Cop 21: Décroître ou périr


Cop 21: Décroître ou périr
D.R.

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Mathématicien et philosophe, chercheur au CNRS, Olivier Rey est membre de l’Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques (CNRS/Paris 1). Dernier ouvrage publié : Une question de taille, éd. Stock, 2014.

Daoud Boughezala. Je vais vous poser une question simple et directe : imputez-vous à l’homme la responsabilité du changement climatique ?

Olivier Rey. Le climat est un objet extrêmement complexe, et les modèles qui rendent compte de son évolution gardent toujours une part hypothétique. Cela étant, ces modèles indiquent une influence importante de l’activité humaine sur le changement climatique, et les membres du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), avec qui j’ai eu l’occasion de discuter, ont un discours scientifiquement incomparablement mieux étayé que ceux qu’on nomme les « climatosceptiques ». Par ailleurs, nous touchons là un domaine où le principe de précaution, tel qu’on le trouve inscrit dans la Constitution française, devrait par excellence s’appliquer. Ce principe stipule que, lorsque l’environnement risque d’être dégradé de façon grave et irréversible, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas empêcher de prendre des mesures pour conjurer ce risque. Dès lors, même si quelques-uns s’obstinent à douter de l’origine humaine du changement climatique, l’ampleur et l’irréversibilité des dommages que ce changement très rapide est susceptible d’occasionner exigent que l’on prenne des mesures pour l’enrayer. Pour prendre une image parlante : ce n’est pas parce que l’occurrence de nouveaux attentats n’est pas démontrable à la façon d’un théorème mathématique qu’il faudrait s’abstenir de traquer les réseaux terroristes ![access capability= »lire_inedits »]

On vous sait plutôt partisan du « small is beautiful ». Mais si l’on veut sauver la planète du désastre annoncé, ne faut-il pas coordonner une action globale à l’échelle internationale ?

Je défends non le petit mais le proportionné. Tout problème doit être traité à l’échelle pertinente. La question du climat concerne la Terre entière et il serait absurde de penser qu’on peut la résoudre à des échelles inférieures. Cependant, vous remarquerez que ce qui fait avorter les négociations au niveau mondial, c’est le fait qu’il existe des nations gigantesques comme les États-Unis ou la Chine qui, du fait de leur taille, peuvent tout bloquer. Il serait bien plus aisé de parvenir à un accord mondial si les entités politiques étaient toutes aux dimensions de la Suisse, qu’avec de tels mastodontes aveuglés par leur propre grosseur.

Imaginons que le monde soit fragmenté en une multiplicité d’États à taille humaine. Si sept milliards d’humains aspiraient à adopter le mode de vie d’un Américain moyen, avec la surconsommation d’énergie que cela induit, le problème resterait entier…

Certes, le problème de départ serait le même, mais on serait en bien meilleure posture pour y faire face. Le citoyen d’un petit État sait que le monde extérieur existe, alors que le citoyen d’un État géant est enclin à l’oublier. Les grands États sont si obsédés par leur rang que le devenir du monde passe au second plan. De plus, si les États-Unis refusent de suivre des recommandations générales, eh bien ! ils ne les suivront pas, un point c’est tout.

Nous entrons dans le vif du sujet : les organisateurs de la conférence de Paris sur le climat (COP21) ont fixé l’objectif d’augmentation de la température d’ici à la fin du siècle à deux degrés. Qu’en pensez-vous ?

Cet objectif a quelque chose d’arbitraire (pourquoi deux degrés, et non pas 1,5 ou 2,3 ?), et beaucoup d’incertitudes demeurent sur ce qui nous permettrait vraiment de l’atteindre. Si les modèles, en effet, anticipent un réchauffement rapide, il est difficile de le quantifier précisément. Mais l’objectif de deux degrés a le mérite d’exister, et d’inciter à l’action. Le problème est que COP21 ne signifie pas, comme on pourrait le penser, « coopération pour le XXIe siècle », mais 21e Conférence des partis de la convention cadre des Nations unies sur le changement climatique. Vu le peu de résultats obtenus lors des 20 précédentes éditions, il est à craindre que maintenir le réchauffement en deçà de deux degrés paraisse de plus en plus irréalisable

La COP21 entend également développer les énergies renouvelables (hydrauliques, éoliennes, photovoltaïques). Croyez-vous en la possibilité d’une transition énergétique qui nous ferait progressivement abandonner le nucléaire ou les énergies fossiles ?

On se fait des illusions en défendant l’idée d’une transition qui permettrait de dépenser autant, voire plus d’énergie, en substituant aux hydrocarbures d’autres sources énergétiques. Prenons l’énergie solaire. Les plantes savent très bien l’utiliser grâce à la photosynthèse, mais nous, pour en tirer de l’électricité, nous recourons à des cellules photovoltaïques. Et si nous entendions produire par ce moyen l’énergie que nous consommons aujourd’hui, nous nous heurterions très vite à une pénurie des matériaux nécessaires pour fabriquer lesdites cellules. Même chose pour les éoliennes, la biomasse, les « fermes océaniques » pour exploiter la houle, l’hydrogène, la méthanation, etc : dès que l’on projette leur développement à l’échelle nécessaire pour couvrir la demande énergétique actuelle, on rencontre des impossibilités.

Pour le dire vulgairement, les énergies renouvelables, c’est du bidon ?

Dans son livre L’Âge des low tech (Le Seuil, 2014), Philippe Bihouix montre très bien le cercle dans lequel on s’enferme dès lors que l’on entend prolonger et étendre le mode de vie des pays dits développés grâce à l’innovation technologique et aux énergies de substitution. Par exemple : oui, il reste des hydrocarbures dans le sol, que les nouvelles techniques d’extraction permettent d’aller chercher. Mais ces techniques d’extraction réclament des métaux, fabriqués à partir de minerais qu’il est certes possible d’extraire de gisements moins riches qu’auparavant, mais au prix d’une dépense énergétique supérieure. Il nous faut plus de métaux pour obtenir de l’énergie, et plus d’énergie pour obtenir des métaux : le serpent se mord la queue. De ce fait, le peak oil, le « pic de pétrole » dont on a beaucoup parlé (le moment où la production mondiale de pétrole plafonne avant de décliner) sera, selon Bihouix, accompagné ou suivi d’un peak everything, un « pic de tout ».

Malgré ses limites, la COP21 n’a-t-elle pas l’immense mérite de chercher des solutions alternatives alors que ses détracteurs décroissants s’enferment dans une forme d’impasse contestataire ?

Les « décroissants » ont raison de dire que notre mode de vie et de développement n’est plus viable. Non seulement il n’apporte pas le bonheur et la concorde sur Terre, c’est le moins qu’on puisse dire, mais il détruit notre demeure commune. Face à l’effondrement en cours, il y a deux attitudes possibles : soit préconiser un changement radical comme le font les tenants de la décroissance ; soit prétendre continuer sur la même trajectoire, en tablant sur la déesse Technologie pour surmonter les difficultés. La COP21 s’inscrit dans la seconde lignée. Maintenant que le développement technologique incontrôlé nous a mis dans une position intenable, c’est un surcroît de technologie qui devrait nous tirer d’affaire. Autrement dit, les dégâts deviennent une raison de persévérer dans l’attitude qui les produit – jusqu’à la dévastation totale.

Vos adversaires vous répliqueront que vous sous-estimez la capacité des générations futures à innover alors que l’histoire de l’humanité montre précisément un progrès constant des sciences et des technologies.

La transformation du monde entraînée par le développement industriel depuis le XIXe siècle est sans précédent. Avec un recul de seulement deux siècles, il est absurde de se réclamer de grandes lois de l’histoire pour dissiper les inquiétudes, et d’affirmer que, comme toujours par le passé, « l’homme saura trouver une solution ». Il est vrai que, d’une certaine manière, la dynamique actuelle prolonge une dynamique très ancienne. Mais nous avons atteint un stade où les quantités mises en jeu par cette dynamique en changent la nature, nous placent dans une situation tout à fait inédite. Si l’on parle d’anthropocène pour qualifier le nouveau temps géologique dans lequel la révolution industrielle nous a fait entrer, c’est que désormais les activités humaines sont devenues le premier facteur de modification de l’« écosystème » terrestre. Un exemple parmi d’autres : les hommes rejettent aujourd’hui plus de déchets que l’érosion ne produit de sédiments.

Dans ces conditions, l’issue de la COP21 représente-t-elle encore un enjeu ?

Même si un accord est signé, il sera vraisemblablement très limité et n’aura aucun caractère contraignant. Les grandes puissances comme les États-Unis ou la Chine ne se trouveront guère liées par des accords auxquels elles pourraient avoir consenti du bout des lèvres. Plus que les éventuelles conclusions de la COP21, ce sont les attitudes futures qui compteront. Par ailleurs, le réchauffement climatique, aussi désastreux soit-il à la vitesse où il s’opère, ne doit pas masquer tous les autres problèmes qui se posent, comme l’empoisonnement chimique, la stérilisation de la terre. Au cours du dernier demi-siècle, la population de vertébrés a diminué de moitié.

De vertébrés non humains… La France et le monde agissent-ils dans ces domaines ?

Oui : ils accentuent les ravages. Dans son livre Intoxication (Éd. La Découverte, 2015), Stéphane Horel rappelle que la Commission européenne, alertée sur les dangers des perturbateurs endocriniens, devait réglementer leur usage. Cependant, au lieu de suivre les conclusions du rapport scientifique qui avait été demandé, la Commission a réclamé une étude d’impact économique. Autrement dit, les économistes prennent le pas sur les biologistes et les chimistes, et c’est en fonction des intérêts de grandes firmes que l’on saura si une substance est dangereuse ou non. De ce fait, les perturbateurs endocriniens vont continuer de se répandre partout. D’autant que, tout bien considéré, il y a là un formidable « réservoir de croissance » ! Quand l’équilibre hormonal des êtres humains sera si perturbé que la stérilité sera le lot commun, les êtres humains seront contraints d’aller dans des centres de procréation médicalement assistée, où ils devront payer des dizaines de milliers d’euros pour obtenir un enfant qu’auparavant ils faisaient naître gratuitement. Voilà comment les nuisances engendrées par le développement économique sont recyclées en vecteurs d’une extension du domaine de l’économie.

Notre ami René Viénet dit qu’« on ne combat pas l’aliénation avec des moyens aliénés ». Or, certains écologistes radicaux paraissent sombrer dans une dérive religieuse, sinon sectaire, non seulement en rendant un culte à la déesse mère Gaïa mais en soutenant l’idée que la Terre se porterait mieux sans l’espèce humaine?

« Les déserts extérieurs se multiplient dans notre monde, parce que les déserts intérieurs sont devenus très grands », a dit Benoît XVI : les ravages infligés à la nature sont le corrélat d’un dépérissement de la culture et de la spiritualité. Imaginer sauver la nature au détriment de l’être humain, c’est aller jusqu’au bout de ce dépérissement. C’est répondre au nihilisme techno-économique par un autre nihilisme.[/access]

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*Photo: Hannah.

Décembre 2015 #30

Article extrait du Magazine Causeur



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