La pensée apocalyptique semble inhérente à la nature humaine : peu importe que les divers scénarios catastrophistes élaborés au cours des millénaires écoulés se soient tous révélés erronés, il en surviendra toujours un nouveau qui prédira, cette fois-ci à coup sûr, la fin de l’humanité, et enjoindra, en conséquence, les vivants à modifier leur comportement pour garantir la survie de l’espèce. Philippulus, le prophète dérangé de L’Etoile mystérieuse de Hergé, est aujourd’hui incarné par des savants choyés par l’ONU, bardés de diplômes, qui ont eu l’intelligence de rassembler leurs savoirs parcellaires pour construire une idéologie d’apparence rationnelle, le réchauffisme, en réalité à vocation totalitaire. Leur puissance actuelle repose sur un paradigme qui mélange des faits incontestables – la terre se réchauffe, et les activités humaines contribuent à ce réchauffement – et des extrapolations hasardeuses sur les conséquences abominables de cette évolution.
Ce paradigme engendre une posture politique et morale intimidante. Les générations passées, celles des révolutions industrielles des deux siècles précédents, et la génération actuelle sont clouées au pilori pour avoir engagé l’humanité dans une spirale infernale, et les générations futures sont invoquées au nom de l’adage le plus stupide jamais formulé en ce bas monde : « Cette terre ne nous appartient pas, nous l’avons empruntée à nos enfants ! » On pourrait répondre, à ceux qui l’ânonnent comme un mantra, que nous avons d’abord hérité cette planète de nos parents, et dans un meilleur état, pour ce qui concerne le destin de l’espèce humaine, qu’ils ne l’avaient reçue des leurs. Un seul indicateur devrait donner à réfléchir aux nouveaux prophètes de malheur : l’espérance de vie de la prochaine génération, celle de nos enfants, malgré toutes les turpitudes des humains passés et présents, est incontestablement plus élevée que la nôtre, et cela même dans les régions où, naguère, les populations étaient régulièrement décimées par les famines, les épidémies, la mortalité infantile. Les quelques améliorations élaborées pour combattre ces fléaux grâce au développement des sciences et des techniques sont l’œuvre de savants tout aussi respectables que les honorables membres du GIEC. Ainsi, on prévoit, d’ici la fin du siècle, une explosion démographique sur le continent africain, alors que cette population avait stagné aux cours des siècles passés, à cause des calamités évoquées plus haut
Le bilan économique, politique et moral de l’humanité récente peut donc être considéré comme « globalement positif », comme aurait dit feu Georges Marchais, ce qui ne nous exonère naturellement pas de tirer les leçons des horreurs que l’humanité s’est infligée à elle-même, en se laissant entraîner dans des aventures idéologiques et militaires dévastatrices, dont Hobbes avait su décrire les ressorts (homo homini lupus)…
La transformation en discours de l’apocalypse de l’analyse des périls nouveaux qui menacent l’avenir d’une partie de nos semblables n’appelle pas une réponse rationnelle adaptée à chacun d’entre eux. Elle invite à une mobilisation passionnelle de l’ensemble de l’humanité contre un danger global et indifférencié pour effectuer, toutes affaires cessantes, un virage à 180° dans notre manière de vivre, de penser, de jouir. Cette attitude est la porte ouverte à l’apparition de nouveaux totalitarismes, où une minorité prétendument éclairée, mais en réalité aveuglée par la conviction d’être porteuse d’une vérité transcendantale, entend promouvoir un homme nouveau, hier le prolétaire ou le fasciste, aujourd’hui le décroissant et le végétarien.
Pour comprendre ce phénomène, et se prémunir contre sa réapparition sous une forme renouvelée, il n’est pas inutile de jeter un regard rétrospectif sur la forme précédente du discours apocalyptique universel, celui de l’inéluctable destruction de l’humanité par la guerre nucléaire, une période que les plus anciens d’entre nous ont vécu, dans leur enfance et dans leur jeunesse. Le monde sortait alors d’un cycle de violence et de mort d’une ampleur inégalée dans l’histoire des guerres : soixante millions de victimes, militaires et civiles, une tentative de génocide avérée, l’irruption d’une arme de destruction massive, la bombe atomique expérimentée à Hiroshima et Nagasaki.
Bannir la guerre semblait alors l’exigence absolue de ceux qui avaient survécu à cette tourmente. Des efforts méritoires furent déployés pour mettre en place des institutions planétaires destinées empêcher le retour de telles abominations. Il fallait aller au-delà des aménagements du droit de la guerre institués au lendemain du premier conflit mondial : conventions de Genève, bannissement de certaines armes (gaz de combat), pour mettre en place un système collectif de préventions des conflits armés, que devait incarner l’Organisation des nations unies. Il fallait faire disparaître le tragique de l’Histoire, tout en permettant à l’histoire de continuer, cette fois-ci pour le bien de l’humanité. La nature humaine étant ce qu’elle est, il n’aura pas fallu plus de cinq ans pour que cette utopie en marche se transforme en un nouveau discours de l’apocalypse, instrumentalisé par ceux-là même qui profitaient des failles du nouveau système mondial pour tenter de faire triompher leur projet politique et idéologique totalitaire à l’échelle planétaire. Le postulat était le suivant : l’arme nucléaire allait inéluctablement conduire l’humanité à sa vitrification généralisée, toute arme inventée étant par nature destinée à être utilisée. Ce discours fut cyniquement propagé par l’une des superpuissances issues du second conflit mondial, l’URSS, qui s’efforçait dans le même temps de rattraper par tous les moyens son retard sur les Etats-Unis dans ce domaine. La diabolisation de l’arme nucléaire était l’instrument de la disqualification morale de ses premiers détenteurs, et le prétexte pour s’autoriser à en disposer, puisque « l’autre » refusait de s’en défaire. L’URSS et son despote Staline, puis ses successeurs, ont entretenu ce discours apocalyptique qui leur permettait de maintenir, avec la complicité de leurs « idiots utiles » dans le monde occidental, leur emprise sur une bonne moitié de la planète, au moyen d’un système d’oppression dont les victimes sont estimées à plus de vingt millions, et même plus si l’on y ajoute les victimes chinoises de la folie maoïste. En fait, même si un conflit nucléaire avait éclaté entre 1950 (date de l’obtention de l’arme nucléaire par l’URSS) et 1989, rien ne permet d’affirmer qu’il eût marqué la fin de l’espèce humaine, ni même qu’il eût été plus dévastateur, en terme de destruction de vies et de biens, que la deuxième guerre mondiale. Ce discours de l’apocalypse, en tous cas, a servi à prolonger la vie de « l’hypothèse communiste » chère à Alain Badiou. L’appel de Stockholm [1. Texte de l’appel de Stockholm du 19 mars 1950 : « Nous exigeons l’interdiction absolue de l’arme atomique, arme d’épouvante et d’extermination massive des populations. Nous exigeons l’établissement d’un rigoureux contrôle international pour assurer l’application de cette mesure d’interdiction. Nous considérons que le gouvernement qui, le premier, utiliserait, contre n’importe quel pays, l’arme atomique, commettrait un crime contre l’humanité et serait à traiter comme criminel de guerre. Nous appelons tous les hommes de bonne volonté dans le monde à signer cet appel. »], formidable machine de propagande soviétique lancée en en 1950, rassembla, en Occident, un grand nombre de prétendus pacifistes, bien au-delà des communistes convaincus, puisque même le jeune Jacques Chirac s’y laissa prendre… Ajoutons, pour clore ce rappel historique que la disparition de ce discours de la scène publique ne signifie pas que l’humanité est, aujourd’hui, moins menacée de la guerre nucléaire qu’elle ne l’était hier. Au contraire, la prolifération nucléaire actuelle, et le maintien par les Etats-Unis et la Russie d’un stock très important de ce type d’armes en rend la possibilité tout autant, sinon plus envisageable qu’au siècle dernier, comme le constate lucidement François Heisbourg dans son dernier ouvrage [2. François Heisbourg, Secrètes Histoires, éditions Stock.].
Il ne peut y avoir de coexistence, dans une même période, de deux discours apocalyptiques, car ce sont par nature des idéologies totalitaires, devant mobiliser seules les affects des humains. Autour d’un postulat de base, réputé irréfutable, on agglomère un catalogue hétéroclite de nouveaux tabous, au nom du sacro-saint principe de précaution : le nucléaire civil, les OGM, l’alimentation carnée sont les interdits de la nouvelle religion post-moderne.
La nouveauté, concernant le catastrophisme écologique qui domine aujourd’hui, c’est qu’il n’est pas mis en forme et imposé par les pouvoirs politiques dominants, mais conçu et diffusé au sein des sociétés ouvertes et démocratiques par des idéologues prétendant sauver l’humanité en attisant les angoisses existentielles travaillant l’âme humaine. Un peuple qui a peur ne pouvant avoir tort, ceux qui ont reçu démocratiquement la mission de le guider doivent lui emboîter le pas, ou au moins faire semblant d’être aussi effrayés que leurs mandants. La mise en scène de la COP 21, l’accumulation de déclarations hyperboliques : « Sauver la planète ! Notre maison brûle !… », sont des leurres aussi efficaces pour répondre réellement aux problèmes posés que l’invention du grand méchant loup pour inciter les enfants à se tenir tranquille. Quel avenir politique, dans nos démocraties d’opinion et d’émotion, aurait un dirigeant qui dirait à ses électeurs que la modification, même de 4° en un siècle, de la température moyenne de la planète ne signifierait pas la fin d’une humanité qui en a vu d’autres, et qu’il convient d’en évaluer les désagréments pour les rendre les moins nocifs possibles, puisqu’il est irréaliste de penser que le genre humain, unanime, se mobilise pour adorer le fétiche écolo ? Le danger qui nous guette immédiatement est moins de griller dans les flammes de l’astre solaire que de subir la dictature comportementale des nouveaux Philippulus.
*Photo : Sipa.00732616_000018.
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