Souveraine et souverainiste.
Coralie Delaume est partie hier matin. Elle s’est éclipsée de ce monde qu’elle observait et analysait avec acuité discrètement, sur la pointe des pieds, comme si elle avait peur de déranger en partant si vite. Une politesse qui la caractérisait.
Au mois de janvier, elle apprenait l’existence de son cancer. Une lutte supplémentaire pour cette infatigable combattante, ancien officier de l’armée de terre qui se battait pour ses idées, pour la France et sa souveraineté, prête à engager la lutte à coups d’entraînement rigoureux : un travail exigeant, des connaissances précises qu’elle aiguisait et revisitait sans cesse, des lectures acharnées, un humour ciselé et surtout une indéfectible capacité à s’insurger.
Coralie était une indignée, une vraie, pas une rebelle de salon ou d’opérette qui braille à l’injustice et donne des leçons en vivant sur ses acquis, mais une femme engagée pour la souveraineté, celle du peuple, la seule légitime à ses yeux, pour l’indépendance de la France, pour la défense de sa culture, de son histoire, de son économie et du bien-être de sa population. Ces convictions ont nourri son combat : expliquer les rouages de l’Union Européenne et comment cette institution, froide et bureaucratique, détruit les nations.
Il fallait oser, par conviction, sortir d’un confort professionnel pour devenir blogueuse, puis auteur, puis contribuer par son travail à expliquer l’impasse dans laquelle nous mène l’Europe politique et les rapports que l’Allemagne et la France entretiennent au détriment de cette dernière.
Il ne suffit pas de se proclamer souverainiste pour l’être. Il faut avoir ça dans les tripes et dans la tête. Savoir le sentir et l’intellectualiser. Coralie le faisait si bien que son travail pouvait intéresser aussi bien sa famille politique (c’était une femme de gauche qui détestait les étiquettes) que ceux qui souhaitaient plus simplement s’informer sur l’histoire et les institutions européennes.
Ses analyses, elle les livrait dans les colloques, sur le net, en se forçant un peu d’ailleurs car elle estimait que son travail n’était jamais vraiment achevé, et dans ses livres qu’il nous appartient de lire ou relire tant on s’aperçoit, avec le recul, qu’ils collent à l’actualité : Europe, les États désunis ou Le couple franco-allemand n’existe pas publiés aux éditions Michalon.
C’était aussi une femme de terrain. Les convictions emmènent sur tous les fronts et elle avait lutté avec acharnement contre la privatisation d’ADP en lançant avec David Cayla une pétition qu’elle prenait le temps d’expliquer dans un tour de France, ordinateur en mains pour encourager les signatures.
Il y a quelques semaines, elle était encore en ébullition, des projets plein la tête, des choses à lire, à digérer, à comprendre afin de les analyser pour informer, décrypter. Le nombre de lectures indigestes que Coralie a pu se « farcir » afin de nous les rendre intelligibles… Des essais interminables, des communiqués de la BCE, des directives alambiquées… Faites un tour dans « la littérature » des commissions européennes et vous allez vite comprendre votre douleur ! Dégager du sens dans le marasme et en dénoncer l’absurdité, c’est une démarche d’aventurier. Coralie était une aventurière : plusieurs métiers, plusieurs passions, mais une fidélité à ses idées et à ses amis intègre.
Au moment où les médecins ne cachaient plus leur pessimisme, elle continuait de bâtir des projets, d’écrire, d’entamer des lectures pour le travail ou le plaisir. Car le plaisir faisait aussi partie de la vie de Coralie qu’on présente toujours avec le sérieux qui s’impose – et qu’elle s’imposait – mais qui n’oubliait jamais de trinquer à la vie, une vie qui ne se réduit pas à soi-même mais qui est marquée par le devoir d’être et d’exister :« Je vais faire comme la petite chèvre de monsieur Seguin. Je vais me bagarrer toute la nuit et à l’aurore, le loup me mangera. De toute façon, tôt ou tard, le loup nous mange tous » avait-elle écrit pour rassurer ceux qui s’inquiétaient pour elle.
Coralie, par excès d’exigence et humilité, avait toujours l’impression de ne pas être vraiment à sa place. Là, je te le dis Coralie, tu n’es vraiment pas à ta place, pas maintenant. Le loup est venu trop tôt. Mais tu lui as aussi joué un tour à ta façon, avoue-le… Il n’a pas tout emporté, il reste ce que tu as semé avec détermination et patience, tes idées, tes livres, tes échanges, ce que tu as su faire naître autour de toi, par un sourire, par un échange. Là aussi est le secret de l’immortalité: être souverain de sa vie.
Il faut avec urgence relire les ouvrages de Coralie Delaume pour éclairer notre perception de l’Europe.
Il faut sans doute compiler la somme de travail qui n’a pas encore été édité.
Il faut faire tant de choses et parfois les faire vite car les existences fauchées si jeunes doivent nous apprendre à combattre sans relâche pour nous aussi pouvoir gruger le loup.
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