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Coquillages, crustacées et bombe atomique


Coquillages, crustacées et bombe atomique

Édouard Launet est un passionné de sciences, ce qui ne l’a pas empêché d’écrire de bons livres. Le dernier en date, Sorbonne Plage, revient sur les origines de cette fascination : les champignons atomiques s’élevant au-dessus des atolls polynésiens lors des essais nucléaires français, les couleurs vives des îles, le soleil et la puissance surnaturelle de l’atome. Rien que de très estival.

C’est pourtant très loin de Bikini que se sont écrites les premières lignes de l’épopée atomique. La presqu’île de l’Arcouest, qui fait face à l’île de Bréhat et voisine de Paimpol, dans les Côtes-d’Armor, a abrité durant plusieurs décennies une véritable colonie scientifique, humaniste, engagée pour le progrès, pour la libération et les droits de l’homme, et qui oeuvra bien malgré elle à la destruction d’Hiroshima et de Nagasaki en août 1945.

Comment l’idéalisme se retrouve-t-il dévoyé dans la violence ?

Marie Curie, Jean Perrin, Irène et Frédéric Joliot-Curie, Pierre Auger, Francis Perrin, mais déjà Charles Seignobos et le pionnier de la neurologie Charles Lapicque et avant eux le poète Anatole Le Braz passèrent leurs étés ensemble au bord de la Manche capricieuse qui voyait encore revenir les équipages de pêcheurs d’Islande, pêcheurs à la morue près du cercle polaire. Là où se dresse désormais la villa de Liliane Bettancourt et un vague mémorial à la gloire des physiciens défricheurs de neutrons, l’élite pacifiste, socialiste et dreyfusarde se promenait en espadrilles et chapeau mou.

En mêlant photos, films et souvenirs de vacances à des jalons tristement célèbres de l’histoire scientifique et militaire du XXème siècle, Édouard Launet tente de répondre à deux bonnes questions : comment l’idéalisme se retrouve-t-il dévoyé dans la violence ? Comment sort-on de la désillusion ?

Les grands savants, des idiots comme les autres

Dans un paysage de granit rose, d’églantines en fleurs, de pêches miraculeuses, de villas coquettes, il met en scène ses personnages, figés par les prix Nobel, les honneurs, le désenchantement. « Ces gens-là » comme les appellent les habitants du bourg de Ploubazlanec forment un groupe hermétique, ésotérique sous certains angles, et quelque peu sulfureux. Parisiens, brillants, athées, ils répandent dans leur sillage un parfum de scandale. Marie Curie en particulier, veuve, grande dame aux mains déjà rongées par la manipulation de matériaux radioactifs, a une liaison tapageuse avec un homme marié et père, Paul Langevin. Elle s’essaie avec maladresse à la navigation, aidée par un jeune mousse du cru. Il est toujours amusant, quoique banal, de voir où les grands savants sont aussi, voire plus idiots que nous.

Sur la presqu’île, que les journalistes commencent à connaître, c’est un genre de phalanstère qui a fini par germer. Les Arcouestiens ont milité pour la paix jusqu’à l’étrange été 1914, puis se sont rangés comme un seul homme au service de la défense nationale. Affirmant qu’aucune connaissance ne saurait être nuisible, à moins de tomber entre les mains d’une humanité qui ne serait pas assez mûre pour savoir la valoriser, selon les mots du prix Nobel Pierre Curie, les membres de cette colonie s’engagent en 1936 pour le Front Populaire, et Irène Joliot-Curie devient à cette occasion la première femme à entrer dans un gouvernement, au poste de sous-secrétaire d’État chargée de la Recherche scientifique. Convaincu par l’idéal soviétique, le groupe  auréolé de quatre Nobel collecte aussi des soutiens et du matériel pour les républicains espagnols, et en 1944, alors que ses recherches se font depuis quatre ans sous l’oeil allemand, Frédéric Joliot met au point les explosifs « cocktails Joliot-Curie » qui servent lors de l’insurrection de Paris.

Le 6 août 1945, Le Monde titrait « une révolution scientifique »

Des rebelles, de grands idéalistes, de grands rêveurs, aussi, qui ne voyaient pas le mal, ou peut-être ne voulaient pas le voir. Dès le début des années 1940, alors que la course à l’atome s’accélère en France, aux États-Unis et en Allemagne, ils sentent venir la catastrophe. Mais personne n’en prend la vraie mesure. Même après le bombardement du 6 août 1945, Le Monde titrait « une révolution scientifique » et Frédéric Joliot regrettait un peu d’avoir été coiffé au poteau par le « projet Manhattan ». Seul Camus réagit dans les colonnes de Combat : « La civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. »

Les Curie, Joliot-Curie, Perrin et consorts ont-ils du sang sur les mains ? Ont-ils été contraints d’étrangler leur idéalisme ? Peut-être que rien de catastrophique n’arrive vraiment lorsqu’on a pour horizon l’île rose de Bréhat.

Édouard Launet, Sorbonne Plage – Stock, 216 pages.

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étudie la sophistique de Protagoras à Heidegger. Elle a publié début 2015 un récit chez L'Editeur, Une Liaison dangereuse.

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