Financée et encouragée par l’Arabie saoudite, la lecture littérale du Coran et son cortège d’absurdités scientifiques progressent. Ce mouvement appelé « concordisme » sévit en France et en Belgique. Enquête.
« Les Anges ainsi que l’Esprit montent vers Lui en un jour dont la durée est de cinquante mille ans. » Ce verset du Coran (70:4) révèle, à qui sait le lire, la vitesse de la lumière (300 000 km/s). C’est du moins ce qu’a tenté de démontrer à coups de calculs minutieux Kamel Ben Salem, professeur d’analyse des données dans le département des sciences informatiques de l’université de Tunis. Le Coran contiendrait également une description cryptée du tableau périodique des éléments établis par le chimiste russe Mendeleïev en 1869, ainsi que des informations précises sur l’âge de l’univers, le développement du fœtus et la tectonique des plaques, mise en évidence en 1912 par l’allemand Alfred Weneger.
« Il n’existe pas une seule découverte scientifique qui n’ait de trace dans le Coran »
Comment un livre écrit au VIIe siècle pourrait-il faire état de découvertes postérieures de plusieurs siècles ? La réponse est simple. Le Coran n’a pas été écrit. Il est incréé. Il est la parole de Dieu livrée à un prophète illettré, Mahomet. Il existe de toute éternité et contient la totalité du savoir, passé et à venir. Cette idée décoiffante est aujourd’hui acceptée par un certain nombre de musulmans, égale au carré de la jobardise, multiplié par le produit de la ferveur et du fanatisme.
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« Il n’existe pas une seule découverte scientifique qui n’ait de trace dans le Coran », soutenait en juillet 2017 le géologue égyptien, Zaghloul Ennajar dans une conférence tenue à la faculté des sciences et techniques de Fès, au Maroc. Il n’a pas convaincu tous les étudiants présents, raconte le magazine marocain Telquel, dans son numéro du 18 juillet 2017. Peu importe. Le miracle scientifique dont le Coran serait porteur dispose de bien d’autres relais. En 1984, la Ligue mondiale islamique a créé une commission internationale des signes scientifiques dans le Coran et la sunna. Elle est dirigée par le cheikh saoudien Abdallah al-Mouslih, qui prêche régulièrement en Europe – sa dernière intervention en France a eu lieu à Mulhouse, en novembre 2017. Elle soutient de nombreuses manifestations partout où on trouve des musulmans. Son objectif fondateur est d’établir la « liaison de la science avec les réalités de la foi », même quand la foi s’égare. En 2006, à la huitième conférence de la commission, le cheikh yéménite Zendani a annoncé la découverte d’un remède contre le VIH à base d’extrait d’une plante recommandée par le prophète. Aujourd’hui encore, le remède en question est évoqué avec dévotion dans des centaines de messages sur les forums musulmans francophones.
Le créationnisme musulman
Moins médiatisée que sa variante chrétienne américaine, mais tout aussi obscurantiste, le créationnisme musulman prospère. Ses vidéos affolent les compteurs. « Miracle du Coran, voici les vraies preuves d’Allah » : 1,46 million de vues, pour découvrir que le ciel déborde de nuages en forme de lettres arabes, signature du dieu créateur.
« Un certain nombre de personnes, dont des collègues, luttent contre le créationnisme, à juste titre, souligne l’historien des sciences Alexandre Moatti[tooltips content= »Auteur en 2017 d’Islam et science, antagonismes contemporains, PUF »]1[/tooltips], mais par oubli ou complaisance, le créationnisme islamique venant du Proche-Orient n’est pas dénoncé comme un projet politique, bien qu’il en soit un lui aussi. »
Reste à savoir qui croit à tout cela : « Des littéralistes », répond Michaël Privot, Belge converti, parlant l’arabe et le turc, ancien frère musulman, aujourd’hui directeur de l’European Network Agaisnt Racism (ENAR), à Bruxelles. « Beaucoup sont diplômés, y compris en sciences dures. Ils sont en pleine dissonance cognitive entre leurs connaissances et leur conviction que le Coran ne peut pas mentir. Il faut créer un lien, même au prix de contorsions impossibles. C’est une forme de concordisme, comme la religion chrétienne en a connu. » À cette nuance près que le concordisme chrétien est globalement derrière nous, alors que le concordisme musulman est en expansion. En Arabie saoudite, raconte Michaël Privot, « des chaires en astronomie et en astrophysique ont disparu, parce que leurs travaux risquaient de ne pas être compatibles avec le Coran ». Le « bon savant », ce serait plutôt Maurice Bucaille (1920-1998), un Français médecin personnel du roi Faycal, qui défendait la compatibilité totale du Coran avec la science (par opposition à la Bible, truffée d’erreurs).
Sur le Coran de la Mecque, la Terre est plate !
Compatible ? Un verset du Coran (79:30) dispose que Dieu a « étalé », ou « étendu » la Terre. Le cheikh Abdul-Aziz ibn Baaz, autorité religieuse d’Arabie Saoudite, en a tiré les conséquences en 1993 : « La Terre est plate. Quiconque clame qu’elle est sphérique est un athée méritant un châtiment. » Embarrassés, d’autres musulmans évoquent un problème de traduction. Le mot en arabe pour « aplati » ressemblant à un autre mot qui désigne l’œuf d’autruche, le Coran décrirait en fait la terre avec précision : une sphère aplatie.
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De 2011 à 2017, en Tunisie, une étudiante en géologie de la faculté de Sfax a préparé une thèse sur « le modèle plate-géocentrique de la Terre, arguments et impact sur les études climato / paléoclimatiques ». En deux mots, sur la Terre plate. Elle a fait scandale. C’était peut-être le but recherché. « Soutenir que la Terre est plate ou rejeter la théorie de l’évolution, même sans la comprendre, c’est dire “je suis musulman et je vous défie” », avance Michaël Privot. En France, dans l’enquête menée par les sociologues Anne Muxel et Olivier Galland[tooltips content= »La Tentation radicale : enquête sur les lycéens, PUF, 2018″]2[/tooltips] auprès de 7 000 lycéens âgés de 14 à 16 ans, 34 % des musulmans pensaient que la religion explique mieux la création du monde que la science, contre 11 % des autres élèves…
« Le projet islamiste est un projet global qui ne vise pas seulement à changer la constitution, mais toute la société »
Le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a créé fin 2017 dans chaque académie une « unité laïcité », chargée d’assister les enseignants confrontés au dogmatisme. Tout le monde n’applaudit pas. « Le fait, pour un élève, de questionner un cours de sciences qui remet en cause ses convictions religieuses ne mérite pas d’être accusé de porter atteinte à la laïcité, pouvait-on lire dans Libération, le 11 décembre 2017. C’est le signe que ce citoyen en pleine formation intellectuelle est attentif au cours qu’il suit. » (!!!) Une largeur de vues que ne partage pas tout à fait la physicienne tunisienne Faouzia Charfi. « Le projet islamiste est un projet global qui ne vise pas seulement à changer la constitution, mais toute la société : les femmes, l’éducation et la pensée scientifique », déclarait-elle dès 2013, avant d’enfoncer le clou en 2017 : « La science a disparu du monde musulman au cours des siècles », pour cause d’obscurantisme et d’intolérance. Son livre courageux, La Science voilée, paru chez Odile Jacob en 2013, a suscité six commentaires sur Amazon, tous élogieux. Celui de Maurice Bucaille, La Bible, le Coran et la science, tissu de calembredaines vendu en poche, en a dix fois plus. On dirait que l’islam des Lumières n’avance pas à la vitesse de la lumière.
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