable d’exécuter ses plus proches collaborateurs et anciens affidés, l’élimination brutale de hauts cadres du régime reste exceptionnelle et signale la crainte de la montée en puissance d’une faction contestataire, ou trop affairistes au sein de l’élite comme le décrit le journaliste Philippe Pons dans son récent livre Corée du Nord, un état guérilla en mutation.
C’est le sort que connut Jang Song Thaek, éminence grise du pouvoir, et accessoirement oncle du jeune dirigeant. Accusé de trahison, il fut exécuté à la mitrailleuse lourde en décembre 2013. Condamné à mort par un tribunal militaire sous l’inculpation d’avoir fomenté un coup d’état, il fut éliminé en présence de cadres du Parti. L’information fut alors relayée par les médias officiels, sa photo effacée de la plupart des photos officielles, et des milliers d’articles des archives qui évoquaient son travail furent détruites, ce qui pour Pyongyang vaut confirmation. Comme au temps de l’URSS, les cadres du parti effectivement exécutés disparaissent des photos et leurs noms sont souvent effacés dans les archives des journaux officiels.
Une médiatisation spectaculaire de l’événement destinée à marquer les esprits de l’élite dirigeante du pays et les éventuels candidats à une mise en cause du pouvoir absolu de Kim Jong Un. Démonstration que Pyongyang maitrise l’art de la dramaturgie. Cette exécution, suivi de nombreuses arrestations fut un événement sans précédent depuis les grandes purges des années 60. «à la fois Kim Il-sung et Kim Jong-il ont été réticents à tuer leurs hauts fonctionnaires. Sous leur règne, de nombreux responsables ont été rétrogradés ou envoyés à la campagne où ils étaient censés faire du travail de bureau, des tâches de base ou du travail forcé», écrit l’expert russe Andrei Lankov sur le site NKnews
Mais les rumeurs non-confirmées d’exécutions spectaculaires pour sieste trop prolongées relèvent bien plus de la machine à fantasmes qu’aiment alimenter les services de renseignements américaines et sud-coréens largement relayée par une presse occidentale qui oublie là toute consigne de prudence.
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