Comédie en un acte, en prose, inspirée du Vétérinaire malgré lui de Molière
Les personnages : David Desgouilles, moraliste du XXI° siècle – Coralie Delaume, amatrice de cake aux fruits rouges
ACTE UNIQUE (1986) – SCENE UNIQUE – PENSEE UNIQUE
Coralie (nonchalamment alanguie sur l’une des « commodités de la conversation » que compte son spacieux séjour)
Cher David, je te sais un inconditionnel de la chose. Pour autant, je m’interroge parfois sur la pertinence de continuer à fréquenter les réseaux sociaux. Même en y baguenaudant mollement sans rien attendre de particulier, entre le dernier clip de Justin Bieber, une chronique de Sophia Aram, et trois photos de chatons dans des paniers, il arrive que l’on finisse par tomber sur une information qu’on eût préféré ignorer.
Tiens, hier, par exemple, au détour du « mur » d’un « friend » sur Facebook, j’ai pris connaissance de cette information insolite. Une élue socialiste, Françoise Tenenbaum, vient de proposer, pour pallier le manque de médecins en zones rurales, d’avoir recours à…des vétérinaires. Pas pour soigner un Alzheimer, bien sûr. Mais pour « faire les gestes de premier secours ».
Il est vrai qu’ils ont fait « sept ans d’études et réussi un concours difficile », comme elle le rappelle. Par ailleurs, « un vétérinaire s’occupe des bovins mais aussi des autres mammifères ». Nul doute que leur bonne connaissance de l’anatomie du hamster en ferait des soignants de qualité pour nous autres humains !
David (se ruant sans ménagement sur son clavier)
En voilà une idée qu’elle est bonne ! O Tenenbaum, ô Tenenbaum, que j’aime sa verdure… J’ai vu passer cette information. Mais tu es injuste avec les réseaux sociaux, car il en était aussi question au journal parlé de RTL hier au soir. Il s’agit d’une élue dijonnaise, paraît-il.
Je me demande si cette dame inventive ne pourrait pas développer ce concept de pluridisciplinarité. On pourrait lui donner d’autres idées. Tiens, pourquoi ne pas demander aux meilleurs de nos charcutiers de remplacer les chirurgiens pour des interventions légères ?
Coralie
A nos meilleurs charcutiers ? Pourquoi pas. Mais je ne suis pas sûre que cela puisse convenir à nos mœurs laïques. Afin de ne pas mettre à mal le « vivre ensemble » qui caractérise notre belle République, je propose que l’on ait plutôt recours à la guilde des bouchers. Nous aurons ainsi la garantie d’interventions chirurgicales religieusement halal, ce qui compensera en partie leur caractère médicalement haram.
A cet égard, il me semble d’ailleurs qu’on devrait cantonner l’œuvre des bouchers aux seules amputations. Car pour les troubles des boyaux, la profession des plombiers me semble mieux qualifiée.
David
Les plombiers peuvent aussi faire de très bons urologues. Le problème c’est qu’on manque aussi de plombiers et qu’on est donc contraint d’en faire venir de Varsovie ou de Cracovie, ce qui nous ramène aux heures les plus sombres de notre histoire référendaire. A propos, n’est ce pas faire preuve d’un protectionnisme corporatif que de rejeter d’emblée ces pistes inspirées par la modernité ? Et pourquoi s’arrêter aux professions médicales ?
Coralie
Ah…tu sais combien je suis protectionniste. Je suis favorable de longue date à « la libre circulation de rien et de personne ».
Mais tu as raison. Tant qu’à miser sur l’éclectisme des professionnels de tous ordres, je propose pour ma part que l’on pallie le manque de candidats aux concours de l’Education nationale par le recours massif à des agriculteurs, et plus spécifiquement, à des éleveurs. L’apprentissage en batterie aura un côté « massification de la culture » du meilleur effet. Par ailleurs, si nos jeunes sont des « sauvageons », autrement dit des arbres non greffés, selon le mot désormais célèbre de Jean-Pierre Chevènement je suggère que l’on recoure à l’occasion aux services de quelques jardiniers.
David
Je suis dubitatif. L’heure est plutôt à l’écoute de l’élève-centre-du-système et à la personnalisation de l’enseignement. Et je crains qu’une certaine rudesse dans l’expression n’effarouche tous ces pauvres gosses. En revanche, les étudiants en sociologie et en psychologie, on pourrait les affecter directement, sans concours. D’ailleurs, le concours a été déclaré vieillerie au plus haut niveau de l’Etat.
Mais quittons la fonction publique. Pensons notamment à cette génération d’analystes politiques qui partira bientôt à la retraite. Roland Cayrol ou Alain Duhamel, par exemple. J’avais déjà évoqué leur forte proximité avec les astrologues. Il y a tout plein de marabouts -notamment dans mon journal de petites annonces- prêts à prendre la suite de ces icônes ?
Coralie (docte)
Nous touchons là une thématique chère à Renaud Camus : celle du Grand Remplacement. Dès lors, tout est envisageable, y compris les pires excès. Ne finira-t-on pas par remplacer les élus du peuple par des technocrates, ou, pis, par des banquiers ?
David (il soupire longuement, son œil est humide mais sa truffe est sèche)
Coralie (tremblante)
David, nom d’un chien, dois-je appeler le vétérinaire ?
David (morne)
Non, c’est juste que..le remplacement des élus du peuples par des technocrates, et bien…c’est déjà fait…
Coralie (elle émet un hululement plaintif puis se tait)
Sur ces entrefaites, suivant en cela les conseils d’Europe Ecologie – Les Verts et de leur candidate Eva Joly, David et Coralie se rendent à la mairie pour s’inscrire sur les listes électorales, comme tous les chats, chattes et chatons en âge de voter.
Dans une série de vidéos intitulée « l’abstention fait peur aux chatons », le comité de campagne d’Eva Joly plaide en faveur de l’inscription
sur les liste électorales. A voir ici, ici et surtout ici.
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